Le samedi 11 juillet 1998


La banlieue pour pays
Pierre Foglia, La Presse, Mondial 98

CLAIREFONTAINE

" M'sieur, m'sieur, t'as vu Zidane ? " Ils sont cinq ou six enfants avec un ballon à la grille du parc Montjoye. On ne les laisse pas aller plus loin. Ils sont pourtant à portée de voix de leurs dieux. D'où ils sont on aperçoit le village de tentes où les joueurs de l'équipe de France rencontrent les journalistes en ce moment même. Le château de Clairefontaine où sont reclus les Bleus depuis maintenant 56 jours est au fond du parc, adossé à la forêt.

- M'sieur t'as parlé à Zidane ?

- Il ne parle pas beaucoup tu sais... J'ai inventé un truc pour : voir leurs yeux briller..

- Il ça dit qu'il savait comment jouer les Brésiliens et qu'il allait leur en péter trois demain.

- C'est vrai m'sieur.

- Il a dit qu'il vous aimait.

Ça c'était vrai. Depuis deux jours, comme s'ils s'étaient donné le mot, tous les. Joueurs disent aille aiment la France mais pas le Stade de France... " Rien que des costards-cravates aux fesses coincées " a résumé le capitaine Didier Deschamps. " Pour le match contre la Croatie, la tribune en face du couloir était pleine de gens en costumes noirs. Comme s'ils allaient à un enterrement. Notre vrai public n'est pas dans le stade. Le stade c'est les sponsors le protocole et tout le bataclan "...

- M'sieur et Thuram, vous l'avez vu Thuram ? C'est vrai qu'il n'est pas né en France...

- C'est pas important où il est né. C'est d'où il vient qui compte. Vous par exemple, vous venez d'une tour dans une cité ?

- Oui m'sieur.

- Eh bien Thuram aussi. Et Zidane aussi. Et Dessailly. Et Henry. Tout à l'heure Thierry Henry a dit qu'il avait appris à jouer dans le parking du supermarché à côté de chez lui et que le gardien se mettait entre deux caddies pour faire les buts...

- Nous aussi m'sieur !

- Voyez bien. Vous venez tous du même pays : la banlieue.

Il faut les entendre parler d'intégration les intellos qui levaient le nez il y a un mois sur le foot qui disaient qu'il n'y avait que les beaufs pour s'y intéresser, il y a même eu un titre dans Le Monde : " Le sport, une machine à ne plus penser ". Ce sont les mêmes qui déclinent aujourd'hui métissages de cette mer, équipe, Dessailly qui Nantes directement de son Ghana natal, Tréziguet d'une favella de Buenos Aires, et Patrick Vieira qui, du Sénégal s'est installé, avec sa mère à Dreux, la première ville s'est donné un maire Front National.

Le foot modèle d'intégration. Voilà ce qu'ils disent aujourd'hui.

Charriez pas. Comme dit l'Ivorien qui fourgue de la came sur l'avenue de Président Wilson : " Le foot, pour intégrer un Ghanéen, un Sénégalais à la fois ça va. Le Ghana, le Sénégal ils adorent. Mais les black de la banlieue, jamais. C'est trop près de chez eux...

L'AUTRE FINALE -

La France contre le Brésil. Zidane contre Ronaldo. La samba contre la valse. Mais aussi Adidas contre Nike.

Adidas et l'équipe de France sont ensemble depuis 33 ans. Alors que Nike débarque à peine dans le monde du soccer. C'est pendant le Mondial aux États-Unis que Phil Knight le PDG de Nike a décidé d'embarquer. Et comme il ne fait pas les choses à moitié, il est allé voir les Brésiliens, et il a mis 400 millions sur la table pour quels portent ses souliers. Holà, ont fait les Brésiliens. Dans la foulée s'est aussi payé l'équipe les Pays-Bas et le Nigeria.

Les pubs Nike pour le Mondial jouent sur le plaisir, celles d'Adidas sur un esthétisme volontairement froid, la formule du style " la victoire est en nous "...

Adidas avec 32% du marché est encore loin en avant en Europe. Et avec un petit avantage dans cette finale : il fournit le ballon.

L'AVIS DU TECHNICIEN -

C'est une blague, je ne suis pas technicien du tout. La preuve...

De ce que j'ai pu voir de ce Mondial, le foot moderne se joue de deux manières. La première consiste à ne pas prendre de buts. La seconde consiste à en compter.

Sur les équipes qualifiées dans ce Mondial, 28 jouent selon la première manière. Les quatre autres, le Brésil, l'Argentine, le Nigeria et les Pays-Bas aussi, mais de temps en temps, quand ils mènent 4-0, alors ils se risquent à la seconde manière.

La première manière est européenne, en particulier italienne. L'ennui c'est que les meilleurs joueurs du monde jouent en Italie. Aldair, Cafu, Ronaldo, Leonardo, Batistuta, Boban, Ayala et toute la défense argentine, Zidane, Kluivert, Deschamps, Djorkaeff, Desailly même s'il jouera en Angleterre l'an prochain, et quelques dizaines d'autres jouent en Italie. Ou en Espagne. Ou en Allemagne.

Je corrige donc ce que je vous disais, il y a deux manières de louer au foot. La première, que pratiquent toutes les équipes. Et la seconde, quand elles jouent contre la Corée du Sud.

SURTOUT PAS ! -

Même si c'est nono les tirs au buts, au moins un truc dans ce Mondial : il n'y a pas eu de conclusion crève-coeur dans aucun des trois matches qui se sont terminés de cette façon. La chance a choisi le bon côté lors de France-Italie, puisque la France méritait nettement le match. Brésil-Pays-Bas, c'était moins évident, c'eût été bien aussi si les Hollandais l'avaient emporté. Angleterre-Argentine... peut-être que les Anglais qui ont défendu héroïquement à dix méritaient-ils un meilleur sort, mais bon, espérons qu'on n'en arrivera pas là demain. Comme la dernière fois à Los Angeles. Vous vous rappelez la finale de 94 ? Italie-Brésil. 0-0 à la fin du temps du temps supplémentaire. Affreux. Plus ennuyeux que cela je ne vois que la Saskatchewan fin novembre. Le Brésil l'emporte 3-2 quand Baggio rate son péno. Une misérable conclusion pour le championnat du monde du sport le plus universel de la planète 1

M. Ronaldo ou M. Zidane sont priés de veiller à ce que cela ne se répète pas.

RIEN À VOIR -

Une autre affiche surprenante sur les murs de Paris en ce moment pose cette question coup de poing : faut-il tuer les enfants d'Irak ? Pas un graffiti. Une affiche, faite pour être vue à un kilomètre. Un immense machin dans le ciel de Paris : Faut-il tuer les enfants d'Irak ? Oui ? Non ? Et deux cases pour cocher sa réponse. On l'envoie à qui ?

COÏNCIDENCES -

C'est drôle que cela arrive maintenant, comme un clin d'oeil. Le général Videla emprisonné à Buenos aires. Berclusconi condamné à trois ans de prison pour corruption et en attente de cinq autres procès pour collusion avec la Mafia... Videla était le dictateur au pouvoir en Argentine en 78 quand les Argentins ont gagné la coupe du monde chez eux, c'est Videla qui a remis la coupe à Passarella l'actuel entraîneur de l'Argentine... Silvio Berlusconi, Il Cavaliere, c'est le chef de l'opposition italienne, président de Forza Italia et du prestigieux club du Milan AC... Videla, Berlusconi, figures du foot d'hier.

Aujourd'hui, qui ? Trudjman le Croate, Tapie le Français ? Havelange le Brésilien ? Le foot sport populaire et populiste, lieu de crédulité et de déshérence. Terre bénie pour les démagogues.

DOPÉS ? -

Évidemment non. 240 contrôles depuis le début du Mondial, aucun cas de dopage. Une bonne raison à cela. Les drogues qui font courir longtemps et qui donnent des cuisses grosses comme ça sont indétectables sans contrôles sanguins. Les contrôles du Mondial sont des contrôles pipi. Comme ça on est sûr de ne pas gâcher la fête.

CHEAP LABOR ? -

Ce sont les fédérations nationales qui paient les joueurs qui participent au Mondial. Les fédérations sont aidées par des sponsors, et par la fédération internationale qui leur retourne une partie des droits télé. Bref, les Français par exemple, se partageront 15 millions de nos dollars. À 22, ça ne fait pas un million chacun, pour deux mois de travail. C'est bien. Mais les stars du baseball doivent rigoler...

COMME À LA RADIO -

Les lignes ouvertes sportives françaises sont aussi ineptes que les nôtres. Mais de temps en temps, comme sur les nôtres, un coup de gueule réussi. Je suis tombé sur celui-ci, sur la ligne ouverte sportive de RTL : " Je ne félicite pas le journal L'Équipe pour le mépris avec lequel il a traité Aimé Jacquet, l'entraîneur de l'équipe de France. Au fond, ce que L'Équipe n'apprécie pas de Jacquet, c'est sa modestie. Son côté travailleur de fond. L'Équipe fait son fric avec le petit peuple, mais à travers Jacquet, elle le méprise ".