Le dimanche 12 juillet 1998


Avec des yeux d'enfant
Pierre Foglia, La Presse, Mondial 98

La voilà donc, cette finale de rêve, ce grand bonheur de sport auquel n'osaient croire les Français au début du Mondial. La totale, comme ils disent. La plus belle finale que pouvait espérer ce Mondial, c'est bien ce France-Brésil, même si je continue de croire que l'Argentine et peut-être l'Angleterre leur étaient supérieures.

Mes prédictions ? Le Brésil devrait l'emporter 2-0 et ce ne sera pas un grand match. Comme presque toujours les finales de n'importe quoi.

Mais bien sûr je souhaite le contraire. J'aimerais bien une victoire française pour le bonheur que cela donnerait à la France, ce pays si souvent morose, qui ne fait jamais rien comme les autres, même au foot. Alors que les sélections de la plupart des autres pays à ce Mondial ont trop souvent donné l'impression que pour devenir un bon joueur de foot, il fallait être con, prétentieux et caractériel, les joueurs français, à deux exceptions près ( Leboeuf et Lama ), forment un groupe d'une rafraîchissante humanité. Des garçons simples, modestes et drôles. Je pense à Thierry Henry, à Thuram, à Barthez, à Petit. Zidane aussi, bien qu'il soit tout le contraire de drôle. Tragique, Zidane. Sombre, Zidane. Mais le ballon au pied, soudain lumineux. Zidane qui, à lui seul, nous dit que le sport, avec la poésie et la confiture de mirabelles, est ce qui peut nous arriver de mieux après le pire.

J'avoue aussi un grand faible pour le monsieur Jacquet. Quant il est venu pour la conférence jeudi, on a crié bravo et on l'a applaudi.

" On " inclut ici la personne qui parle. C'est la première fois de ma vie, je crois bien, que j'applaudis un entraîneur.

En fait, j'applaudissais un parcours. Plus encore que dans sa diversité ethnique, la France a puisé son succès dans le TRAVAIL. Le mot fera frémir bien sûr ceux qui se réclament de la fête, du champagne, du magique. Du talent même.

Dans ce Mondial, on a trop souvent opposé le travail à la fête. Le laborieux à l'artiste. M. Jacquet a répondu que c'était mal poser le problème. Que ce n'était pas l'un OU l'autre, mais l'un ET l'autre. Il fallait un certain culot, au moment où tout le monde disait que le bonheur était dans la fête, pour répondre qu'il n'y aurait pas de fête sans travail, et donc que le bonheur était dans le travaille n'est pas là qu'une grande vérité du foot.

Je vous écris tout ça dans l'avion qui me ramène à Montréal. Je regarderai la finale à la télé comme vous. Des histoires de réservations, de liste d'attente, je ne vous raconte pas.

Ça fait trois jours que je patauge là-dedans. Si j'étais resté, j'aurais, regardé aussi la finale à la télé, sur l'écran géant de la place de l'Hôtel-de-Ville où j'avais prévu de passer ce dimanche après-midi. Tant pis. Je rentre content de m'être frotté une fois de plus au grand rituel du sport, si éclairant sur les valeurs qui façonnent l'homme et sa fiancée.

Tant mieux, je regarderai cette finale avec vous. Et comme vous, avec des yeux d'enfant.