Le vendredi 3 juillet 1998


Mon ordinateur dans la gueule
Pierre Foglia, La Presse, Mondial 98

SAINT-DENIS

Le Mondial des banlieues. Une magnifique idée. Et ce ne sont même pas des sportifs qui l'ont eue, mais les gens du festival de Bourges. Tenir à Saint-Denis, à l'ombre du Mondial, sur le terrain d'entraînement adjacent au grand Stade de France, un tournoi de foot pour les jeunes des banlieues du monde entier. On joue à sept, sur une moitié de terrain. 37 équipes, 22 pays, Beit Jal ( Palestine), Tcheliabinsk ( Russie ), Lausanne, Yako ( Burkina Faso ), Buenos Aires, Johannesburg, Los Angeles, Amsterdam, Tuzla ( Bosnie ), Madrid, Varsovie, Bordeaux, Marseille, etc., etc...

Et Montréal.

Une vraie équipe de Montréal et de sa banlieue, les meilleurs 17 ans de la région Bourrassa. Neuf garçons bien de chez nous, écoutez bien cet hymne émouvant à notre métissage... Chris Tonin, d'origine italienne. Rocco Placentino. Aussi d'origine italienne. Martin Chiodoni, d'origine uruguayenne. Kwame Telemaque, celui-là, immense, vient de Trinidad. Elias Calaitzidis, d'origine grecque, Amadeo Rivera, d'origine salvadorienne. Kevy Stephens d'origine haïtienne. Francis Colagiacomo qui a ceci de très particulier : son père est italien, mais tenez-vous bien, sa mère est une pure-laine. Eh oui, il en reste. Enfin, d'origine haïtienne aussi, Patrick Geffrard qui est je crois la grande vedette de ce club pas piqué des vers, deux matches hier, deux victoires. Un 10-0 contre les kabyles de Larba-Nath-Irathen, et un 2-1 contre des Argentins fort surpris, qui s'imaginaient peut-être que nos garçons allaient jouer en raquettes ! Eh non. Ils sont même bien partis pour se rendre en huitièmes de finale...

Chiodoni a trois buts. Calaitzidis, le but vainqueur contre l'Argentine qui avait pris les devants sur un penalty discutable. Mais la première étoile, contre l'Argentine, le gardien Geffrard qui a fait des arrêt écoeurants. Les gars ont dit qu'ils n'avaient jamais joué sur une aussi belle pelouse. Demain ils affrontent Saint-Denis et Johannesburg.

J'ai oublié. Ils sont coachés par l'assistant entraîneur de l'Impact, Francis Millien ( d'origine française ) et par Mike Montagna d'origine italienne. Comme moi, qui tape ce texte. Ça fait que, le prochain tôton qui dit que le Québec est une société fermée, j'y crisse mon ordinateur à travers la gueule.

BLEU-CIEL -

Les Kabyles, que les Montréalais ont planté 10-0, viennent d'un tout petit village dans les montagnes, à 20 kilomètres de Tizi-Ouzou qui n'est pas une bien grande métropole non plus. Ils sont dans mon hôtel. Leur premier voyage. Ils marchent en se dandinant comme ils ont vu faire les rappers, mais eux c'est sur un petit nuage de bonheur. Rien que pour leurs yeux pleins d'étonnements émerveillés il valait d'organiser ce Mondial des banlieues. Ils viennent du pays où l'on assassine les poètes, on pleure encore le dernier, Lounes Matoub. Je les regarde se dandiner et il vient de me revenir ce mot magnifique d'Alexandre Vialate : " Ils avaient retourné leur désespoir pour s'en faire des chaussettes bleu-ciel ".

PETITS IGNORANTS -

Quand j'étais petit et que je jouais au foot ( plutôt mal ), le ballon était souvent un caillou, une boule de chiffons, une boîte de conserve, des fois une baballe de Prisunic. Mais quand nous avions un vrai ballon, pour un vrai match par exemple, alors là il était en cuir, avec un lacet pour fermer la fente par où on entrait la vessie. Quand j'étais petit les ballons avaient un sexe et il était féminin, ce qui donnait des idées à certains, je vous raconterai une autre fois. Le problème, c'est quand il pleuvait, imbibé d'eau, ce ballon devenait aussi lourd que le boulet que les bagnards traînent au pied. C'est pour cette raison que depuis une bonne douzaine d'années, les ballons de foot ne sont plus en cuir, mais constitués de panneaux hexagonaux en mousse synthétique. Ces panneaux sont cousus à la main au Pakistan, à Sialkot, capitale mondiale du ballon de football, par des enfants qui gagnent moins de un dollar par jour pour 15 heures de travail. Évidemment ces petits ignorants ne savent même pas qui est Zinedine Zidane.

VOTRE JACQUES -

Mon hôtel est a deux pas de la salle de rédaction du Parisien Libéré, ce qui ne me fait pas un pli sur le ventre, d'autant plus que c'est un journal de merde, je vous en parle seulement pour vous souligner que c'est dans le Parisien que Jacques Villeneuve livre une chronique après chaque Grand Prix. Voulez-vous que j'aille me prosterner devant la porte, baiser le sol qu'il foulera de ses pas ?

REMPLACEMENT -

Au centre de presse international où je travaille, quelques journalistes allemands portent des T-shirts contre la violence " Deutsche Fans Gegen Gewalt ". Il n'est écrit nulle part que ces T-shirts ont été mis en circulation par la firme Mercedes initiatrice d'une campagne très élogieuse sur la France et l'accueil, l'organisation, etc... Tout cela avec un regard inquiet vers les marchés boursiers qui ont été sensibles, paraît-il, aux incidents de Lens, où un gendarme français a été battu sauvagement par des hooligans néo-nazis allemands.

Dans un registre plus amusant : l'Allemagne s'apprête à vivre des élections en septembre. M. Helmut Kohl tramerait de la patte dans les sondages et l'opposition sociale-démocrate vient de faire publier une affiche qui représente la touche d'un terrain de football où on s'apprête à effectuer un changement de joueur. Bien sûr, le joueur rappelé est Helmut Kohl.

Bon match.