Le jeudi 9 juillet 1998


L'épicerie de quartier
Pierre Foglia, La Presse, Mondial 98

SAINT-DENIS

Voilà la France en finale pour la première fois de son histoire. La première fois depuis que le Mondial existe, depuis 1930. Même moi je n'étais pas né en 1930.

Pour vous mettre dans l'ambiance imaginez que le Canadien n'ait jamais participé à la finale de la Coupe Stanley. Ça se peut pas ? Si ça se peut. Forcez-vous, Imaginez. Pas une fois en finale en soixante ans, mais là, ça y est, il y est. Imaginez encore que l'entraîneur qui a mené le Canadien à la finale soit un nouvel entraîneur, le plus moyen, le plus effacé des Québécois, mettons Alphonse Dandurand que vous ne connaissez pas, moi non plus, personne ne le connaissait. Au début de la saison tous les journalistes disaient qu'il était nul, drabe, et que l'équipe n'irait nulle part avec cet éteignoir à la barre.

C'est exactement ce qui s'est passé dans ce Mondial. Un modeste, un effacé ( bref un éteignoir selon les journalistes ) a mené la France, pour la première fois de son histoire, en finale du Mondial.

J'ai relevé avant le Mondial quelques-unes des gentillesses qui ont été écrites Jacquet.

Jérôme Bureau directeur de L'Équipe : " Aimé Jacquet n'est décidément pas l'homme de la situation. Nous attendions un leader qui donne du souffle, nous voilà avec un brave type qui soupire. "

Gérard Ejnès, directeur adjoint du même journal, " Ah ! mourir d'Aimé !... Aimé Jacquet, le désenchanteur, conduit cette équipe comme il mènerait une épicerie de quartier... "

Et bien voilà l'épicier en finale du Mondial.

Et les tomates les plus pourries de ses cageots, sur la gueule à qui il va les balancer vous pensez ?

On attend.

Même que d'aucuns, que la suffisance du grand quotidien de sport exaspèrent, font mieux qu'attendre. Ils espèrent.

EN AVOIR OU PAS -

L'édam est un fromage hollandais qui se présente en boule. Deux boules d'édam, l'une à côté de l'autre, ont l'air d'une paire de couilles. Vous me direz, deux boules de n'importe quoi aussi. Mais je vous parle des boules d'édam à cause d'une pub, pleine page, dans le journal L'Équipe d'hier ( et c'est très grand une pleine page de L'Équipe ), une pub qui va comme ceci : dans le blanc en haut, une petite ligne dit : " En Hollande, ils en ont ". Sous cette ligne, deux boules d'édam, sont dessinées de telle manière qu'elles ont vraiment l'air d'une paire de couilles. L'évocation est indiscutable. C'est bien la question : en avoir ou pas ?

Sous les boules d'édam ( notez la proximité de édam et de Adam ), le message dit : " Espérons que les Français en auront autant ce soir ". Traduction : autant de couilles contre la Croatie que les Hollandais en ont eu contre les Brésiliens. Le message continue : " Bravo aux Hollandais pour leur belle performance et leurs savoureuses boules d'édam. "

C'est signé : " La Hollande, l'autre pays du football ".

C'est donc une annonce " nationale ", de l'office du tourisme hollandais. C'est donc une annonce officielle qui annonce la Hollande avec une paire de couilles et j'essayais d'imaginer la même annonce, dans La Presse ou le Toronto Star, annonçant le Canada. J'imaginais les lettres le lendemain dans le courrier des lecteurs ! On en aurait pour des semaines à débattre du bon fondement, si j'ose dire, de la chose.

Ici, pas un mot.

C'est bien pour dire comme on se gratte là où ça nous pique.

FILS DE PUB ET DE DIEU -

À Rio De Janeiro, au sommet du Corcovado la montagne qui domine la ville, un immense Christ, bras écartés, domine la baie de Rio. Dans une pub pour les pneus Pirelli, ils ont remplacé le Christ par Ronaldo dans la même position. Je peux voir le rapport entre Dieu et Ronaldo, mais les deux avec les pneus ?

LOTO FOOT -

C'est encore à la roulette russe que s'est décidé la demi-finale Brésil-Pays-Bas. Tout est loterie dans ce genre de confrontation aussi spectaculaire que inique. De trois choses l'une. Le tireur la met dedans et on continue. Il tire à côté et le match se gagne sur une action négative, un ratage. Et troisième figure : le gardien fait l'arrêt ce qui relève plus de la divination que de l'exploit. En général, les gardiens choisissent, au feeling, le côté où ils vont plonger. Même quand ils connaissent bien le tireur : " Ce qu'on sait du tireur ne sert à rien, explique Barthez, le gardien français. Parce que le tireur sait qu'on sait. Et il fait le contraire. Ou plus vicieux, il tire comme d'habitude parce qu'on s'attend à ce qu'il fasse le contraire. Bref, ça ne sert à rien de se prendre la tête. Faut écouter personne. Une fois, à Marseille, j'ai arrêté un péno du Belge Scifo. Tous les joueurs me disaient que Scifo tirait à droite. Je suis parti à gauche, je l'ai arrêté. Après le match Scifo m'a dit que c'était la première fois de sa carrière qu'il tirait un péno à gauche. "

VIVE LA GÉNÉTIQUE -

Grand pays de sport, la Croatie est la patrie de Toni Kukoc, le centre des Bulls de Chicago, trois fois champion de la NBA. La patrie aussi du tennisman Goran Ivanisevic qui vient de perdre en finale à Wimbledon. L'équipe de water-polo croate est championne d'Europe, comme leurs handballeurs qui sont, en plus, champions olympiques à Atlanta. Miroslav Blazevic, l'entraîneur de l'équipe croate à ce mondial explique la chose par " la capacité génétique de la Croatie à produire du talent ", et pour être sûr qu'on comprenne qu'il parle bien de supériorité génétique, il illustre par un exemple : " Voyez les Yougoslaves, ce sont des Balkaniques, souvent désorganisés, incapables de résultats durables, alors que nous Croates, sommes plus près de l'Europe et en avons l'esprit et la force mentale. "

Imaginez une petite seconde, dans un Québec nouvellement indépendant, le coach du Canadien rebaptisé Fleur de Lys, parlant de la capacité génétique du Québec à produire du talent. Ils nous envoient les casques bleus dans les 24 heures.

ARITHMÉTIQUE -

Il y a un bar croate à Paris, le Torcida près du cimetière du Père La Chaise. Je suis allé y faire un tour hier, mais Pero Bogic, le taulier n'avait vraiment pas le temps de me parler, un autobus venait d'arriver de Split, un autre de Zagreb, des voyages organisés à la dernière minute, ces gens-là cherchaient des billets, un hôtel, et le téléphone n'arrêtait pas de sonner, surtout des Allemands qui voulaient revendre leur billet pour la demi-finale puisqu'ils n'y sont pas. " Jusqu'à 18 000 francs ( 4500 $ ) pour un billet. Sont fous. Il y a 880 kunas dans un franc et pour un Croate multiplier 880 par 4500 c'est comme calculer la distance de la Croatie à la lune...

LES ESCROCS -

Bobby Charlton, mythique capitaine de l'équipe d'Angleterre championne du monde en 1966, cité pas l'agence AP : " Sur le terrain, se désole Charlton, les joueurs tombent beaucoup, tombent plus que jamais, et tombent tous de la même manière, la tête la première comme s'ils tombaient dans une piscine. Ils ont l'air d'avoir très mal, et se roulent par terre trois fois. Toujours trois fois. C'est un art. Dès qu'ils sont touchés, ils tombent. Je suis sûr qu'ils s'entraînent à tomber. Ils devraient être expulsés pour ça ".

C'est, pour moi, jusqu'ici, LA QUOTE, du Mondial. Chaque fois que je renoue avec le soccer, je me bute ( et me rebute ) à cette tricherie pratiquée et tolérée par tous, au point qu'elle fait partie des plans de match. C'est, un scandale bien plus grand que l'accrochage dans la Ligue nationale de hockey. Bien plus grave que la dope dans le vélo ou l'athlétisme. Une escroquerie qui touche à l'essence même du sport. Tous les systèmes ont leurs escrocs, mais au foot l'escroquerie est en train devenir le système lui-même.

Quelqu'un pourrait-il expliquer, à ces grands cons, qu'ils nous volent le bonheur de les regarder jouer ?