Le jeudi 14 janvier 1999


Le feu sacré
Pierre Foglia, La Presse,

Enfant il rêvait d'être pompier. Et il est devenu pompier. À la caserne 20, de biais avec le journal The Gazette.

Il gagne 53 000 $ par année. Il ne trouve pas que c'est beaucoup. Il ne trouve pas non plus que ce n'est pas assez. Il dit que c'est bien. Que ça correspond à sa job. Aux risques qu'il prend. Aux horaires de fou. À son implication. À sa formation. Il dit que les gens se font une drôle d'idée de la job de pompier. Les gens voient un gros feu à la télé, puis un autre un mois plus tard et ils pensent qu'entre les deux feux, les pompiers jouent aux cartes, se font venir des mets chinois et des Putes, et voilà. Mais c'est pas comme ça.

Les incendies, c'est juste une partie de la job. Il y a plein d'autres choses. Pensez au hockey, les joueurs qui vont dans les coins...

- Tu veux dire plombier ?

Plombier, pompier, serrurier, dépanneur d'ascenseur à trois heures du matin, ouvreur de char en feu, déblayeur de structures qui se sont effondrées, sauveteur. Le mot qui décrit le mieux notre tâche : sauveteur. De biens, de personnes, et même de chiens. En octobre je suis allé sauver un petit chien qu'un maniaque s'est amusé à faire grimper dans la structure du pont Jacques-Cartier. Je suis passé dans le Journal de Montréal, un petit encadré avec la photo du chien, ils nous trouvent bien " cutes " dans ce temps-là.

- Les risques ?

Tu veux dire monter dans la structure du pont ? Les risques en général, quand il y a un gros incendie ? Quand j'ai commencé il y a quinze ans, c'était pas mal plus rock'n'roll. Tu passais pour une tapette si tu mettais ton Scott ( l'appareil pour ne pas respirer la fumée ). Aujourd'hui tu passerais pour un débile si tu ne le mettais pas. Tu ne pourrais pas, d'ailleurs. Avant, tout était en bois, les gars se vantaient de manger la boucane. Maintenant c'est des plastiques qui brûlent, des produits chimiques, t'avales ça une fois, t'es ravagé pour toujours. Les risques, les risques, y'en a. Mais faut pas exagérer. C'est pas plus dangereux d'être pompier que de travailler dans un Provisoir ou faire du taxi la nuit.

- Ben d'abord qu'avez-vous à vous plaindre ?

Je ne me plains pas.

- Il y a un problème non ? Dis-moi qu'il n'y a pas de problème avec les pompiers en ce moment à Montréal !

Si mais je ne sais pas plus que toi. On a signé la convention en avril. Tout le monde était content. Et début décembre c'est le bordel. La ville interprète la convention collective d'une manière, le syndicat de l'autre.

- T'es d'accord avec les pressions du syndicat ?

Pas du tout. Mais je ne suis pas d'accord non plus avec la Ville. Ni avec le temps que ça prend au médiateur pour proposer une solution. Je vais te dire, tout ça c'est des histoires de pouvoir. Des combats de petits coqs. Je vais te raconter un truc qui n'a rien à voir avec le conflit, mais pour moi si, ça à voir. C'est la même affaire, la même dynamique... Comme bien des pompiers je suis impliqué dans les levées de fonds pour la dystrophie musculaire et les Grands brûlés. Une année, c'est moi qui suis allé porter le chèque au téléthon de la dystrophie. Et je les ai vus s'engueuler sur le libellé du chèque. L'animateur devait-il dire que le chèque venait du syndicat des pompiers, de l'état-major des pompiers ou de l'administration municipale ? Imagine. La dystrophie, pour moi, c'est des enfants qui souffrent, c'est une cause importante, qui me tient à coeur. Quand je les ai vus tirer la couvarte chacun de leur côté, j'en revenais pas, je me suis dit ma gang de crisses... Finalement l'animateur a annoncé que le chèque venait du syndicat des pompiers. T'aurais dû voir la gueule que faisait l'état-major.

Je ne suis pas devenu pompier pour jouer avec des couvartes. Je suis pompier parce que c'était mon rêve d'enfant. J'avais huit ans, je me tenais à la caserne de Beloeil tous les jours, les gars étaient tannés de me voir, ils m'avaient raconté toutes leurs histoires trois fois, ils me disaient va-t-en fatigant... À 18 ans, je suis devenu pompier volontaire à McMasterville, après je suis entré à l'institut de protection contre les incendies et après à la Ville de Montréal. Et un coup entré, j'ai continué à me perfectionner. Toujours en super condition physique. J'ai toujours eu le feu sacré.

- C'est bien pour un pompier d'avoir le feu sacré.

C'est la première fois en quatorze ans de job que je suis écoeuré de ma job. De ce qui se passe. De ce qui ne se passe pas. De ce qui se dit dans les journaux. Non, je ne suis pas d'accord avec les moyens de pression du syndicat. Mais l'administration a une sacrée part de responsabilité dans cette histoire-là, et ça, vous n'en parlez pas. Je vais te raconter une autre petite affaire, une niaiserie, mais c'est plein de petites niaiseries comme ça à la job, et ça finit par finir comme ça finit là : tout croche... Bon, ma niaiserie : je t'ai dit que j'essayais toujours de me perfectionner. Ma spécialité c'est les voitures en feu et un jour j'ai entendu parler d'un petit gadget déjà utilisé par d'autres corps de pompiers ailleurs dans le monde, un truc pour briser la vitre des autos, ça s'appelle un poinçon à percussion. C'est gros comme un stylo, ça tient dans la poche. De requête en requête aux 12 000 comités qui s'occupent de l'approvisionnement à la ville, ça m'a pris deux ans pour avoir ce truc-là. Une dépense d'environ 150 $. Tu fais pas grève pour ça. Tu fuckes pas le matériel, tu déguises pas ton camion en sapin de Noël non plus. Mais ça finit par gâter l'atmosphère. Et quand l'atmosphère est pourrie il y a des gens qui en profitent des deux bords pour faire avancer leur carrière, pour jouer leurs petites games de pouvoir.

Tu sais, à peu de chose près, l'état-major des pompiers d'aujourd'hui, c'est la direction du syndicat d'hier...

J'ai deux petits garçons, sept et cinq ans, que j'élève tout seul, pour des raisons que je ne dirai pas ici. Ce que je peux te dire, c'est que c'est un grand bonheur de les entendre rire, de les voir s'amuser, je les traîne partout, bien sûr, en temps normal, je les traîne parfois à la caserne, et devine un peu ce que mes petits schtroumpfs veulent faire plus tard ? Pompiers ! Ben oui. Comment t'as deviné ?

J'étais bien fier. Je le suis pas mal moins ces jours-ci. Je surveille la télé. Je censure. Je veux pas qu'ils voient nos trucks barbouillés. Et aussi, je veux pas qu'ils écoutent quand on dit que leur père est un crotté.