Le jeudi 11 mars 1999


L'Histoire est-elle une tirelire?
Pierre Foglia, La Presse,

Nous vivons dans une société de bien-souffrants, la remarque est de Pascal Bruckner (1) et s'il fallait l'illustrer, il faudrait dessiner un avocat qui pousse un handicapé dans son fauteuil roulant. Ils sont au paradis. Ils vont porter une citation à comparaître à Dieu.

Des exemples plus terrestres de « bien-souffrance » ?

Tant que vous voulez. Premier exemple au hasard. Le signal sonore qui avertit les aveugles aux feux de circulation. Pour un aveugle dans le quartier, pour un aveugle qui traversera la rue une fois par semaine à cette intersection-là, une sonnette qui sonne un million de fois par jour. Pour un aveugle, on fait regretter à 300 riverains de ne pas être sourds.

Autre exemple de « bien-souffrance » ? I.'obligation pour un restaurant d'avoir des toilettes pour handicapés. Un McDo, bon. Mais le petit resto du coin ?

Un autre ? La récente chicane à propos des avions mal adaptés aux handicapés.

Que la société fasse tout son possible pour permettre aux handicapés d'étudier, de travailler, j'en suis. Que la société multiplie les ressources sociales, c'est son devoir.

Mais il y a une limite au-delà de laquelle les doléances des handicapés prennent l'allure d'un refus de l'inéluctable, un m'ment donné, on a fait ce qu'il y avait à faire, et l'aveugle ne voit toujours pas clair. On a aplani le trottoir pour le passage des fauteuils roulants, mais le paraplégique ne peut toujours pas courir le marathon en moins de trois heures. A un m'ment donné il faut bien se rendre à l'évidence qu'un handicap est un empêchement, c'est écrit dans tous les dictionnaires.

À un m'ment donné revient la Semaine des handicapés et il y a toujours un original quelque part qui me lance l'invitation de passer la journée en fauteuil roulant. Pour voir.

Pour voir quoi ?

Ce genre de cirque qui suggère un nivellement par la douleur : les bienpensants doivent bien souffrir, doivent être aussi des bien-souffrants.

Vous vous demandez peut-être pourquoi je parle des handicapés ce matin ?

Parce que les orphelins de Duplessis. Handicapés de l'Histoire, les orphelins nous invitent à revisiter le duplessisme en fauteuil roulant.

Je ne vois pas très bien à quoi cela servira. Je ne comprends pas très bien le calcul de M. Jacoby qui chiffre à 100 millions les compensations à verser aux orphelins. Est-ce qu'il y a un cours de la douleur comme il y a un cours de la patate ?

Tout le monde veut sa part de souffrance. Sauf les avocats qui veulent 15 %

L'Histoire est-elle une tirelire ?

LA FEMME HALTÉROPHILE - Je vous disais mardi que j'ai des fois « très envie de vous appeler juste pour comprendre comment la communication ne s'est pas faite ou s'est mal faite ». C'est arrivé hier. Un lecteur me demande dans ma boîte vocale pourquoi après avoir dit que le hockey féminin n'avait pas d'affaire aux Olympiques, pourquoi je n'avais pas dénoncé les filles qui ont fait de l'haltérophilie aux Jeux du Canada, une totale absurdité, selon lui. il avait un ton fâché. J'ai deviné que sa fille devait jouer au hockey.

Pas ma fille. Ma nièce. Pis ? Qu'est-ce t'as contre les filles qui jouent au hockey?

J'ai raccroché. C'est pas la peine.

En ce moment, au championnat du monde de hockey féminin en Finlande, après deux matches, le Canada a compté 23 buts et n'en a encaissé aucun. Cherchez l'erreur... Tout ce que j'ai dit, c'est qu'il était ridicule de tenir des tournois olympiques ou des championnats du monde dans des disciplines collectives, comme le hockey féminin, qui ne sont pas pratiquées à l'échelle mondiale. Ça oui, j'ai déjà dit ça. Je maintiens. Et je signe.

Pour ce qui est de l'haltérophilie, c'est un sport fort sympathique, issu des foires dont il a gardé l'esprit de fête. Un sport que le grand public confond systématiquement avec le narcissique culturisme aux hormones. Les filles ont fait une entrée d'autant plus sereine en haltérophilie que ce n'est pas un sport de confrontation. On s'y mesure d'abord à soi-même. Comme en plongeon, en gymnastique, etc.

Dans tous les Jeux que j'ai couverts, les haltérophiles ont toujours été les athlètes les plus simples et les plus chaleureux. Et les filles haltérophiles ont l'air d'être faites exactement du même bois. Et ce n'est pas du saule pleureur.

Les boxeuses ? Rien à voir. Les boxeuses vont par deux - il faut être deux pour échanger des coups - et comme elles sont à peu près quatre à travers tout le Canada à savoir se battre, ça fait des soirées de boxe féminine qui finissent de bonne heure.

C'était quoi votre question déjà ?

Le coup de poing sur la gueule est-il une attitude anthropologique naturelle à la femme ?

Je vous félicite, c'est une bonne question.

LE BON SENS - Madame Castillo, cette Vénézuélienne qui a passé 18 ans au Canada et qui était menacée d'expulsion, pourra donc rester parmi nous. Elle a obtenu hier un confortable sursis de trois ans durant lesquels elle aura à prouver qu'elle peut s'adapter à la société canadienne, et que son mari est bien son mari.

Soyons nous aussi charitables, n'insistons, pas trop sur la puérilité de ces « conditions », il fallait bien que l'immigration sauve la face.

N'empêche que c'est vous, l'opinion publique, qui avez fait reculer l'Immigration. En tout premier lieu François Saillant du FRAPRU qui a organisé la résistance. Puis la, presse, le tam-tam, oyez oyez braves gens, ils veulent renvoyer une femme qui vit ici depuis 18 ans. La télé a montré ses deux enfants au bord des larmes. Madame Robillard vous a entendu dire que ça n'avait aucun sens et elle a corrigé la niaiserie de ses fonctionnaires dans un geste qui participe tout autant du sens commun que du calcul électoral.

C'est comme ça que ça marche en démocratie. Si François Saillant n'avait pas alerté les journaux qui vous ont émus, Mme Castillo serait présentement dans l'avion de Caracas.

J'écrivais il y a deux semaines, à propos des orphelins de Duplessis : « Je suis un peu tanné de cette justice qui passe de plus en plus souvent par le scandale. Par la pression de l'opinion publique. Par la capacité des médias à faire brailler. »

Je ne retire pas un mot. Est-ce trop idéaliste d'imaginer un fonctionnaire qui eût annulé l'ordre d'expulsion tout simplement parce que ça n'avait aucun crisse de bon sens ?

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(1) Pascal Bruckner, LA TENTATION DE L'INNOCENCE, Grasset.