Le dimanche 12 juillet 1998


Brésil : portrait de groupe
Pierre Foglia, La Presse, Mondial 98

Ronaldo, Ronaldo... vous ne voyez que le numéro 9 sur le terrain. Vous ne voyez pas grand chose finalement. Comme si, dans un match de basehall, vous n'attendiez que le catch du joueur de champ. Ou le coup de circuit. Vous allez peut-être attendre longtemps. Il n'y en aura peut-être pas de coup de circuit. Ronaldo n'est pas Garrincha, ni Pelé, ni Maradona. Il sait dribbler parce qu'il est Brésilien, mais on ne fait pas " olé " quand il dribble, il ne fabrique pas le jeu non plus, on se demande souvent ce qu'il fait dans le match... Et c'est juste à ce moment-là que lui arrive un ballon comme un autre, mais cette fois il y a un espace libre devant lui, il se jette dedans, et en un éclair on comprend tout : Ronaldo c'est Donovan Bailey avec un ballon dans les pieds. Ce que Ronaldo a d'absolument phénoménale c'est sa vitesse. Et plus encore, son départ-arrêté, ce coup de canon, cette impulsion, exactement comme un coureur de 100 mètres, qui lui permet de prendre le joueur de défense de vitesse. Cela peut arriver dix fois dans une partie. Ou trois fois. Ou pas du tout.

( Petite note en passant, Ronaldo est Nike comme Michael Jordan et Tiger Woods. Mais pas sur le même pied. Michael et Tiger sont des dieux tout en haut des cieux, Ronaldo un petit dieu itinérant que Nike transfert au gré des besoins de son marché, à tout juste 21 ans, Ronaldo est ainsi passé de Eindhoven à Barcelone à Milan ).

Mais revenons à la Seleçao. Si Ronaldo est la fusée du Brésil, le Brésil n'est pas que la rampe de lancement de cette fusée. Le Brésil c'est une équipe de foot beaucoup moins samba qu'on le dit, beaucoup plus technique qu'il n'y paraît, une équipe caméléon aussi bien capable de fermer le jeu que de l'ouvrir. Une équipe qui pivote sur un axe qui n'est pas Ronaldo, mais le grognon Dunga.

Portait de groupe.

DUNGA, justement. Il ne porte pas le brassard bleu de capitaine pour rien. C'est lui le boss de cette équipe. Paraît que Dunga en brésilien veut dire " nono ", ce doit être un contre-sens parce que Dunga est tout ce qu'on veut, sauf nono. C'est l'âme teigneuse de la Scleçao. Il ne se gêne pas pour engueuler et des fois bousculer ses coéquipiers devant 80 000 personnes. Surtout Bebeto qu'il n'aime pas beaucoup... il porte le numéro 8, il couvre beaucoup de terrain juste devant les défenseurs, il a les jambes très arquées, il tire presque tous les coups francs et tous les corners.

ALDAIR, un des pappy de l'équipe. Ce qu'il a de plus remarquable après son jeu de tête, ce sont ses oreilles qu'il a très grandes et très décollées au point ou le second sport de Aldair est la planche à voile mais sans planche et sans voile. Juste avec les oreilles. Il porte le numéro 3, joue au centre de la défense brésilienne.

JUNIOR BAIANO - Le grand copain d'Aldair. Un taciturne. Joue mal depuis le début du Mondial. Le seul que Dunga n'ose pas engueuler. Le confident des jeunes et le médiateur de l'équipe. Il porte le numéro 4, joue à droite de Aldair.

Au fond de l'autobus qui transporte les joueurs brésiliens, ils sont toujours trois à déconner et à jouer du tambour, sorte de mini colonie de vacances : Denilson, Roberto Carlos et Zé Roberto, ce dernier toujours sur le banc des remplaçants.

DENILSON est le plus nègre de l'équipe, un peu le sosie de Carl Lewis. L'entraîneur Zagallo le fait rentrer vers fin de la première demie ou au début de la seconde, toujours en remplacement de Bebeto. Vous vous souvenez combien le Québec, plus tôt ce printemps, était déchiré entre Moog, Thibault, puis entre Thibault et Théodore ? Pareil pour le Brésil entre Denilson et Bebeto. Sauf qu'il y a 160 millions d'habitants au Brésil. Et que lorsque 160 millions de personnes radotent, ce n'est plus du radotage, c'est de l'hystérie... Bref, Denilson ( numéro 19 ) est le plus cher remplaçant du monde. Il vient d'être acheté 50 millions ( record de l'histoire du foot ) par l'équipe de Séville. À noter, Ronaldo a beaucoup plus de ballons et d'occasions quand Denilson est sur le terrain...

ROBERTO CARLOS - Tout petit. Très vite. Des cuisses monstrueuses. Il n'est pas né avec. Il les a faites en mangeant des épinards et plein d'autres trucs qu'on peut acheter dans les salles de musculation. Le tir le plus lourd de l'équipe. Porte le numéro 6, joue derrière, à gauche. BEBETO - Il est haï par toute l'équipe, en particulier par Dunga. Mais l'entraîneur Zagallo le protège, avec raison me semble-t-il. Il compte plein de buts même s'il a 34 ans. Quand il marque un but, il fait aller ses bras comme pour bercer un enfant. C'est parce qu'il vient d'en avoir un autre. Chaque fois qu'il marque un but, il fait un enfant. Et vice-versa. Il porte le numéro 20.

SAMPAÏO - Toujours en train de faire son signe de croix, ce doit être pour se faire pardonner son jeu dur. Un teigneux. Et un solitaire, on le voit souvent son cellulaire collé à l'oreille. Paraît que c'est avec Dieu qu'il est en conversation. Paraît qu'il a son numéro à la maison. Porte le numéro 5. Vous allez le voir souvent sur le dos et dans les jambes de Zidane.

RIVALDO - Un autre des curés de cette équipe très pieuse. Un millieu de terran très offensif, le meilleur Brésilien et un des meilleurs joueurs tout court de ce Mondial. Il porte le numéro 10. Se fait souvent engueuler par Dunga parce qu'il est très offensif justement. Dunga aime pas ça. Dunga aime quand ça se termine 1-0.

LEONARDO - Le Français de l'équipe. Il a joué en France, il parle français, il trippe France, filles, Champagne. Un joyeux drille, copain avec tout le monde, aussi élégant sur le terrain que dans le civil. Le préféré des journalistes. Il porte le numéro 18.

TAFFAREL - Le gardien de buts. Héros du match contre la Hollande ( il a bloqué deux tirs au but ), Taffarel est pourtant considéré comme un gardien très moyen. Si moyen qu'après avoir gagné la Coupe du Monde aux États-Unis en 94 il s'est retrouvé en chômage et a passé toute une saison à jouer avec une équipe de curés ( des vrais, en soutane ) de Sao Paulo. Garçon timide, il a une grande influence dans l'équipe. Considéré comme le lieutenant de Dunga. Le plus gentil des Brésiliens avec Ronaldo.

CAFU - Je suis mêlé, n'est-il pas sous le coup d'une suspension pour cartons jaunes accumulés ? Anyway, c'est le défenseur droit, il porte le numéro deux, avait failli être renvoyé au Brésil après les matches préparatoires, joue très bien depuis...

Un cas sur le banc des réservistes : EDMUNDO ( numéro 21 ), dit l'Animal. Légèrement psychopathe, il a pété les plombs quelques fois depuis le debut du Mondial, cogné Leonardo et bousculé Bebeto. On lui a interdit de parler aux journalistes.

Finalement, Mario Jorge Lobo ZAGALLO. L'entraîneur. Un vieux monsieur, un presque retraité de 67 ans, si petit qu'on l'appelait la fourmi quand il jouait. Il a gagné deux fois le Mondial comme joueur, une fois comme entraîneur, une fois comme superviseur. S'il gagne ce soir, il aura donc été de tous les triomphes du Brésil. C'est le moins Brésilien des hommes, c'est ce qu'on dira au Brésil ( Pelé le premier ), si la Seleçao perd ce soir. On dira que Zagallo ne méritait pas de gagner parce qu'il n'a pas le culte du beau football. Mais c'est aussi ce qu'on dira s'il gagne " Heureusement qu'il était là pour ramener les artistes sur terre ".

C'est comme ça que Zagallo est grand au Brésil et que Pelé n'est pas son prophète.