Le dimanche 5 juillet 1998


Céleri-rémoulade
Pierre Foglia, La Presse, Mondial 98

SAINT-DENIS

Non je ne suis pas allé à Marseille voir les Bataves battre les Argentins. Je suis plutôt allé sur les Champs-Élysées, c'est là que Paris fêtait, la victoire des Français.

Franchement ? Franchement-franchement ? Ce ne fut pas la folle nuit que j'imaginais que ce serait. Déjà l'ambiance du stade m'avait semblé un peu tiède, joyeuse oui, des holà, des vagues, mais pas la surchauffe, pas le délire, pas la frénésie qu'on attendrait d'un public privé de Coupe de monde depuis douze ans et qui voit son équipe se qualifier pour les demi-finales. Un détail, tiens. Après avoir réussi son penalty, on a vu Laurent Blanc appeler la foule à manifester, à faire du bruit pour déconcentrer le tireur italien qui lui succédait. Il me semble que cela aurait dû venir tout seul, sans meneur de claque.

Aux Champs-Élysées, c'était pas mal. Il y avait des gens debout sur des autos qui criaient Zizou, Zizou, Barthez, Barthez. Il y avait des drapeaux, des ballons, des cornes de brumes. Les gens s'étaient peints le visage en bleu-blanc-rouge. Les jeunes hurlaient, les amoureux se tenaient par la main, les bourgeois agitaient des petits drapeaux et les touristes filmaient tout ça. Si, c'était correct. Mais c'est un peu cette atmosphère-là aussi, au festival du hot dog de Dunham. Je n'étais pas vraiment surpris.

Peut-être que le long suspens avait épuisé les Parisiens. Que le match les avait vidés de toutes leurs émotions. Peut-être sont-ils aussi toujours comme ça, un peu coincés, je ne sais pas. Notez que je préfère cette retenue-là aux débordements avinés des supporters anglais, mais j'attendais autre chose, une nuit de légende, ébouriffante, en tout cas moins céleri-rémoulade que celle-là.

Ne croyez pas que j'étais " personnellement " déçu. Pas du tout. Personnellement, si vous voulez savoir, les fêtes m'ennuient un peu. Mais comme journaliste, j'aime bien rapporter la liesse des foules, si, si, ça m'excite beaucoup quand les gens font des folies, qu'ils grimpent dans les poteaux, ou qu'ils font pipi dans leur chapeau, ou qu'ils se jettent devant les autos en faisant semblant que c'est des taureaux... Rien de tout ça sur les Champs-Élysées. Ils s'amusaient comme si c'était un 14 juillet ordinaire.

J'ai pris le dernier métro. Mon carnet de notes étant vide, à tout hasard j'ai noté une pub, sur le haut du wagon qui disait " Massages et respirations profondes viennent à bout des ballonnements ".

Ah bon. Et du ballon ?

L'ATHLÈTE INTÉRIEUR -

Les sectes, les gourous, les granoles, les nouvel-âge pullulent dans la marge du Mondial. Une irruption du spirituel largement encouragée par les joueurs eux-mêmes qui n'en finissent plus de faire leur signe de croix, de s'agenouiller, de tomber en prière comme vendredi soir pendant la séquence de tirs au but entre la France et l'Italie, il paraîtrait même que le gardien iranien voulait qu'on tourne son but vers La Mecque pour que Allah le protège.

Anyway, après le match vendredi, dans le métro, il y avait un grand négre, tout d'orange vêtu comme un moine bouddhiste qui est venu me vendre sa camelote, un livre intitulé " Libérez votre athlète intérieur ". J'ai aimablement décliné.

- C'est que voyez-vous, jeune homme, je ne tiens pas du tout à libérer mon athlète intérieur.

- Et pou'quoi ça ? Vous avez peu' ?

- Très peur. Imaginez que je libère mon athlète intérieur et que je m'aperçoive que c'est Stéphane Richer !

Il ne m'a pas demandé qui c'était. De toute façon, il n'allait pas assez loin, pour que j'eusse le temps de lui raconter Stéphane Richer, il eût fallu qu'il aille au moins jusqu'à Pantin.

Y MÉNARVENT ! -

C'est un détail de rien mais qu'est-ce qu'ils peuvent m'énerver, les Français, avec leurs liaisons en donnant les scores... La Norvège a gagné deux ZA un. Le Nigeria a perdu trois ZA deux. Même les Arabes s'y mettent. Au resto berbère où je vais déjeuner, Youssef m'a lancé : " T'as vu le match hier avec le Brésil ? Les Danois auraient dû gagner huit ZA deux ".

Et ta soeur ? Et elle fait 69 ZA trois ?

J'AIMERAIS MIEUX GASTON -

Vu qu'on zozote, j'ai enfin vu jouer Zidane, l'idole de tous les Français. Il n'a pas été dominant contre les Italiens, mais bien quand même. Je ne m'attendais pas à ce genre de joueur. À cette finesse. À ce coup de patte très fin qui caresse la balle. À cause de son physique sans doute, je m'attendais à un défonceur de ballon. Et sacré bon passeur avec ça. Comme disent les Français : Zizou on l'aime parce qu'il ne joue pas perso... "

Il ne me reste plus qu'un problème avec Zidane. Son prénom. Chaque fois, il faut que je le cherche dans mon livre. Je suis tanné. Ça commence par un " Z " et ça fini en " ine ". Est-ce Zigouline ? Zitaline ? Dizitaline ? Zozotine ? Zut, ze zais pas.

ERRATUM -

Je vous ai dit, l'autre jour, des folies sur le Mondial de soccer féminin qui ne se tiendra pas en Chine mais aux États-Unis l'été prochain ( du 19 juin au 10 juillet ), à Boston, Chicago, New York, Washington, Portland, San Francisco, la finale au Rose Bowl à Los Angeles. En Chine, s'est tenu le premier mondial en 91, le second c'était en Suède en 95, les Américaines sont les championnes olympiques, les Norvégiennes les championnes du monde, les autres puissances en soccer féminin sont l'Italie, l'Allemagne, la Suède, le Danemark. Le Canada est dans le second groupe avec le Nigeria, l'Angleterre, l'Australie, le Brésil, etc.

Mais non, ça n'a rien à voir avec le hockey féminin. On va recommencer à se chicaner ? Il y a 30 millions de femmes qui jouent au soccer dans 85 pays différents à travers le monde. Il y en a 82 qui jouent au hockey dans. deux pays et demi.

GASTRONOMIE -

On est en France n'est-ce pas ? Pays du ris de veau aux morilles, du saucisson en brioche, du lapin à la moutarde, des cailles au porto, de la salade de maquereau fumé aux salsifis, de la salade gasconne aux gésiers confits, de la tarte aux quetsches, du savarin à la crème, au fait, vous savez qui est le resto officiel du Mondial, en France ?

McDo.

LE MONDIAL DES BANLIEUES -

On ne gagnera pas le Mondial des Banlieues, ce tournoi fort sympathique qui se déroule sur le terrain adjacent au Stade de France et qui implique 37 villes d'un peu partout dans le monde, dont Montréal.

Je vous avais dit que les Montréalais avaient gagné leurs deux premiers matches, se qualifiant aisément pour le second tour qu'ils viennent de compléter : trois matches, deux victoires, une défaite. Victoire de 3-1 contre Saint-Denis, la rugueuse équipe hôte. Défaite de 4-1 devant Buenos Aires qu'ils avaient battu au premier tour. Un match plus égal que le score ne le dit, un penalty douteux, vers la fin du match, brisant une longue égalité, puis dans les dernières minutes, un peu découragés, les Montréalais s'en sont fait taper deux de suite, pouf, pouf. Les Argentins ont bruyamment savouré leur revanche. Ils ne sont pas très appréciés dans ce tournoi, on les trouve tous un peu trop petits-cousins de Maradona.

Pour se qualifier les Montréalais devaient absolument faire un carton contre les Maliens, garçons de Aourou, de gentils garçons pas très doués pour le soccer. Avant le match, les Montréalais se sont excusés auprès de leurs adversaires d'avoir à les planter solide : " Ne prenez pas ça personnel les boys, on va vous scorer un maximum de buts dans l'espoir de se qualifier en finissant meilleur deuxième et se qualifier avec la meilleure différence de buts. "

Ça s'est fini 24-2. Ils ne voulaient pas que je vous en parle. Je ne vous en parle pas.

Au moment d'envoyer mon texte, on ne savait pas encore pour la qualification. De toute façon Montréal ne gagnera pas le petit Mondial. Les équipes qu'il faudra affronter maintenant sont d'un tout autre calibre. Les Sud-Africains de Johannesburg entre autres. Et Marseille et Toulouse et les Écossais de Lanarkshire. On sera les Maliens de ce groupe-là. Vient toujours notre tour d'être les Maliens de quelqu'un.