Le mardi 23 mars 1999


La pilule ou la tisane ?
Pierre Foglia, La Presse,

La chronique sur le suicide du jeune Thomas Bégin a suscité de nombreuses réactions, certaines prévisibles, d'autres moins. Bémols attendus des psychosociaux : « Les pilules ne régleront rien.» Mais des réserves aussi du côté des partisans de l'approche médicale: « Allez donc vérifier la longueur des listes d'attente en psychiatrie, monsieur le journaliste. »

Je résume: le jeune Thomas, 14 ans, s'est suicidé il y a quatre ans. Ses parents, tous deux médecins, accusent : « Notre fils était malade, si on l'avait soigné il ne serait peut-être pas mort. Il souffrait d'une dépression majeure, une maladie psychiatrique très répandue chez les ados. Thomas est mort par notre faute, disent Doris Adem et Pierre Bégin, nous sommes médecins et nous n'avons même pas soupçonné qu'il était malade. Thomas est mort aussi de l'ignorance des autres, intervenants qui l'ont « suivi ». De l'inaccessibilité des soins psychiatriques. De l'aveuglement d'un système qui ne reconnaît pas la dépression rnajeure de l'adolescent, seulement son symptôme: le trouble de comportement. »

Cri du coeur du milieu des psys: Doris Adem et Pierre Bégin cherchent des coupables à la mort de leur fils, ça fait quatre ans qu'ils se déculpabilisent en emmerdant la terre entière.

Moi aussi. Moi aussi, c'est ce que j'ai dit à Mme Adem: « Revenez-en, madame! » Ce à quoi elle m'a répondu: « Que je revienne ou pas de la mort de Thomas, c'est mes affaires. Mais il y a 200 enfants qui se suicident chaque année au Québec, la plupart souffrent de la même maladie que Thomas et la plupart meurent sans avoir jamais vu un psychiatre, et ça, c'est pas seulement mon problème, c'est celui de toute la société. »

Ce qui a excité le poil des jambes de plusieurs, c'est la prétention déclarée des parents de Thomas de favoriser l'approche médicale avec les suicidaires. «Une petite pilule pour guérir du suicide ? Ah! ah! » Les sociaux-granoles trouvent ça bien comique. Dans le courrier reçu on reproche aux parents de Thomas de faire campagne contre les psychologues, les travailleurs sociaux et les bénévoles à l'écoute... Moi j'ai surtout entendu qu'ils réclamaient la présence d'un psychiatre. Un médecin, donc. Puisque la dépression est une maladie, un médecin est la moindre des précautions, non ? Et pourquoi pas le médecin le plus qualifié pour soigner les dépressions, un psychiatre ?

Un ami, ex-coureur cycliste, vient de m'appeler. Sa fille est en orbite depuis trois ans, fugues à répétition, drogues, prostitution, automutilation, entre et sort des centres de jeunesse, et le croiriez-vous, elle vient tout juste d'être vue pour la première fois, en trois ans, par un psychiatre. Il a diagnostiqué une dépression majeure. Il a prescrit des petites pilules, et pour la première fois depuis trois ans, ça va mieux. Sauf qu'on vient de trouver que la gamine a contracté l'hépatite B... Pourquoi pas des pilules aux suicidaires, si ça peut les aider? Pourquoi pas avant qu'ils attrapent l'hépatite B ou la mort ?

Je signale aux intégristes de la tisane que quelques centaines de milliers de personnes en Amérique vivent beaucoup mieux aujourd'hui qu'il y a dix ans, grâce au Prozac. Lequel Prozac n'est pas devenu la pilule du bonheur-fourre-tout que les moralistes redoutaient qu'elle devienne. Aussi populaire à sa sortie que le Viagra aujourd'hui, le Prozac n'a guéri le vague à l'âme de personne, pas plus que le lithium, mais demandez donc aux maniaco-dépressifs quelle serait leur vie sans lithium... Je parle du Prozac parce que la compagnie Lilly qui le fabrique mène actuellement des études cliniques sur un antidépresseur spécifique pour ados dépressifs. En passant, ils sont trois millions et demi aux États-Unis, les ados dépressifs...

Qu'ont donc les granoles contre les pilules ? Les pilules n'excluent aucune autre forme d'accompagnement ou d'écoute. ce n'est pas la médecine contre la psychothérapie, c'est les deux ensemble. C'est quoi le problème ? Vous n'êtes pas en train de vous engueuler au-dessus de la tombe de 200 enfants, j'espère ?

Finalement, la critique la plus pertinente, et la plus désespérante aussi, est venue de psychiatres et pédopsychiatres eux-mêmes. « C'est bien beau l'approche médicale, M. le journaliste, mais faites votre travail, vérifiez combien cela prend de temps pour obtenir un rendez-vous en psychiatrie. »

J'ai vérifié. Entre deux et six mois d'attente pour être vu par un pédopsychiatre. Dans toute la médecine, c'est en psychiatrie que les coupes de M. Rochon ont été les plus drastiques. Et à l'intérieur même de la psychiatrie, c'est dans les ressources aux jeunes en difficultés qu'on a le plus sabré.

La solution ? Elle est peut-être contenue dans un rapport que le Collège des médecins s'apprête à rendre public et qui insistera sur la formation que devraient recevoir les généralistes sur les psychopathologies adolescentes. C'est souvent dans le bureau du médecin de famille que ça commence: « Docteur, mon fils ne s'intéresse plus a rien, il pique des crisses, il est violent, son père et moi on ne sait plus quoi faire. »

Si une petite lumière rouge s'allume a ce moment-là dans la tête du médecin généraliste, Thomas ne sera peut-être pas tout à fait mort pour rien.

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Dans le tas, une lettre différente. Une adolescente de Valleyfield qui se reconnaîtra m'écrit : Je suis probablement maniaco-dépressive et plusieurs de mes amis aussi. Mais qui vous dit que c'est une maladie ? Et si notre maladie c'était la lucidité? Si c'était le refus du quotidien répétitif, une vision trop claire d'une société qui n'a pas grand-chose à nous offiir ?

C'est une bonne question mademoiselle. Je me la suis déjà posée: la lucidité est-elle une maladie ? En tout cas, ce n'est pas un bon truc pour être heureux, la lucidité ! Mais rassurez-vous, tant que vous protestez, tant que vous vous débattez, tant que vous êtes capable de crier au monde entier: réveillez-vous bande de cons, c'est que vous n'êtes pas malade.

Mais si vous en arrivez, comme dans votre lettre, à la conclusion que le suicide est un acte de pure lucidité, alors inquiétez-vous. C'est de la merde, et de la pire: de la merde romantique. Vous me citez long comme le bras le Voyage au bout de la nuit, mais votre Louis-Ferdinand Céline ( qui est aussi le mien, en passant ), ne s'est pas suicidé, il est mort à près de 70 ans, toujours éructant et bleu de rage.

C'est un beau programme, jeune fille, decrier « réveillez-vous bande de cons », mais pour ça faut rester vivante.