Le lundi 22 juin 1998


Allah bonne franquette
Pierre Foglia, La Presse, Mondial 98

LYON

Eh bien voilà mon vieux, il est joué ce match que toute la planète redoutait tant. Il n'entrera pas dans l'histoire du soccer, mais peut-être dans celle de la diplomatie, beaucoup plus récréative, la diplomatie, sur un terrain de soccer que dans les salons où elle se confine habituellement.

On a eu peur pour rien. Il ne s'est rien passé. Enfin si, il s'est passé quelque chose de très important hier soir, au stade Gerland de Lyon. Le monde entier a vu onze Américains jouer au ballon avec onze Iraniens. Et ils ne se sont pas mordu le nez. Ils ne se sont pas craché à la figure, ils ne se sont pas insulté. Ils se sont même échangé des fleurs avant le match. Pendant, on a vu un joueur iranien aider un Américain à se relever, lui passer la main dans les cheveux, une petite tape sur les fesses, bref, un match Allah bonne franquette, joué proprement. Un match ouvert, généreux, surtout de la part des Américains qui méritaient mieux. Trois magnifiques buts, surtout le premier des iraniens, cette balle qui lobe le gardien et retombe derrière lui comme une feuille morte, de toute beauté. On ne s'est pas embêté une minute.

Dans les estrades aussi cela s'est bien passé. Enfin relativement bien. La tribune sud avait été envahie par les Iraniens exilés, activistes au Conseil National de la Résistance qui avaient réussi à passer des banderoles et des portraits géants de leurs leaders, malgré l'interdiction et les fouilles. La sécurité les a bousculés un peu, rien de bien méchant. C'est quand même inespéré en regard des craintes entretenues depuis six mois.

À part ça quoi ? À part ça, ce fut une soirée parfaitement douce, avec parfois une fraîcheur qui descendait des tribunes qui m'a fait regretter de ne pas avoir apporté une petite laine. Tout Lyon était là évidemment, son maire Raymond Barre, ex-premier ministre sous Giscard. J'ai vu aussi Jean-Marie Le Pen comme je vous vois, il a l'air du ouaouaron dans l'annonce de la Budweiser.

Pour revenir au match, il faut redire que c'est une injustice que les Américains aient perdu 2-1, mais pas si injuste que cela finalement, quand on songe au grand bonheur qu'elle apportera à 65 millions d'iraniens qui n'ont pas, dans leur quotidien, tant d'occasion d'exulter.

On a coutume de dire que les stades sont les cathédrales du monde moderne, eh bien pour une fois que c'est une mosquée au lieu d'une cathédrale, n'en faisons pas un drame.