Le samedi 20 juin 1998


Allez les blancs !
Pierre Foglia, La Presse, Mondial 98

LYON

Les sociologues disent des hooligans qu'ils sont blancs, ouvriers, chômeurs, encadrés par les skins, récupérés par les mouvements néo-fascistes, qu'ils expriment le ras le bol universel des jeunes, ils disent aussi que le hooliganisme est un problème de société, pas le problème particulier du soccer qui ne fournit que le terrain et le prétexte.

L'ennui avec la sociologie c'est qu'à s'éloigner de son sujet pour mieux en cerner l'environnement, elle le perd parfois de vue. Elle a perdu de vue ici qu'un hooligan est d'abord et avant tout un type qui aime se battre, la bagarre. Qui aime échanger des coups de poing sur la gueule avec son prochain. Un type qui recherche l'affrontement physique, pas par idéologie, par jeu. Le hooliganisme est un jeu de con, barbare, immonde, cannibale, raciste. Mais un jeu. On en situe l'origine il y a quarante ans dans le " kop ", le nom donné à la tribune populaire, derrière les buts du terrain de foot de Liverpool. Insultes au gardien de l'équipe adverse, bousculades qui ont gagné les autres tribunes, puis tout le stade, puis la ville, puis toute l'Europe, la culture kop a fait des émeutes en Hollande, Italie, Allemagne, Espagne, France à un degré moindre.

Le hooliganisme se pratique le week-end avec les copains, comme le vélo, le canot, ou la marche dans la forêt Le reste de la semaine le hooligan travaille à l'usine, regarde la télé, prend le métro, se loue un film se fait venir une pizza. Un type normal, moyennement con, qui n'appartient à aucune mafia, à aucune organisation politique fusse-t-elle d'extrême droite. Le hooligan est le contraire d'un militant. Le samedi il retrouve les copains pour aller faire le coup de poing. Le hooligan appartient à un groupe, il a l'esprit d'équipe extrêmement développé, le nom de sa tribu est tatoué quelque part sur son corps, à la vie à la mort il est Bushwacker ( les hooligans de Millwall ), ou Inter City Firm ( ceux de Londres ), ou Lion ( ceux de Liverpool ). Un seul but : se battre. Et boire. L'alcool est le carburant. Mais c'est la violence qui le saoûle. Une seule règle : ne jamais fuir.

Les hooligans n'ont plus le crâne rasé, ne portent plus des " boots ". Ils se déguisent maintenant en " petit gars propres " pour déjouer la police et les systèmes de sécurité. Ce ne sont pas les dégénérés que l'on décrit. Leur violence est habilement programmée. Le plan de match toujours le même : prendre contact avec l'ennemi, les partisans de l'autre équipe ( qu'ils soient, hooligans ou non ) sans éveiller les soupçons de la police, et le contact établi, se battre, foutre le bordel. La panique dans le stade, est leur victoire. Une émeute dans la ville, un triomphe. Une catastrophe avec des blessés et des morts, le nirvana. Ils ont des fiertés d'anciens combattants : J'étais à Sheffield, moi monsieur ! ( 95 morts ).

Les hooligans de ce Mondial sont trop jeunes pour avoir été au Heysel de Bruxelles en 85, mais ils en rêvent. Le Heysel est l'ultime référence guerrière, le Hiroshima-mon-amour du Hooligan, le finale de la coupe d'Europe opposait Liverpool à la Juventus de Turin soudain, dans l'un des virages, les hordes de hooligans anglais ont attaqué les supporters italiens. Terreur. Panique. Un mur a cédé. 39 morts, plus de 300 blessés.

Les clubs anglais ont été exclus de toute compétition internationale. Ça n'a pas réglé le problème, la preuve... Les sociologues qui sont parfois des sacrés comiques ont dit qu'on règlerait le hooliganisme en donnant aux hooligans " des perspectives sociales aussi excitantes qu'une bonne bagarre, mais socialement acceptables " ( 1 ). Des perspectives sociales excitantes ? Quelle bonne idée. Lesquelles ? Quand ? Comment ?

À défaut de trouver des solutions aussi niaiseusement chimériques, l'écrivain américain Bill Budford a vécu une expérience qui illustre la complexité du problème : il s'est fait passer pour un hooligan avec l'idée d'en tirer un livre (2). Il a été admis dans une gang de barbares et, c'est ici que ça devient intéressant, à sa grande honte, il est lui-même devenu un barbare. Il a lui-même succombé à l'ivresse de la violence.

C'est ce qu'il y a d'emmerdant avec la violence. On croit que c'est les autres, on croit que c'est les hooligans. Mais c'est nous.

LE GRAND PATRON -

Comme joueur, Michel Platini était un Guy Lafleur. Un grand joueur, un des plus grands, pas si loin des Pelé, Cruyff et compagnie. L'instinct et la vision du compteur. Comme homme, il était aussi un Lafleur, plutôt moyen, plutôt ordinaire. Lui-même le reconnaît : " J'ai une bonne intelligence footbalistique, pour le reste c'est moins évident ! ". Nommé entraîneur de l'équipe de France, il ne laissera pas un grand souvenir de stratège.

En 1992 quand la France est choisie pour organiser le Mondial, à la surprise de plusieurs, Michel Platini est pressenti comme président du comité d'organisation : " À la condition, accepte-t-il, que je sois vraiment le patron ". Vous imaginez Lafleur à la tête du comité d'organisation des Jeux olympiques de Québec, si Québec obtenait les Jeux ? Les Français aussi ont fait la moue. Gestion, financement, relations avec le pouvoir politique, on voyait mal Platini là-dedans.

Finalement, il ne s'en est pas si mal sorti. Sauf pour deux trucs. Une grosse couille côté billetterie perturbée par le marché noir, et des engagements nons tenus, résultat des milliers de gens n'ont' toujours pas reçu les billets qu'ils ont payés.

Et un premier accroc côté sécurité, débordée à Marseille. Faudra voir lundi à Toulouse, où l'Angleterre va affronter la Roumanie.

Six sur dix pour l'instant. C'est bien pour un athlète.

ET LE CANADA ? -

Le Canada est passé loin, très loin de ce Mondial. Le Canada qui fait partie de la zone Concacaf, ( Amérique du Nord, Amérique Centrale, Antilles ), s'est d'abord qualifié pour la phase finale de sa zone en battant Panama, Cuba et le Salvador. Mais en finale de zone, justement, le désastre ! Lourdes défaites contre le Mexique, les États-Unis, Costa Rica, la Jamaïque. Et une dernière place. Les représentants de la Concacaf à ce Mondial sont le Mexique, les États-Unis et la Jamaïque.

Au dernier classement de la FIFA, le Canada apparaissait au 74ème rang des 190 nations enregistrées.

Aucun arbitre, ni juge de touche canadien à ce Mondial qui n'aura finalement de canadien que le sifflet des arbitres, le Fox 40, fabriqué à Hamilton, une merveille paraît-il, léger, strident, et même, dit-on, " perforant ".

Peut-être faudrait-il utiliser le Fox 40, ou le modèle au-dessus, pour réveiller le soccer canadien ? Il n'y a aucune raison pour que le Canada se fasse battre par la petite Jamaïque, deux millions et demi d'habitants, peu de ressources, pas plus de tradition que nous, et entravée par un évangéliste brésilien, dont l'essentiel de la tactique consiste à s'en remettre à Dieu. Qui n'existe pas, comme chacun sait. Mais qui, tout en n'existant pas, réussit à faire mieux que les dirigeants de soccer-Canada. C'est un peu troublant, non ?

DOPE -

Deux joueurs par équipe, désignés par tirage au sort, sont testés après chaque match. La dope à la mode chez les joueurs de soccer est un stéroïde anabolisant au nom de fleur vénéneuse, la " nandrolone ", mais aussi le cannabis pour combattre le stress ( les deux gardiens de l'équipe de France ont déjà été contrôlés positifs ), et enfin la coke, mise à la mode par Maradona. Le soccer est le troisième sport le plus dopé, le premier étant, étant ? Vous alliez dire le vélo ? Eh bien non. C'est l'athlétisme. Le vélo est second.

LE ONZE DU SIÈCLE -

(selon un pool des journalistes du Mondial ) - Dans les buts, Yachine (Russie). Défenseurs : Carlos Alberto (Brésil), Beckenbauer (Allemagne), Moore (Angleterre), Nilton Santos (Bré). Milieux de terrain : Cruyff (Hol), DiStephano (Espagne), Platini (France). Attaquants : Garrincha et Pelé (Brésil), Maradona (Arg)

LA MAIN SUR LE COEUR -

Lu dans la revue de soccer Onze. En Ouganda, Paul Ssali, entraîneur d'une équipe de soccer de filles, accusé d'abus sexuels a vivement protesté de son innocence :

- Des abus sexuels ? Voyons donc, les trois-quarts de mes joueuses sont lesbiennes.

- Oui mais avec l'autre quart ?

- Je suis marié a répondu l'entraîneur, la main sur le coeur.

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( 1 ) Dunning, Williams, Murphy, Hooligans abroad, Routledge and Kegan Paul, London.
( 2 ) Among the Thugs, Bill Budford, cité par le Monde diplomatique, numéro spécial sur le foot, juin 98.