Le lundi 6 juillet 1998


Le nationalisme, balle au pied
Pierre Foglia, La Presse, Mondial 98

SAINT-DENIS

Samedi soir vers 23 heures, on a pu entendre toute la France exhaler un long soupir de soulagement. Davor Suker venait de marquer le troisième but des Croates. Il restait cinq minutes à jouer. Les Allemands étaient éliminés. Ils n'affronteront pas la France en demi-finale. C'était pour cela, le long soupir de soulagement.

On ne déteste plus l'Allemand en France, c'est fini tout ça. Mais, éternellement chevillée dans l'inconscient des Français, il restera toujours une crainte de l'Allemand. " Que vont-ils encore nous faire ? ", la question n'évoque plus la guerre, elle renvoie, le plus souvent, à la déchirante nuit de Séville...

C'est au Mondial de 82. En demi-finale justement. Les Français, la plus belle équipe que la France n'ait jamais eue, mènent 3-1. Et dominent. Amoros frappe la transversale. Un but de Rocheteau est refusé. Mais soudain les tanks allemands se mettent en branle. Battiston, violemment agressé par le gardien Schumacher, sort sur une civière. Platini lui tient la main. Une image que les Français reverront plus souvent que celles des camps de concentration ( je l'ai encore vu à la télé avant le match de samedi ). Bref, les Allemands égalisent. Et finalement l'emportent lors de la séance de tirs au but.

Depuis le début de ce Mondial, devant la possibilité de retrouver les Allemands sur leur chemin, en demi-finale encore, les Français vivaient dans l'appréhension d'une autre nuit andalouse. J'exagère sans doute. Cela ne les a pas empêchés d'aller à leurs affaires, mais au détour des conversations de comptoirs, la crainte pointait : " Les Allemands, quelle peste ! ".

Voilà pourquoi les Français se sont découvert depuis hier un immense amour pour la Croatie et les Croates. Quel peuple extraordinaire ! Quels gens merveilleux. Et comme ils sont patriotes. Voyez, comme leur nationalisme, balle au pied, est sympa !

Il serait plus sympa encore si un grand nombre de supporters croates ne levaient pas un poing hitlérien pendant leur hymne national.

Il serait plus sympa encore, si, dans Vukovar, en ce moment même, les Croates, martyrs d'hier, ne tentaient maintenant d'en chasser les habitants d'origine serbe.

Il serait plus sympa si le président de la république croate, Franjo Trudjman n'encourageait pas ses joueurs à vaincre au nom de la patrie.

Il serait plus sympa enfin si les joueurs croates eux-mêmes montraient un peu moins de patriotisme et un peu plus de civilité. Davor Suker en particulier, qui n'a cessé de provoquer les Allemands pendant tout le match. Suker, un autre irascible tôton dont le soccer semble s'être fait une spécialité. Sans doute Suker est-il un grand patriote, mais avant que d'être Croate, il appartient à la race détestable des Ariel Ortega, Bebeto, Stoïtchkov, Pagliuca, etc. qui sont ses vrais compatriotes.

Pour revenir au foot, les Français ont raison d'être soulagés ( même s'ils affichent une inquiétude polie ) d'affronter les Croates plutôt que les Allemands. En battant les Allemands, les Croates ont déjà gagné le Mondial. Le syndrome d'éjaculation précoce est fréquent chez les équipes modestes qui battent un favori. L'euphorie les fait débander avant l'heure.

Net avantage à la France, donc.

Au fait, pour les quarts de finale, j'ai frappé juste pour la France et le Brésil, je me suis planté comme tout le monde avec l'Allemagne. Pour Hollande-Argentine j'avais dit Argentine de justesse, ce fut la Hollande, largement. Peut-être pas au score, mais la Hollande a fait tout le match. Quelle santé ! Quel but de Bergkamp !

J'en veux encore. La Hollande jusqu'au bout.

CINÉMA -

L'arbitrage est plus la grande différence entre le hockey et le soccer. Exemple : l'expulsion du meneur de jeu argentin Ariel Ortega. Ou celle de l'Allemand Worns, samedi. Allez hop, dehors, même si on est dans les dernières trois minutes du match peut-être le plus important de la carrière de ces joueurs-là. Un meilleur exemple encore, l'expulsion de l'Anglais David Beckham pour une faute totalement anodine. Bousculé par un Argentin, il a répliqué par une petite talonnette de rien du tout, un geste d'humeur, d'impatience. Il y aurait eu une émeute au Forum pour un truc semblable. Moi-même, j'ai dit ben voyons donc, sont fous, il a rien fait !

Mais mes collègues anglais, reflétant le sentiment général, titraient le lendemain : " Dix héros et un imbécile ". Eh l'imbécile c'était Beckham, pas l'arbitre.

Au hockey, on ne sanctionne pas la faute, mais sa gravité. L'intention de celui qui la commet. C'est pour ça que c'est le bordel.

Remarquez c'est le bordel aussi au soccer, mais pour la raison inverse. Toutes les fautes devant être appelées, que font les joueurs ? Ils jouent la faute. Ils jouent le carton. Ils simulent des charges imaginaires. Plongent. Se tordent de douleur. Et il arrive que des matches, et des plus importants, se décident sur une tricherie.

Bref, il n'y a rien de parfait.

Sauf moi des fois.

LE FLOU PHILOSOPHIQUE -

Puisqu'on en parle, une autre différence fondamentale entre le soccer et le hockey, mais celle-là philosophique, c'est la règle du hors-jeu.

Au hockey, le hors-jeu, est figuré par une ligne rouge que la rondelle doit absolument traverser avant le joueur. Alors qu'au soccer, la ligne de hors-jeu est invisible, et se déplace sans cesse puisqu'elle est là où se trouve le joueur de défense le plus reculé dans son territoire. Ce qui implique que l'attaquant doit nécessairement battre le défenseur de vitesse, ou le dribbler, pour se rendre au but. Au soccer le hors-jeu est une obligation à l'affrontement, au fair-play. Un état d'esprit. Difficile à juger évidemment, puisqu'un état d'esprit est forcément plus flou qu'une ligne rouge peinte dans la glace.

La philosophie là-dedans ? Eh bien, le flou. Le flou est philosophique. Ou artistique. Alors que la ligne rouge n'est ni l'un ni l'autre.