Le samedi 14 février 1998


Le secret de Winston Churchill
Pierre Foglia, La Presse, Nagano

Je regardais l'autre soir la descente masculine qui fut jadis l'épreuve reine des Jeux olympiques d'hiver, et je m'ennuyais très légèrement, pas assez pour zapper, mais je me disais c'est tout de même étonnant quand on songe que ces milliards sont dépensés exprès pour nous amuser... Bref, dans la descente masculine, les favoris ont été éliminés sur chute, par un parcours qui n'aurait jamais dû être retenu, et la victoire est allée - paradoxalement pour une épreuve qui récompense en principe la témérité et l'insolence - au plus prudent, un gentil Français qui n'a jamais gagné une course en 14 ans de compétition.

Il n'y a pas que Radio-Canada qui est en train de rater les Jeux. Et il n'y a pas que le mauvais temps qui sévit à Nagano. Il y a aussi un je ne sais quoi de trop grand, de trop vide, dans lequel on se perd et qu'on remplit avec des commentaires aseptisés et des images qui ne renvoient à aucune action. Une bien grande armée pour des petites manoeuvres. Une bien trop grande enveloppe pour ce que l'on a à mettre dedans. Si les Jeux d'été sont gigantesques en même temps que compressés et débordants, les Jeux d'hiver, au contraire, sont distendus et boursouflés. Et leurs médailles dévaluées par d'aimables amusements comme le curling qui ne mesurent ni la force, ni la vitesse, ni les capacités athlétiques des participants. Je lis dans la boîte vocale des sports, d'un lecteur fâché contre moi, que le curling mesure la science. Fort bien. Je suggère qu'on donne à la meilleure équipe de curling un prix Nobel de physique ( pour l'étude des frottements sur les surfaces lisses ) plutôt qu'une médaille olympique.

Le succès des Jeux reposent sur leur capacité à faire rêver. Rien d'autre.

Et c'est sûr, le curling fait rêver les joueurs de curling. Luc Bradet et Marie-Claude Savard-Gagnon ont fait rêver tout Baie-Saint-Paul. Au hockey, la victoire inattendue du Japon sur l'Autriche a fait rêver Dave King, l'entraîneur adjoint du Canadien qui est aussi l'entraîneur des Japonais. La victoire plus que probable de Stojko ce matin fera rêver le Canada entier qui se reconnaîtra plus dans ce solide fils d'immigrant que dans la nonchalance d'un Rebagliati, mais lui aussi a fait rêver sa gang.

Le rêve morcelé. Le rêve à la pièce. Mais où donc est passé le grand rêve olympique lui-même qui fait tripper les sportifs du monde entier ? Où sont les autres Bjorn Daehlie ? Vous ne savez pas qui est Bjorn Daehlie ? C'est exactement ce que je veux dire.

À des étudiants qui me demandaient récemment " ce qui m'intéressait le plus dans la vie ", je n'ai pas pris une seconde pour répondre : " Le sport mes amis, le sport. "

Et je me pose la question : y a-t-il encore du sport aux Olympiques ? Ou n'en reste-t-il plus que la cérémonie, avec ses curés, sa liturgie, sa logique marchande, sa morale lardée de spots publicitaires ?

Je regardais l'épreuve reine des Jeux, la descente masculine, je m'ennuyais très légèrement et je me disais c'est pas normal que je pense en ce moment à Winston Churchill, qui avait répondu à des étudiants qui voulaient savoir le secret de sa longévité :

- Le sport, mes amis. Jamais de sport.

Une drogue qui rend con -

Un détail, mais peut-être pas.

J'ai été le premier à me tromper. À dire que la marijuana n'améliorait pas la performance. La nouvelle sur Rebagliati venait de tomber, il était tard, j'ai envoyé mon texte et j'ai vérifié après. C'est le contraire qu'il faut faire : vérifier avant. Anyway.

J'ai rectifié le lendemain. Sauf que je me retrouve maintenant à peu près seul à dire que la mari peut aider à performer. De Halifax à Vancouver, on soutient le contraire : la marijuana ne peut, en aucun cas, aider un athlète à performer.

Une réserve, toute petite, toute timide : le docteur Christiane Ayotte, directrice du laboratoire antidopage de l'INRS, admet que le pot peut réduire le stress. Mais elle se dépêche d'ajouter qu'il est dans l'ensemble largement contre-performant.

Convenez, madame, que pour un athlète, le stress n'est pas une mince affaire. S'il est des stress productifs, d'autres sont paralysants, et je ne vois pas comment on peut dire du même souffle que le pot diminue le stress, mais qu'il n'aide pas à la performance. Convenez qu'un gardien de but qui n'a pas peur, un surfeur euphorique, un tireur complètement calme, ont un certain avantage sur les autres...

Ce n'est sûrement pas un hasard si les potteux les plus célèbres du sport sont des gardiens de but de soccer qui subissent une pression extraordinaire avec ces ballons qui arrivent à 100 km/h dans leurs buts trop grands. Bien entendu, ce ne sont pas les mêmes recettes, pas les mêmes pétards pour performer et pour " buzzer ". Comme pour les autres drogues, tout est affaire de dosage.

Hors du Canada, il se trouve de nombreux spécialistes du doping, comme Claire Carrier, psychiatre à l'Institut du sport français, comme le professeur Escandre du même institut pour soutenir que le cannabis aide à performer. Glanni Benzi, membre de la commission antidoping et directeur de l'Institut de pharmacie de l'Université de Pavie affirme " La mari améliore la performance en gommant les inhibitions et en donnant à l'athlète une meilleure acuité visuelle. La mari est efficace dans les épreuves courtes. Après 20 minutes, elle amène une lassitude contre-productive. " ( La Gazzetta dello sport, ce jeudi, page 25 ).

Je ne veux pas avoir raison. Je constate seulement que les journalistes, les chroniqueurs, les andouilles qui radotent aux tribunes téléphoniques sportives, les responsables politiques ( Jean Charest entre autres ), les pontes du sport canadien (Walter Sieber au Point), les gens qui n'ont jamais tiré sur un joint comme les gens qui fument tous les jours depuis 20 ans, les gens qui étaient contents qu'on ait redonné la médaille à Rebagliati comme ceux qui étaient furieux, tous, tout le Canada disait la même chose ce matin : le cannabis est une dope qui n'améliore pas la performance des athlètes.

Eh bien ! c'est faux.

Je ne veux pas avoir raison. Mais je constate que cette désolante unanimité ne s'explique que par le fait que Ross Rebagliati est canadien.

Et c'est à cette dope-là que je voulais en venir: le chauvinisme, une dope qui n'améliore pas la performance des nations, et même les rend un peu connes.