Le lundi 29 juin 1998


Ouf !
Pierre Foglia, La Presse, Mondial 98

LENS

Le temps ? Frais. Idéal pour jouer au foot. L'ambiance ? Joyeuse. Légère. Pas le pesant nationalisme des Anglais. Pas le gagne-ou-crève des Allemands. Ça pétillait dans les tribunes du stade Bollaert de Lens. Même la Marseillaise tiens, c'est très rigolo la Marseillaise avec tout ce sang impur qu'elle répand dans ses sillons, eh bien La Marseillaise hier, dans l'air léger de Lens, avait les accents de la Madelon.

Lens ne demandait pas grand chose aux Bleus. Juste un baume sur les plaies de son Mondial raté par la faute de hooligans. Juste une fête, juste un beau dimanche de foot.

Lens n'a pas fait une maladie d'être snobée par cette équipe de France qui n'a pas sélectionné, pour le Mondial, un seul des joueurs de son équipe championne de France ( Lens championne de France c'est un peu comme si Sorel gagnait la Coupe Stanley ). Elle comprenait, Lens. Des stars pour jouer en équipe nationale elle n'en a jamais eues. Avec 20 % de chômage dans la région, elle ne pourrait pas les payer de toute façon. Ses victoires Lens les arrache avec son coeur. Lens a mieux que des vedettes : un état d'esprit, du fond. C'est bien le moins qu'on puisse attendre de mineurs : du fond. Le stade de Bollaert est d'ailleurs construit entre deux anciens puits de mine, et surplombe encore la voie ferrée par où on évacuait le charbon. Pas un stade pour des stars. Un stade pour les gamins qui tapaient le ballon au pied des terrils.

Le match, oui bon. On vous en parlera mieux ailleurs. Ici je me contenterai de quelques notes, vous dire qu'il a commencé tout de suite après la Marseillaise, de Petit à Henry, à Blanc, à Deschamps, c'est parti mon kiki a dit un confrère d'un journal de province, ceux de l'Équipe sont trop class pour ce genre de trivialité.

De Petit à Henry, à Blanc, à Deschamps je sais je me répète, mais eux aussi se sont répétés toute la première demie, s'enlisant au milieu du terrain, inexistants, des deux côtés d'ailleurs. Sans les singeries de Chilavert, le gardien macho paraguayen qui défiait l'arbitre, et qui s'est d'ailleurs mérité un carton jaune pour avoir retardé le jeu, on se serait endormi. On a même assisté à l'impensable à Lens : le plus gentil, le plus patient public de France a sifflé ses Bleus. Sifflé les Bleus ! À Lens ! C'est vous dire si les choses tournaient au vinaigre. Pire, le kop ( les tribunes populaires ), qui ne chantait plus " Allez les Bleus " depuis longtemps, s'est mis à scander le nom de Vairelles, un joueur de Lens qui n'a pas été retenu par l'équipe nationale.

La deuxième demie fut mieux. Forcément. Il était difficile de faire pire. Les Français mettaient la pression, mais toujours aussi maladroits, ils eurent besoin d'une période et demie de prolongation pour l'emporter sur un but de Laurent Blanc. Beau but. Sur un centre de Pires. Victoire méritée. Mais sur l'ensemble du match, vraiment pas de quoi se vanter. Affreux.

Le but de Blanc a fait exploser la chape d'angoisse qui pesait sur le stade Bollaert. Une immense clameur s'est élevée qui a aussitôt débordé dans la ville. En une seconde, Lens a tout oublié. Et ce mauvais match, et les précédents, pires encore, pour d'autres raisons.

Ouf ! S'il avait fallu que les Bleus sortent de ce Mondial à Lens ! Chez Muriel, Comme au Zébulon, les bars foot du centre ville, on s'épongeait le front. Rue Emile-Basly les autos avancent pare-chocs à pare-chocs dans un concert de klaxons. Des jeunes debout sur les capots chantent la Marseillaise. Un autobus de Belges de Tournai, venus en voisins, est pris d'assaut et sommés de venir prendre une mousse à la santé de la France.

La nuit sera belle et chaude.