Le mercredi 30 décembre 1998


Lance Armstrong 2, cancer des couilles
Pierre Foglia, La Presse,

Les coups de cœur de l'année 1998

Supposons que vous me demandiez quels sont les cinq athlètes, tous sports confondus, qui se sont le plus illustrés au cours de l'année 1998. Mon classement serait le suivant :
1. Lance ARMSTRONG
2. Marion JONES
3. Haile GEBRESELASSIE
4. Hicham EL-GUERROUJ
5. Tegla LOROUPE.

Supposons maintenant que vous n'en connaissiez aucun des cinq. Ne vous inquiétez pas. C'est juste un petit défaut de mémoire. Vous les connaissez. Il vous arrive même de les applaudir dix secondes tous les quatre ans en disant : " Hey quel athlète ! C'est pas croyable ". Puis vous retournez à vos joueurs de golf et à vos coureurs automobiles. C'est bien correct. Les Olympiques sont seulement dans deux ans, vous avez tout votre temps...

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1- Lance ARMSTRONG, 27 ans États-Unis

Sport : cyclisme sur route

J'ai choisi Lance Armstrong comme athlète de l'année et je reconnais que c'est un choix assez particulier. Armstrong n'a battu qu'un seul adversaire, cette année : le cancer des testicules qu'on lui a découvert fin 96. Il avait aussi, à ce moment-là des métastases au cerveau. " Un cancer agressif, rapide, méchant, exactement comme moi ", dit Armstrong, qui n'était pas, effectivement, le coureur le plus sympathique du peloton. Mais un des plus doués. Champion du monde à 22 ans.

Il avait une chance sur trois de vivre. Absolument aucune de refaire des courses de vélo. Début 97, deux opérations au cerveau. Chimio à doses massives. Hiver 97, Armstrong reprend l'entraînement, personne n'y croit et les médecins protestent : son corps ne pourra pas supporter des efforts répétés. La moindre rechute sera fatale.

En février Armstrong se pointe à Majorque où les cyclistes pros disputent, mollo, leurs premières courses. Il est dans le rythme, mais ça se gâte un mois plus tard, dans Paris-Nice. Il est lâché dans la première étape, rentre précipitamment chez lui, au Texas. Il refait ses gammes avec son vieil entraîneur Chris Carmichael. Moins de vélo, plus de gymnase, stage en altitude. Armstrong gagne une course en Oregon au début de l'été, puis le tour du Luxembourg et une classique en Allemagne. Et il est au départ du Tour d'Espagne en septembre. 21 jours de course. Plus de 3000 kilomètres. Il finira quatrième. Et quatrième, encore, du championnat du monde qu'il a animé de bout en bout. Un miracle plus qu'un exploit.

Un seul autre, avant lui, était revenu d'entre les morts. Mais Lance Armstrong est le premier à en revenir à vélo. À plus de 40 kilomètres / heure de moyenne.

Il a créé sa propre fondation : « C'est clair je cours contre le cancer. J'ai la rage. J'ai un site sur le Web ( Fondation Lance Armstrong ), les cancéreux m'écrivent, je réponds à chacun. Je cours pour leur dire qu'on peut guérir. »

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2- Marion JONES, 22 ans États-Unis

Sport : athlétisme

Championne du monde sur 100 mètres, Marion Jones n'a pas perdu une seule course cette année. 21 victoires sur 100 mètres, sept sur 200. Impériale. Elle a brûlé toutes les pistes du circuit de la Golden Ligue. 10,71 sur 100 mètres, 21,76 sur 200, 7,31 m à la longueur...

Héritière désignée de feu Florence-Griffith-Joyner, elle n'a pas hérité, c'est toujours ça de gagné, du look de la vamp de Séoul. Marion Jones est une jeune femme considérable qui vient du basket universitaire, championne NCAA en 94 avec les Tar Heels de North Carolina.

Encore totalement inconnue de ses concitoyens, Marion Jones s'annonce comme la méga-star des Jeux de Sydney où elle vise cinq médailles d'or, comme d'ailleurs aux championnats du monde à Séville, l'été prochain

Propre ? Comment voulez-vous que je le sache. Elle respire la santé. Ça n'empêche pas les rumeurs de courir, il est vrai qu'elle a le même entraîneur ( Trevor Graham ) que Dennis Mitchell qui vient d'être contrôlé positif à la testostérone.

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3- Haile GEBRESELASSIE, 25 ans Éthiopie

Sport : athlétisme

Gebre a battu cette année et le record du monde du 5 000 mètres, 12:39,36 et le record du 10 000 mètres, 26:22,75. Ce sont des chiffres qui laissent sans voix pour peu qu'on ait déjà eu la curiosité, dans sa vie de se chronométrer sur cinq kilomètres à pied, ou en vélo. C'est alors qu'on comprend qu'il n'y a rien à comprendre. Ces 26 minutes et 22 secondes pour courir dix kilomètres ne répondent à absolument rien d'humain. C'est un peu moins de 16 secondes au 100 mètres, répété cent fois !

J'ai déjà cru que le sport le plus violent était la boxe. Mais non. Le plus violent, celui qui fait le plus violence à la nature humaine, c'est celui de Gebreselassie.

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4- Hicham EL-GUERROUJ, 23 ans Maroc

Sport : athlétisme

Je ne sais pas pourquoi le 1500 mètres ( un peu moins d'un mille ) est une course de légende et ses héros toujours insolents et magnifiques. Les chevaux légers de l'athlétisme. Les Anglais ont régné longtemps sur la spécialité, Sebastian Coe, Ovett, Cram, mais depuis 15 ans les maghrébins sont intouchables. Aouita, l'Algérien Morcelli et celui-ci, maintenant, El-Guerrouj. 98 l'a révélé. 3 min 26 s à Rome en juillet, record du monde battu avec deux Kenyans pour lièvre ! Des Kenyans pour lièvre ! Faut avoir du front tout le tour de la tête. Prendre des Kenyans pour lièvres, c'est un peu comme faire un boeuf bourguignon au Champagne.

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5- Tegla LOROUPE, 24 ans Kenya

Sport : marathon

Faudrait que vous voyiez ses jambes, deux pattes décharnées de biquette de montagne. 82 livres avec les souliers et ça se mêle de courir 42 kilomètres et des poussières en 2 h 20 min 47 s, c'était à Rotterdam en avril, le marathon féminin le plus vite de l'histoire. En passant on ne parle pas de " record du monde ", pour les marathons, trop de différence dans les parcours - des petits malins en ont déjà tracé tout en pente douce descendante ! - trop de différences aussi dans la façon de mesurer les 42 km et 195 mètres obligatoires. Il déjà arrivé que ça donne un peu moins ! Le tracé de Rotterdam est considéré avec celui de Berlin, comme l'un des plus rapides.

Et c'est justement à Berlin, en septembre, que le Brésilien Ronaldo Da Costa a couru le sien en 2h 6min O5s, meilleure performance de l'histoire aussi. Presque une minute de mieux que l'ancienne marque, vieille de dix ans.

On est juste au début, je crois, des temps nouveaux, parlons clair, l'EPO, la dope magique des coureurs cyclistes qui améliore la capacité aérobique, se répand largement chez les marathoniens, les temps le montrent à l'évidence, les sept premiers du marathon de New York, fin octobre, en bas de 2 h 11, c'est fou ce que la race s'améliore.

Cela dit, il m'étonnerait que le marathon passe sous les deux heures, de votre vivant, du mien on n'en parle même pas. Si Gebreselassie s'y met un jour, les experts projettent qu'il pourrait descendre à 2 h 3. Mais grignoter les trois dernières minutes pourra prendre quelques décennies. On a creusé, on a raclé tout ce qu'il y avait à racler au fond de nos petits poumons humains.

Reste le tripatouillage génétique. Pour descendre sous les deux heures, il faudra mettre un peu de guépard dans l'Homme et sa fiancée. Est-ce bien plus monstrueux que d'y mettre toute une pharmacie comme on le fait aujourd'hui ?

Ce qui nous ramène à Florence Griffith-Joyner, la vamp du sprint de ce siècle. Sa brutale disparition en septembre, à 38 ans, a réactualisé sa sulfureuse silhouette, l'hypermusculation de ses jambes, ses pectoraux en lieu et place des seins, l'ombre d'une moustache, morphologie typée de l'athlète bourrée d'hormones de croissance.

Son 100 mètres d'Indianapolis ( 10,49 ) est tout simplement un scandale, mais plus encore ses deux records du monde sur 200 ( 21,34 ) de Séoul, qui faisaient d'elle la reine des Jeux, tandis qu'au même moment, Ben Johnson était traité de pourri.

Curieusement, Flo-Jo est morte le jour même où la cour d'appel de l'Ontario refusait à Ben Johnson de lever sa suspension à vie. Voilà Flo-Jo suspendue à vie, aussi.