Le jeudi 25 mars 1999


La B2 et moi
Pierre Foglia, La Presse,

Je viens de m'engueuler avec une lectrice qui avait écrit une lettre pour la B2, ou la B3, ces pages dans lesquelles les lecteurs donnent leur opinion, mais sa lettre n'a pas été publiée et elle m'en tient responsable. Je lui ai expliqué que la décision ne m'appartenait pas.

Elle ne m'a pas cru.

Je lui ai dit : ce que vous croyez ou pas, madame, je n'en ai rien à foutre.

Elle m'a dit : on sait bien, vous n'avez jamais rien à foutre de rien. Sauf quand on vous contredit, comme l'autre jour votre petit commentaire inapproprié à propos du suceur cuivré. Et clac, elle a raccroché.

La lettre de la dame ( elle me l'a lue au téléphone ) exprimait une opinion dissidente sur la dépression et le suicide. Je ne veux pas revenir là-dessus. Je veux seulement profiter de l'occasion pour dire deux ou trois petites choses sur... sur l'opinion des lecteurs.

Après le cahier des sports, c'est la première chose que je lis dans le journal : les lettres des lecteurs. Je suis d'accord, ou pas d'accord, avec ce que je lis, mais jamais ( enfin presque jamais ) je ne conteste la pertinence d'avoir publié telle ou telle lettre. Même une lettre qui dit : M. Foglia vous êtes un con. Cela va de soi. Évidemment que je suis un con. Si des gens que je trouve moi-même complètement nuls se mettaient à me trouver fin et brillant et tout et tout, je serais bien embêté. Non seulement je serais un con, mais je serais aussi un consensus, et là mon vieux, vraiment, j'aurais honte devant mes enfants.

Sérieux. L'opinion de la dame de tantôt sur la dépression, est certainement partagée par des milliers de lecteurs, que ces lecteurs trouvent un écho de ce qu'ils pensent dans « leur » journal est la moindre des politesses. On ne fera pas un congrès de journalistes là-dessus ( même si notre fédération a déjà fait des congrès pour moins que ça ), mais... mais quoi donc? Qu'est-ce que je disais ? Ah ! oui, n'allez pas croire non plus que je reste toujours imperturbable devant vos lettres. Et que m'importe seulement la variété des opinions dans mon journal... Non, non, non. Je ne vois pas les choses de si haut. Quand je les vois de haut, c'est seulement que je viens de grimper dans les rideaux. Cela m'arrive quand je vous lis. Qu'est-ce que vous pouvez dire comme conneries !

Comme toujours, ce sont les petites choses qui me mettent hors de moi. Ces niaiseries qui touchent à l'universel, mais qui, dirait-on, ne vous touchent pas. Comme si, tout à coup, je me grattais de toute l'irritation que vous ne ressentez pas. Exemple. J'écris un truc sur le Superbowl, quelques minutes de sport pour trois heures de show, je compare avec le triathlon de l'ironman gagné par le Montréalais Peter Reid après huit heures et demie d'efforts. Quelques jours plus tard, dans la page des lecteurs, paraît l'opinion d'un type qui dit : ben pour moi, Superbowl ou triathlon, c'est la même merde. Pour gagner un triathlon faut s'entraîner comme un fou, des heures et des heures pendant des mois et des années, et je trouve ça débile.

Jusque là ça va, c'est une opinion. Mais le type ajoute : « Savez-vous ce que j'ai fait moi au lieu de regarder le Superbowl ? Je suis allé me promener avec mon fils, il avait des belles joues rouges quand on est rentré ». Ce n'est plus une opinion. C'est le bon exemple tiré du petit catéchisme des granoles : allons tous ensemble écouter les petits oiseaux. Des niaiseries, disais-je, qui touchent à l'universel sous leur anodine apparence. Des niaiseries qui ont « bonne presse ». On ne voit pas que la granolerie est une forme de pensée unique, plus précisément une forme de bonheur unique un peu moumoune et qui fait cuicui.

Des niaiseries, mais qui me mettent hors de moi plus que les grands débats, les grandes chicanes, les grandes controverses, d'autant plus futiles qu'elles se perdent, le plus souvent en effets de style. Je l'ai vérifié cent fois : que je plante ou que je me fasse planter, on ne retient que les sparages, les coups d'épée. Le show. Le sujet est toujours occulté.

« As-tu vu comment la Bombardier s'est fait planter dans Libé ? ». C'est tout ce qu'on a retenu. Est-ce juste ou pas ? C'est pas important. Elle s'est fait planter. Yé.

« As-tu vu comment Stanké a éreinté le critique de théâtre Robert Lévesque samedi en B3, dans La Presse » ? Non seulement je l'ai vu, mais Dieu que j'étais fâché contre mon journal et la B3 en, particulier.

Je n'ai jamais aimé M. Stanké. Auteur, éditeur, journaliste, homme de télévision, je l'ai toujours trouvé d'une ronflante médiocrité sous chacun de ses chapeaux. Toujours plein de calembours, de références vieille France, de citations, ce genre de Français ( Le Bigot est parfois comme ça aussi ) pleins d'une culture dont ils ne maîtrisent que l'orthographe et un peu de vocabulaire. Bref, je n'ai jamais aimé Stanké sans jamais éprouver le besoin d'en faire part à la terre entière.

Que lui, Stanké, n'aime pas le critique de théâtre Robert Lévesque, et qu'il le dise longuement, c'est son affaire. Mais il n'était pas obligé de flatter le cabot ( Benoît Brière ) pour mieux museler celui qui a osé aboyer.

Vous dites, monsieur, que le public de la pièce fut unanimement ravi sauf un mécontent. Et ksss, ksss, vous invitez la foule à le lyncher. C'est de la lâcheté. En ces temps d'imbéciles heureux, en ces temps de Boys-deux, quand on rencontre un mécontent, monsieur, on ne le lynche pas, on lui serre là main. On se félicite qu'il en reste au moins un. En ces temps où pullule le faiseur de merdes culturelles comme vous, monsieur, réjouissons-nous qu'il en reste au moins, un pour la remuer et nous garder sensibles à son odeur.

COMBIEN ON PARIE ? - Un flash subit. Une illumination. Les Expos. Combien on parie qu'ils ne partiront pas, les Expos ? C'était du cinéma depuis le début. Du bluff, depuis le début. Peut-être même que le scénario du « vilain M. Brochu » a été écrit par M. Brochu lui-même. Ils savent exactement ce qu'ils font, depuis le début. Les deux gouvernements sont impliqués, depuis le début. Tout ce cinéma pour nous faire avaler la pilule des fonds « presque » publics, genre Loto Québec, qui vont finir par financer la construction du stade. Regardez bien s'en venir la solution miracle. Regardez bien basculer l'opinion publique. Les gens n'aiment rien tant que les miracles.

Regardez bien la poignée que j'ai et que vous avez dans le dos.