Le samedi 27 juin 1998


La guerre n'a pas eu lieu
Pierre Foglia, La Presse, Mondial 98

LENS

Devant le Café de la Paix trois abrutis cassent des bouteilles de bière sur le trottoir. Ils se les lancent comme des ballons de rugby font semblant de les rater, hon, cassées ! Ils font un bras d'honneur au cordon de gendarmes qui barrent la rue un peu plus haut, puis recommencent. La provocation est double : la bière est interdite et les bouteilles aussi sont interdites. Soudain, les gendarmes chargent, matraques levées, chiens menaçants au bout de leur laisse. Les trois hooligans sont jetés à terre, menottés, embarqués dans un fourgon. Deux autres crânes rasés qui s'éloignaient discrètement sont intercepté par des agents en civil. L'intervention a duré trois minutes. La foule des supporters anglais se referme. Plutôt calme. Les gendarmes ont repris position. C'était deux heures avant le match. La journée a été émaillée de cent petits incidents comme celui-là.

La nuit le fut de cent autres. Grâce à Dieu, aux gendarmes et à leurs chiens, aucun n'enflamma la ville.

40000 Anglais dans Lens hier, 16000 avaient des billets, les autres en cherchaient. Tickets ? Tickets ? Il fallait montrer son billet pour approcher du stade bouclé par la police.

La ville avait fermé ses commerces tôt dans la matinée, sauf quelques pizzerias et un Libanais en train de faire fortune avec ses kebabs. La pâtisserie en face de la gare aussi était ouverte.

" Non monsieur, personne ne m'a embêté. Il ne manquerait plus que cela ! ", la pâtissière ne doutait pas de son autorité. Deux immenses brutes, tatoués jusqu'aux yeux venaient de lui commandé de minuscule chocolat. Elle leur a fait un petit paquet avec une boucle, comme elle doit le faire pour madame Lepinsec le dimanche, après la messe.

- Ticket ?... Ils étaient trois, assis dans l'herbe du campus de l'Université des sciences Jean Perrin. Ils étaient partis de Londres à sept heures du matin. Débarqués à Calais. Sur le pouce jusqu'à Lens.

- Pourquoi venir sans ticket ?

- Pour le fun !

Leurs mines découragées disaient le contraire. Lens était à pleurer, un escadron de flics qui ratissaient le campus comme s'il s'agissait d'une rizière du Vietnam. À l'angle de la rue de Béthune, des CRS s'appuyaient sur leurs drôles de fusils à lancer des grenades lacrymogènes. Les Lensois observaient tout cela derrière leurs rideaux.

Les Anglais prendraient-ils pour du fun ce sentiment étale, un peu rampant et plein de papiers sales qui s'installe juste avant la guerre ?