Le mardi 30 juin 1998


Neutralité
Pierre Foglia, La Presse, Mondial 98

SAINT-DENIS

Quand on arrive de Lens la lente, ça va vite Paris. Quand on arrive du Nord confit de gentillesse, c'est froid Paris. Surtout du côté de la porte de Saint-Ouen. On disait " La zone ", dans mon temps. Je ne sais plus comment ils disent maintenant. Peu importe, c'est la même zone. Dure et sale. La même société de " non-être ensemble " que dans le Bronx, qu'en Roumanie, qu'à Moscou, que partout où on a entassé des gens dans des clapiers, partout les mêmes jardins d'enfants grillagés, les mêmes arbres rabougris, et un banc où vient de s'asseoir une femme lasse, avec un fichu sur la tête, qui pose ses sacs d'épicerie devant elle.

Et c'est en plein centre de cette banlieue bariolée où s'ignorent Noirs et Maghrébins, Asiatiques et immigrés plus anciens, c'est à l'ombre de ces cités pas-de-chance que sont les cités Allende, Montjoie, des Cosmonautes, Floréal, et la délinquante Francs-Moisins, c'est là que ces messieurs du Mondial ont choisi de construire un stade de 2672 millions !

Audacieux, disent les uns. Odieux, disent les autres. Les uns disent que ça ne peut pas faire de mal. Les autres, qu'avec un peu de ce fric-là on aurait pu faire tellement de bien.

Ce n'est sûrement pas moi qui vais trancher. Quand tu viens de Montréal, la décence commande de ne pas se mêler du problème de stade des autres.

Et puis je vais au moins attendre d'y mettre les pieds.

Demain.

SOCCER 301 -

Au soccer, peut-être l'avez-vous noté, ils n'ont pas de plan de match comme Jacques Lemaire. Ils ont bien mieux. Ils ont des schémas. Le schéma 4-4-2. Le schéma 4-3-3. Le schéma 3-5-2. L'idée, c'est que ça fasse toujours dix. Très important. Vous ne pouvez pas, par exemple, commencer votre schéma de match par Pi, parce que Pi, c'est 3,14 et des poussières et ça va être la galère tout à l'heure pour arriver à dix.

De toute façon, ces schémas ne sont jamais respectés sur le terrain. Ils jouent n'importe comment, et d'ailleurs ce sont toujours les mêmes trois joueurs qui ont le ballon dans une équipe, et quand ils le perdent, ce sont les joueurs qui jouent à la même position dans l'autre équipe qui en prennent possession. Il y a d'abord celui qu'on appelle le récupérateur ( exemple Dunga chez les Brésiliens ), qui fait office de quart-arrière, il organise le jeu. Ensuite, il y a le libéro, qui est un quart-arrière en poste avancé, si on peut dire, exemple le Français Laurent Blanc qui a compté le but contre le Paraguay. Enfin, le stoppeur chargé de déquiller le meilleur joueur en face, exemple Desailly dans l'équipe de France.

Sur les 90 minutes que dure un match, ces six joueurs-là ( trois de chaque équipe ) contrôlent le ballon 89 minutes et demie. C'est vous dire qu'on pourrait très bien se passer des autres, le jeu serait plus clair et les schémas plus faciles à suivre : 1-1-1 ou 2-1.

Ou carrément 3-0 mon vieux.

L’ART DE GAGNER -

Les Français ont du panache, ils n'en ont pas montré contre le Paraguay, mais ils en ont, dans la vie comme dans leur football. Les Anglais ont de la tradition, des fantômes pour parler comme on parlait dans les couloirs du vieux Forum. Les Italiens ont du talent dont ils usent avec grande parcimonie comme si c'était de l'onguent. Les Brésiliens ont une image. Et les Allemands ont des certitudes. Mais pas mentales. Des certitudes physiques. Des certitudes de rouleau compresseur. Rien ne les dérange. Tout béton.

Les Mexicains en ont fait la douloureuse expérience hier, comme tant d'autres avant eux. Ils ont compté les premiers. Dominé largement la première demie, et puis l'armée teutonne s'est ébranlée sobre et inexorable. À la fin, c'était 2-1. Et tout le monde disait : " Ah ! si les Mexicains n'avaient pas tiré sur la barre, c'eût été 2-0 et un autre match ". Non. Si les Mexicains avaient compté un second but, les Allemands en auraient compté trois. En prolongation. En tirs de barrage. N'importe comment. À ce niveau-là, les tondeuses à gazon ne battent jamais les rouleaux compresseurs.

L'ART DE PERDRE -

La défaite du Nigeria ? Jay-Jay Okocha était la grande vedette du Nigeria. Le Ronaldo africain. Citation: " Même si notre entraîneur blanc ( le Serbe Milutinovic ) s'agite sur son banc avec son grand bloc-notes, c'est nous qui commandons. Dès lors qu'il nous laisse jouer comme on veut, il est l’entraîneur idéal. Mais s'il essaie de nous imposer de jouer comme lui veut, alors on le vire. Au Nigeria, c'est comme ça. "

Dans bien des pays, et dans bien d'autres sports aussi, jeune homme. Mais ceux-là ne gagnent pas souvent.

JUS D'ORANGE -

Et les Hollandais vous les aimez ? Moi, beaucoup. Pas mécaniques une seconde, les Oranges. L'envers des Italiens. Avec eux, je pourrais finir par tripper vraiment soccer. Jamais comme je trippe vélo, ou basket, ou le hockey, ou l'athlétisme, mais plus que le baseball mettons... Les Hollandais ont joué un grand match contre des Yougoslaves hargneux qui ont marqué un magnifique but et raté un penalty, les nonos, avant de perdre 2-1, alors qu'on jouait les arrêts de jeu.

Tout ça promet des quarts de finale trippants. Si l'Argentine gagne aujourd'hui, on aurait, avec Hollande-Argentine, une finale avant la lettre. Et il y a aussi ce scabreux Italie-France dans le décor...

Entre nous, il était temps que ça commence.