Le mardi 26 janvier 1999


Le plumeau de Dick
Pierre Foglia, La Presse,

Dick Pound, " notre " Dick Pound, triomphe en ce moment dans le rôle de femme de ménage des écuries de M. Samaranch. Une demi-douzaine de galeux mis à la porte, quelques autres en déroute, et voilà le travail. Voilà en tout cas la couverture bien tirée sur la corruption qui mine le CIO.

Rappelez-vous ce qu'ils disaient, M. Pound en tête, quand les affaires ont éclaté. Ils disaient, mais non, mais non. Ils disaient ce sont des rumeurs sans fondement. Des accusations sans preuve. Des ragots de journalistes. Des jaloux. C'est seulement quand ils ont été dans la merde jusqu'au cou, qu'ils se sont dépêchés de faire un semblant de ménage. Qu'ils ont fait semblant de découvrir ce que tout le monde sait depuis des années : les pots-de-vin, les diamants, les putes et les magouilles.

Ils ferment les yeux exactement de la même façon devant la dope : mais non, mais non, des rumeurs, on n'a pas de preuves.

En cherchent-ils ?

Rappelons-nous comment ces gens-là gagnent leur vie : en vendant de la pureté. En vendant de l'idéal. Leur fonds de commerce n'est pas le sport comme on le croit. NBC n'a pas payé trois milliards et demi pour du patinage, du ski ou du lancer de javelot. Non, ce que NBC a acheté au CIO c'est de l'honnêteté, du fair-play, de la grandeur. D'où l'obligation pour le CIO de nier la drogue. De nier là corruption. Si les athlètes sont drogués et les gardiens de l'idéal olympique corrompus, c'est fini, ce qu'ils ont vendu trois milliards et demi à NBC ne vaut plus un sou.

Cette fois il n'a pas suffi de nier. Ça chauffait trop. Il a fallu faire un petit ménage en vitesse. Un gros ménage eut révélé l'état réel des lieux. Il fallait trouver quelqu'un de neutre, de propre, ( et quoi de plus neutre et de plus propre qu'un Canadien ) pour faire lever un peu de poussière, mais pas trop. Félicitons M. Pound, décidément très doué pour les travaux domestiques. On le savait habile à cirer les souliers de M. Samaranch ( en attendant de les chausser ), il vient de nous montrer qu'il n'est pas maladroit non plus avec un plumeau.

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N'empêche qu'on est passé à côté du vrai scandale qui n'est pas la corruption. Le vrai scandale, si vous voulez mon avis, c'est d'avoir vendu l'âme des jeux à la télé. Quand t'achètes un truc trois milliards et demi t'as le droit de faire ce que tu veux avec. D'exiger plus de steppettes en jupettes et moins de décathlon ; plus de pirouettes qui durent trente secondes et moins de 10 km qui durent une demi-heure ; plus de singeries, de cérémonies, pour garder les gens devant la télé et les bourrer d'annonces.

Le vrai scandale c'est qu'un sport qui n'intéresse pas la télé n'a plus aucun avenir.

Caroline Brunet, double championne du monde en kayak, n'a pas grand avenir. Le triathlète Pierre Heynemand, sans doute le meilleur athlète au Québec en ce moment, n'a pas grand avenir non plus, le triathlon n'intéressant pas la télé parce que trop long et trop dispersé. Autrement dit, le vrai scandale de l'olympisme d'aujourd'hui est culturel. Mais bien sûr tout le monde s'en fout.

Pas moi. Le sport c'est ma culture. C'est par le sport que je me rattache au monde. Par le sport, je romps avec le quotidien. Par le sport je cherche et parfois trouve le sens, la beauté. L'Olympisme était le lieu d'une culture qui ne relevait que d'elle-même, ne cautionnait qu'elle-même. En rupture avec le quotidien " utile ". Lieu d'accomplissement, d'un art de performer qui ne sacrifiait rien au spectacle.

C'est un peu comme si l'on disait que la sculpture est un art dépassé parce que moins montrable à la télé que le théâtre ou les shows d'humour. Les intellectuels monteraient aux barricades pour la sculpture. Pas pour le sport. Les intellectuels ne montent jamais aux barricades pour le sport. Ils vont au sport comme on va aux putes, comme la mafia va à la boxe, comme je vais au théâtre, pour se distraire. Pour se reposer de la culture. Pas moi.

Le sport est ma culture.

Et je trouve scandaleux qu'on en mesure désormais la valeur à ses effets télégéniques.

QUESTION D'HONNETETÉ - Le bureau de dopage ( Doping Hearing Board ) de la Fédération américaine d'athlétisme vient d'annuler la suspension de deux ans que la Fédération internationale avait imposée au sprinter Dennis Mitchell, testé positif en avril à la bonne vieille testostérone.

La coureuse de longue distance Mary Slaney, elle aussi contrôlée positive a été, elle aussi, réhabilitée en catimini par la fédé américaine.

La jeune joueuse de tennis Samantha Reeves a également été excusée : elle ne savait pas que son supplément nutritif contenait des stéroïdes.

Élu athlète de l'année aux États-Unis, le joueur de baseball Mark McGwire se dope ouvertement à l'androsténédiol.

Ces histoires de dopage émeuvent-elles Bill Hybl, le président du comité olympique américain ? You bet. Bill veut que les nageuses américaines qui ont été battues aux jeux de Montréal par des nageuses Est-Allemandes, reçoivent la médaille d'or qui leur revient. " Simple question d'honnêteté ", dit Bill.

LE BONHEUR - Ce qui m'émerveillait le plus chez Michael Jordan, après ses jongleries avec un ballon bien sûr, c'était les réponses qu'il faisait parfois aux journalistes. Était-ce en juin dernier, après la victoire sur Utah, ou l'année d'avant ? " Michael, Michael, qu'est-ce tu vas faire cet été ? " Sur une patte, pressé de rentrer au vestiaire, il avait lâché un truc comme : " Je vais conduire mes enfants à l'école ". Et aussi : " Je vais jouer au golf avec des copains ". Et ça sonnait vrai. On savait que c'est ce qu'il allait faire vraiment cet été-là. Et on se disait voilà un type qui gagne 50 millions par année et qui nous dit que le plus grand bonheur dans la vie, c'est de conduire ses enfants à l'école.

Finalement, si vous voulez mon avis, ce que Michael Jordan aura fait de plus extraordinaire, ce n'est pas de jouer au basketball mieux que n'importe qui avant lui. Ce qu'il aura fait de plus extraordinaire, c'est de nous dire que le bonheur vaut cinq sous et que tu peux l'acheter aussi.