Le dimanche 3 janvier 1999


N'allumez pas le messager !
Pierre Foglia, La Presse,

L'effet verglas. Pour certains, comme Steve Flanagan, il dure toujours. Quand ils ont su que j'allais le rencontrer, plusieurs de mes confrères qui ne le tiennent pas en odeur de sainteté se sont pincé le nez : " Ouache, tu vas pas faire un truc sur Flanagan ! Pas lui ! " Le croiriez-vous : je ne savais pas qui il était… Bof, je ne l'ai pas trouvé si pire que ça. Un faiseur d'images prisonnier de la sienne. La chose est assez commune.

Quand est arrivée la tempête de pluie verglaçante, Steve Flanagan venait tout juste de se séparer. Il ne tenait pas la forme olympique. Il était, à ce moment-là, un des quatre attachés de presse du service de presse d'Hydro-Québec. Un stratège. Un faiseur d'images. Un doreur de pilule. Trente-cinq ans. Une petite face blême. Les secrétaires ne l'embrassaient pas de force sur la bouche dans les ascenseurs.

Un an plus tard non plus. Mais, hé hé... elles se poussent du coude : " T'as vu, c'est Flanagan. " Les gens se retournent dans la rue. Tous les petits hebdos l'ont eu en entrevue. Les serveuses dans les restaurants, les pompistes, les chauffeurs de taxi, partout, à Montréal, à Rimouski, cet été sur les pentes du mont Jacques-Cartier en Gaspésie : " Bonjour M. Flanagan ! On ne vous en souhaite pas une autre ! " Des demandes d'autographes pour la belle-soeur, pour une amie au bureau. Le matin même de cette entrevue, un sans-abri qui a tenu à lui serrer la main : " Je vous félicite M. Flanagan. " Et one for the book comme on dit, la notoriété par l'absurde, le comble du téteux, un type dans la rue qui est allé à sa rencontre et lui a dit en lui serrant la main : " Je m'excuse M. Flanagan DE NE PAS VOUS CONNAÎTRE, j'ai pas pu regarder la télé pendant la crise. "

Qu'a donc fait M. Flanagan pendant le verglas pour atteindre une notoriété telle qu'on s'excuse de ne pas le connaître ?

Absolument rien. Il n'a pas replanté un seul poteau, pas rebranché un seul abonné.

Il a fait de la télé.

Il était le messager du verglas à la télé francophone. L'homme par qui sont arrivées les mauvaises et les bonnes nouvelles. Plus de 400 apparitions au petit écran ! À l'heure du souper, il pouvait donner, en direct, jusqu'à 14 entrevues ! Mais c'est curieusement un court papier dans la presse écrite qui en fait une star. Alors que les pannes dépassaient le million, Louise Cousineau écrivait dans La Presse du 13 janvier : " Voir se pointer la belle tête de M. Flanagan est un grand réconfort... il a assez de chaleur pour nous empêcher de détester l'Hydro. "

Le stratège venait de crever l'écran. Le faiseur d'images devenait prisonnier de la sienne. Le lendemain du papier de Cousineau, sa photo était placardée partout dans le hall d'entrée d'Hydro. Et ce n'était pas de l'ironie. C'était de la fierté corporative. La veille du papier de notre consoeur, alors que la moitié de la province était dans le noir, Le Devoir annonçait en manchette que 97 % des Québécois étaient satisfaits d'Hydro. C'est à ce moment-là, dans le noir, que l'auréole au-dessus de la tête de Steve Flanagan a commencé à flasher.

À la fin de la crise, toute la province voulait avoir Steve Flanagan à son congrès, pour une conférence, pour un cours de communication. Tout le monde avait la même brillante idée pour le présenter : " On va éteindre les lumières, vous les allumerez en arrivant. "

Il a donné sa première conférence à l'invitation du ministère du Revenu, dans le cadre de la semaine internationale de la femme, sur le rôle des femmes pendant la crise ! Que pouvait-il bien en savoir ! Il passait 18 heures par jour en studio. Pas grave, on voulait l'avoir. On l'a fait arriver avec un fanal au gala des Métro-Stars. Il est devenu et il est toujours chargé de cours en communication à l'UQAM, à Laval et l'Université de Montréal. Il est aussi devenu boss des relations de presse d'Hydro.

Mais sa job est toujours la même : nous empêcher de haïr l'Hydro. Si j'ai compris, ce n'est pas si facile que ça quand il n'y a pas de tempête de pluie verglaçante.