Le jeudi 11 février 1999


La meilleure pub est la pire
Pierre Foglia, La Presse,

Une des meilleures pubs à la télé en ce moment ? McDo. Le clip de l'huissier qui vient saisir son ami. Si vous ne l'avez pas vu, je ne vous raconte pas. Mais c'est une bonne pub. Une histoire bien ficelée. Des rebondissements. Des trouvailles, la chute surtout. Et ce n'est pas la première fois. Les pubs de McDo sont souvent très bonnes. Le bébé qui, en se balançant, voyait une enseigne McDo, ne la voyait plus, la voyait, ne la voyait plus, c'était pas mal trouvé non plus.

C'est pas vraiment étonnant. McDo a les moyens de se payer les meilleurs créateurs de pub au monde. Quoique le fric ne garantisse rien. Je pense à cette annonce de Ford que l'on voit aussi beaucoup en ce moment à la télé, d'une rare putasserie, vous allez peut-être la replacer, c'est celle qui a l'air d'un message des oeuvres du cardinal Léger, ça parle d'entraide, de partage, on voit des enfants du tiers-monde, on nous culpabilise un peu, on nous dit " avez-vous du coeur " ? C'est à ce moment-là que le char sort du sac, " Nous à Ford nous avons du coeur, nous fabriquons nos autos avec coeur. " Plus puant que ça, tu fais un documentaire sur les mouffettes.

Mais je reviens à ma bonne pub, celle de McDo. Je vous le demande : une bonne pub pour vendre quoi ? Le fin du fin d'un art - l'art publicitaire - pour vendre quoi ? De la petite merde. C'est ce qui me trouble dans la pub. La mieux faite est celle qui vendra le plus de petites merdes. Autrement dit, la meilleure pub est aussi la pire.

À partir d'ici, comptez sur les publicitaires pour me dénoncer comme un vieux schmok atrabilaire. Je vous parie que je vais recevoir 20 lettres proclamant que loin d'être un mensonge, la pub est une des grandes vérités de notre époque. Que les meilleures pubs sont les plus vraies. Que la plus habile des pubs n'a jamais fait vendre un mauvais produit. On me soutiendra aussi que la pub ne crée pas de besoins artificiels, elle ne fait que " révéler des besoins qui existent à l'état latent chez les consommateurs ". Par exemple, mon voisin qui est agriculteur, ne savait pas jusqu'à ce qu'il en reçoive un, à Noël dernier, qu'il avait besoin d'un téléphone cellulaire. " Tu comprends, s'est-il justifié, quand le vétérinaire passait, ma femme était obligée de venir me chercher dans le champ. Maintenant elle pourra m'appeler. " Et d'ajouter un peu frondeur : " C'est pas seulement pour les gens de la ville ces machins-là. " Eh ! bien, c'est mot pour mot ce que dit, en ce moment, une pub américaine de cellulaire : " It's not just for city folks. " Voilà un exemple de " besoin latent " providentiellement révélé par la pub. Yesss.

Je ne sais pas quand, ni comment, on a perdu de vue que la publicité c'était un truc pour nous fourrer, mais on l'a perdu de vue c'est sûr, puisqu'on est en train de la laisser entrer dans les hôpitaux et les écoles.

Pour annoncer quoi dans les hôpitaux ? Des salons mortuaires sur les murs des soins palliatifs ? Des vacances au Club Med sur les murs des urgences ? On me dit que les annonces de médicaments seront interdites. Tu parles ! Ça commence toujours innocemment. Par la petite porte. Et quand elle est ouverte... Qui, pensez-vous, a le plus envie d'annoncer dans les hôpitaux ? Que consomment-ils, les malades ? Ben oui, des médicaments. Pis ça va prendre un an ou deux, pis va y en avoir des annonces de médicaments sur les murs des hôpitaux.

Les directions d'hôpitaux arguent que les compressions et le sous-financement par l'État les forcent à chercher des revenus du côté de l'entreprise privée. Mêmes excuses des directions d'écoles. Les HEC font commanditer leurs salles de cours par des entreprises. Comment ne pas s'interroger dès lors sur le contenu critique des cours ? Sur l'indépendance de la recherche ?

Comment ça le financement de l'État n'est pas suffisant ? Pas suffisant pour quoi au juste ? C'est comme une jeune fille qui dirait qu'elle fait la pute parce que sa mère ne lui donne plus d'argent. Ça dépend, si t'as pas d'argent pour manger, on va y parler à ta mère. Mais si c'est de l'argent pour aller au cinéma, on fait pas la pute pour ça.

Sauf que dans le cas des hôpitaux et des écoles, c'est l'État qui leur dit de faire la pute. C'est l'État qui pousse l'école dans les bras de l'entreprise privée par l'intermédiaire de ces nouveaux conseils d'établissement qui ont le droit légal " de solliciter et de recevoir toute somme d'argent par don, legs, subvention ou autres contributions bénévoles de toute personne ou de tout organisme privé désirant aider à la réalisation du projet éducatif ".

Et voilà comment, à peine sortie du giron de l'Église, l'école tombe sous l'influence du milieu corporatif et de sa religion néolibérale. Un projet éducatif financé par le Bell ? Un cours sur la mobilité du personnel peut-être ?

Mais enfin, me disait un lointain confrère avec qui j'abordais la chose récemment, mais enfin qu'est-ce ça peut bien te foutre qu'on placarde les autobus scolaires de portraits Ronald le clown McDonald si, en échange, McDo paie pour le programme de distribution gratuite de berlingots de lait dans les écoles de la province ?

C'est ce que je vous disais tantôt. Je ne sais pas quand ni comment on a perdu de vue que la publicité, c'était un truc pour fourrer le monde, mais on l'a perdu de vue c'est sûr, puisqu'on la laisse monter dans les autobus scolaires et qu'on ose poser la question : qu'est-ce que ça peut bien faire ?

Ce que ça fait ? Ça pue. Ça pollue. Ça respire mal. Ça appauvrit l'imaginaire collectif. Ça macdonalise l'esprit.

Arrête ton tambour, m'a interrompu mon confrère. La pub, c'est aussi un art, c'est Warhol, c'est l'hyperréalisme, c'est sa grande influence sur le cinéma, c'est la gratuité du Net, c'est ton écriture Foglia, que ça te plaise ou pas, t'écris comme un publiciste. La pub a sa place.

Peut-être qu'elle a une place. Sauf que sa place, c'est toute la place. Elle ne sait pas s'arrêter. Les hôpitaux ? Qu'est-ce qu'elle va foutre dans les hôpitaux, la pub ? Tu peux me le dire ? Et dans les universités ? Et dans les autobus scolaires ? Tu laisserais un dealer de dope faire son petit commerce dans un autobus scolaire ? La pub, c'est de la dope, quand t'en prends tous les jours, ça rend con.