Le samedi 23 janvier 1999


Le suceur ne suce plus
Pierre Foglia, La Presse,

En fait si. Le suceur cuivré suce encore, Mais sous un autre nom. Laissez-moi vous raconter aujourd'hui une histoire bien de chez nous, l'histoire d'un poisson suceur devenu téteux pour des raisons de morale et de subventions.

Rappelons d'abord que le suceur cuivré est un poisson qui ne vit qu'au Québec. De son nom scientifique moxostoma hubbsi, il a été découvert par Vianney Legendre, un biologiste québécois qui lui a donné ce nom-là en l'honneur de son oncle Gaétan, un solide Gaspésien qui se déguisait en infirmière pour aller pêcher le maquereau, on n'a jamais su pourquoi.

Le suceur cuivré vivait dans le Saint-Laurent. Il en a été chassé par la pollution et on ne le trouve plus aujourd'hui que dans le Richelieu, et depuis tout récemment, dans le nouveau refuge faunique de la rivière des Mille-Îles.

Le suceur cuivré, comme son épouse d'ailleurs, la suceuse bronzée, se nourrit exclusivement de petits mollusques, et ce serait pour cette raison qu'il se serait établi au Québec où le petit mollusque abonde comme chacun sait.

C'est parce que le suceur cuivré est menacé d'extinction qu'on a annulé, en 1993, un projet de barrage hydro-électrique sur le Richelieu à la hauteur de Chambly où, précisément, le suceur a établi son unique frayère connue. Je me souviens d'avoir posé la question à l'époque à un biologiste du ministère de la faune : " Supposons, leur ai-je dit, supposons que le suceur cuivré disparaisse. Pis après ? "

- PIS APRÈS ! ! ! s'est scandalisé le biologiste, mais vous ne vous rendez pas compte. Ce serait une perte considérable pour le patrimoine génétique mondial.

Bref, les 43 suceurs cuivrés du Richelieu ont réussi là où les riverains de la ligne Hertel-Des Cantons ont échoué : ils ont fait reculer l'hydro-électricité. De là mon hypothèse que les riverains de la ligne Hertel-Des Cantons ne font probablement pas partie du patrimoine génétique mondial.

Je disais donc qu'un bataillon de biologistes et de chercheurs étudient les moeurs du suceur cuivré. Ils ont placé des caméras dans son habitat. Surveillent ses ébats amoureux qui ont lieu le 12 mars chaque année. Vers trois heures moins le quart, le suceur arrive à la maison avec des fleurs. Vers trois heures dix c'est fini. Après ils ne regardent pas la télé, ils n'écoutent pas Lynda Lemay, mais ils s'ennuient quand même terriblement jusqu'au 12 mars de l'année suivante.

De temps en temps, un biologiste pêche un suceur cuivré et en coupe une tranche pour l'étudier au microscope. Quand il le remet à l'eau, souvent, le poisson flotte sur le dos. Alors le biologiste le rapporte à sa fiancée qui le fait cuire au court-bouillon. Avec un peu de persil. Un bouteille de vin blanc. Le biologiste est content. Zigoune sa fiancée. Puis regarde la télé, écoute Lynda Lemay et s'emmerde jusqu'à samedi prochain.

Savez-vous combien gagne un biologiste ? Pas assez. Le Québec paie mal ses savants et subventionne misérablement leurs recherches. Ceux qui étudient le suceur cuivré gagneraient des fortunes s'ils allaient étudier le merlan frit aux États-Unis. Mais ils restent ici. À cause du patrimoine génétique mondial. ( Mais aussi parce que leur maman habite pas loin. )

Pour gagner leur vie et payer leurs recherches, ils vont cogner à la porte de l'entreprise privée. Toc, toc. Bonjour monsieur Bombardier, je viens pour le suceur cuivré.

- Pas encore les frères du Sacré-Coeur ? On a déjà donné !

Les savants se sont tannés d'entendre glousser les secrétaires. Ils ont déposé une demande officielle de changement de nom devant un comité de terminologie. Et c'est comme ça que le suceur cuivré est devenu le chevalier cuivré.

Entre vous et moi, ça n'a pas changé grand-chose.

Toc, Toc. Bonjour monsieur. Je passe pour le chevalier cuivré...

Ah oui, c'est celui qui suce ?

SUIVEZ LE GUIDE -

En décembre dernier, le CLSC de Gaspé a donné un atelier sur les maladies transmissibles sexuellement à la polyvalente C.E. Pouliot. Rien de spécial. Recommandations d'usage. Faites pas les cons. Mettez des condoms.

Dans l'hebdo local La Péninsule du 10 janvier dernier, un long texte pour dénoncer cette visite du CLSC à la polyvalente. Sous le titre " Le Sida et le mensonge des condomistes envers les jeunes ", l'auteur, Raynal Blanchette explique aux jeunes que seul l'homme qui accepte de se soumettre à la volonté de Dieu ( baiser pour procréer seulement ) sera sauvé. L'autre, l'impie, attrapera le sida et ce sera bien fait pour lui.

Bon, on est dans un pays libre.

Sauf que Raynal Blanchette est aussi prof de sciences à la polyvalente. Je me mets à la place de ses élèves. C'est une chose de lire des propos un peu criminels dans le journal. C'en est une autre d'avoir pour prof le type qui les tient.

TABLEAU D'HONNEUR -

L'édition de février du magazine L'actualité déroule la liste des cent Québécois qui ont changé le Québec au cours du 20e siècle. Lecture aérobique : on sursaute beaucoup. Lecture bavarde, on parle tout haut en lisant : " Fuck, pas Janette Bertrand ! Elle a changé quoi, elle ? "

Des bonnes surprises aussi. Léa Roback, notre Rosa Luxemburg. Un autre syndicaliste un peu oublié, Gérard Picard. Le docteur Morgentaler. Thérèse Casgrain.

Et bien sûr les incontournables, Lévesque, Trudeau, Lesage, Bourassa, Bombardier, Drapeau, Péladeau, Desmarais, Charlebois, Félix, Maurice Richard... on passe rapidement précisément parce qu'ils sont incontournables. C'est sûr qu'on n'allait pas oublier Vigneault, ni Michel Tremblay, ni Nelligan. Mais Leonard Cohen ? Ah. Est-ce qu'ils ont oublié Cohen ? Et Miron ? C'est tout l'intérêt de ce genre de palmarès : comparer avec le nôtre. Ouf ! Ils n'ont oublié ni Cohen, ni Miron. Ni Anne Hébert.

Mais ils ont oublié le FLQ. On parle de ce qui changé le Québec au cours de ce siècle ? Alors il fallait nommer le FLQ bien avant Lise Payette. Il fallait nommer la revue Parti Pris, bien avant Jean Marchand.

L'ensemble des collaborateurs de la revue avaient établi une première liste de 300 noms avant qu'un plus petit comité la réduise à cent. Mais on peut consulter la liste initiale de 300 noms sur le site Web de L'actualité. C'est moins amusant. Pour employer un terme de sport : notre " banc " est mince ! Déjà qu'on a un peu débordé dans l'insignifiant pour faire cent, alors pour faire 300.

Réjean, franchement, à part de fiancée souvent, t'as changé quoi ?