Le mardi 9 février 1999


La mondialisation
Pierre Foglia, La Presse,

Les filets de perchaude étaient un des minuscules bonheurs de nos hivers. Enfarinés et poêlés, sel, poivre, citron, et voilà. il fallait à les manger de préférence avec rien.

Le bonheur, surtout minuscule, se goûte tout nu dans l'assiette.

Au quai du lac Champlain où j'achetais mes filets de perchaudes, on m'a accueilli l'autre jour avec un sourire désolé : fini mon ami, on n'a plus le droit de vendre de perchaude, ni d'ailleurs d'en prendre plus de 50 par jour. C'est la nouvelle loi.

Il paraît que l'espèce était " surexploitée " par les pêcheurs à la dandinette, les pros de la pêche blanche qui prenaient plusieurs centaines de perchaudes par jour pour les vendre en filets, directement aux consommateurs. D'où la nouvelle réglementation entrée en vigueur cet hiver. Interdiction de vendre des perchaudes. Et les prises limitées à 50 par jour.

" Il reste une solution : que vous les pêchiez vous-mêmes ", m'a dit le pourvoyeur du quai... Bien sûr, ce pourrait être amusant. Mais faut avoir le temps. Et puis on n'en prend pas forcément. Et puis quand on en prend, après, faut faire les filets. C'est pas évident. C'est un poisson hérissé d'aiguillons. Mon vieux ! Fait chier la loi.

À quelques jours de là je passe par hasard devant la poissonnerie Odessa, aux Halles de Saint-Jean.

Avez-vous des filets de perchaude ?

Mais oui, me dit le jeune homme au comptoir. Il est allé m'en chercher un paquet en arrière.

Je pensais que vous n'aviez pas le droit d'en vendre ?

Celles-ci oui. Elles ne viennent pas du Québec.

Ah bon. Et d'où viennent-elles ?

De Turquie, monsieur.

Des filets de perchaude de Turquie ? Vous êtes sûr ? De Turquie ?

Oui monsieur, de Turquie. C'est marqué sur la boîte en français et en anglais : " Produit de Turquie ".

J'ai fait frire les filets turcs le soir même. Ce n'était pas très bon. Ils goûtaient un peu le carton bouilli. Est-ce parce qu'ils étaient congelées depuis trop longtemps ? Ou serait-ce une espèce différente de perchaude ? Quelque crapet du Bosphore qu'il conviendrait de manger en brochette avec du yaourt ?

Anyway. Je trouve que la mondialisation est un phénomène bien exotique.

Au fait, savez-vous où je pourrais trouver du sirop d'érable du Zimbabwe ?

MIDNIGHT EXPRESS - Va-t-on savoir un jour ce qui se passe dans les bureaux d'Immigration Canada à Dorval et Mirabel ? Depuis que La Presse a rapporté la mésaventure de touristes retournés dans leur pays ou incarcérés par des agents d'immigration irascibles et abusifs, ça déboule. Dernier cas en date : un étudiant français qui fréquente le Collège Français de la rue Fairmount depuis deux ans, revient de vacances. Il lui manque un papier qu'il a négligé d'aller quérir à l'ambassade. Pour cet oubli il est immédiatement renvoyé à Paris. Il sera de retour le lendemain. Était-ce bien nécessaire de faire débourser 2000$ aux parents de cet un étudiant ( le prix du billet ) pour aller chercher un bout de papier ? Était-ce nécessaire de mettre l'étudiant en cellule pendant la pause café de l'agent qui traitait son cas ? Était-ce indispensable de le menacer et de lui conseiller de faire ses prières ? À quoi joue-t-on ? À Midnight Express ?

Le même jour, une jeune Française qui étudie à l'Université Laval est renvoyée elle aussi au même futile motif. Et avec la même délicatesse.

Le printemps dernier, la comédienne Louise Turcot attend un ami de sa fille à Dorval, un jeune Français de 21 ans. Vous devinez la suite. Attend, attend... finalement Mme Turcot va aux nouvelles et apprend que, pfffittt, l'ami est déjà reparti ! On l'a mis dans l'avion du retour sans lui permettre d'avertir les gens qui l'attendaient à quelques pas de là, ni sa famille en France. Outrée, Mme Turcot demande à parler à l'agent responsable. Pas de chance, il est à sa pause café. À son retour - soit dit en passant, c'est le même agent que j'appelais " le mec " dans une autre chronique, à propos d'un autre cas ! - à son retour le mec expliquera que le jeune Français été renvoyé parce qu'il n'avait pas répondu de " façon convenable " à ses questions et donc qu'il ne pouvait avoir " le privilège " d'entrer au Canada.

Je viens de recevoir un petit mot d'un ex-agent du CEIC ( Centre emploi et immigration Canada ) : " J'ai travaillé deux ans au CEIC, et disons cela comme ça, un tiers des agents sont parfaitement corrects, un autre tiers est inoffensif et attend la retraite, mais le dernier tiers est composé de petits trous d'cul racistes qui font de l'abus de pouvoir leur trip quotidien... aucune empathie, aucune compréhension, c'est la mentalité " farme là sinon j'te la fa farmer. Next ! "

Hé, ho, madame Robillard ! Coucou ! Êtes-vous toujours ministre de l'Immigration ?

Y'A TOUT DE MÊME BIEN UNE LIMITE - Je veux bien me faire engueuler pour toutes sortes de choses, mais deux lecteurs viennent de dépasser la limite au-delà de laquelle je deviens légèrement psychopathe.

Marc Richard de Québec et Catherine, dans deux lettres différentes, me reprochent d'avoir pleuré un peu trop fort dans mon article sur les funérailles de Gaétan Girouard. Sauf que je n'ai pas écrit un mot sur les funérailles, non plus que sur la vie ou l'oeuvre de Gaétan Girouard. Que je confondais d'ailleurs avec Michel Girouard. C'est pour vous dire si j'ai pleuré fort.

Évidemment avec tout ce qu'on a raconté après j'ai pu me faire une idée sur le jeune homme. Vous voulez mon avis ? Une balloune trop gonflée qu'un coup d'épingle fait péter.

GELATO AL LIMONE - Je suis des 3000 malchanceux qui ne syntonisent plus Radio-Canada depuis que CBF est passé à la bande FM. C'est très embêtant. Surtout le matin pour Homier-Roy. Et pour Dussault au midi quinze. Et l'économie le samedi. La science le dimanche. On dira ce qu'on voudra, Radio-Canada c'est meilleur à la radio qu'à la télé. Pour vous dire, même Jean Pagé n'est pas si mal à la radio. Il est vrai aussi que, à cette émission-là - C'est bien meilleur le matin -, Homier-Roy les fait tous bien paraître. Un sacré meneur de jeu. Le pied léger sur tous les terrains. Fondant et acidulé comme une chanson de Paolo Conte, tiens comme gelato al limone.

Dussault, au Midi quinze, c'est tout le contraire. Les hôpitaux, l'Hydro, l'emploi. Rien de léger. Son austérité me fait souvent dire ah non fuck, pas encore les urgences, mais il faut reconnaître qu'il se fait au Midi quinze journalisme de tranchée sans égal dans les médias électroniques. On nous explique les choses avec rigueur et sobriété, on sort de la moins nono, et on se dit que c'est bien de payer des impôts pour une information de cette densité-là, mais pas moi, moi je ne peux plus dire ça, moi je ne pogne plus Radio-Canada.

Fait que j'écoute CKAC. Pis c'est plate.