Le mardi 27 mars 1999


L'homme et sa fiancée
Pierre Foglia, La Presse,

Assez parlé de Rozon et d'agression sexuelle ? Je trouve aussi. Mais ainsi va le métier de chroniqueur, quand c'est assez, on en remet une couche. Ne serait-ce que pour dire que c'est assez. En fait, si vous voulez mon avis, c'était déjà trop dès les premiers mots. Pas trop. À côté.

C'est pourtant le sujet le plus passionnant qui soit. Je veux dire la séduction, les comportements si déconcertants des femmes quand on est un homme, et je suppose des hommes quand on est une femme. L'évolution des rôles après l'émancipation des femmes au début des années cinquante. Et ce qui n'a jamais changé, et ne changera probablement jamais, l'amour, ce grand fourre-tout qui amène deux êtres totalement ignorant l'un de l'autre - l'Homme et sa fiancée - a vivre ensemble.

Pourquoi discute-t-on des relations hommes-femmes à partir des agressions sexuelles ? C'est comme si des extra-terrestres venaient étudier l'humain et prenaient leur échantillon d'humanité chez les Hells. Je regardais le Droit de Parole à Télé-Québec sur le sujet : pur délire. Et je ne parle pas du discours des féministes radicales pour qui toute érection est une agression (1). Je pense à ce jeune homme qui disait à peu près, " ouais les filles s'habillent comme des putes pour nous exciter, pis après elles veulent pu baiser ". Comment paquetez-vous vos émissions à Télé-Québec ? Une chroniqueuse, un morron, une féministe ?

Une jeune femme a répondu au jeune homme : " Ben quoi je n'ai pas le droit d'être belle ? ". Mais si t'as le droit. Pas de problème. En fait si. Il y en a un. Ce qui est indécent à la fin, c'est pas ta jupe ras-le-bonbon. C'est qu'en attendant de te faire pogner le cul t'arrête pas de te prendre la tête : suis-je ou ne suis-je pas un objet sexuel ? On s'en crisse-tu, madame chose. Et un autre problème encore, un des plus grands tabous de cette époque, un problème inverse au tien, jeune fille : le problème de ne pas être désirée du tout. Le considérable handicap d'être laide. L'exclusion qu'entraîne la laideur. Les drames. Les vies gâchées. La solitude. Les innombrables injustices sans aucun recours devant la Commission des droits de la personne. Et pourtant...

Durant cette même émission à Télé-Québec, pour illustrer que " non, c'est non et toujours non ", une autre jeune femme a fait cette mise en situation : " J'arrive dans la chambre avec un monsieur, on se fait des minouches, mais pour quelque raison qui me regarde, tout d'un coup, ça ne me tente plus d'aller plus loin... " Elle exposait ça comme une situation éminemment explosive. Maman au secours, que fait-on avec un homme excité quand on ne l'est plus soi-même ? Eh bien on lui dit de s'en aller mademoiselle. Et savez-vous quoi ? Dans 99 % des cas, il s'en va. Le 1 % qui reste c'est la part du risque que l'on prend aussi quand on traverse la rue ou quand on mange des moules.

L'affaire Rozon a fait surgir le spectre de l'homme bandé qui n'a point d'oreille ni de raison. À écouter certaines énervées, un homme bandé c'est comme un 747 qui vient de décoller. Il n'y a plus rien à faire. Ou il monte au ciel, ou c'est la catastrophe. Que me chantez-vous là ? Homme bandé, débandera. En tout cas il remballera ses affaires et n'en mourra pas. Et rappelons que la masturbation n'est pas le loisir exclusif des sourds.

Ben oui, non c'est non. Qui dit le contraire ? Pour 99 % des gars, non seulement, non c'est non, mais quand c'est oui on veut savoir aussi quelle sorte de oui. Oui t'es sûre ? Oui bof ? Oui parce que ça te fait un lift jusque chez vous ? Les gars ne trouvent pas plus drôle que les filles de faire ces choses-là quand un des deux regarde au plafond. S'embarquer pour Cythère comme ils disent dans les romans des gares, et se retrouver sur le boulevard Taschereau, c'est platte pour tout le monde.

Elles martèlent " non c'est non ", comme si c'était le noeud, le hic des relations entre hommes et femmes, alors que tout le monde sait bien que les vrais problèmes commencent quand c'est oui.

Le problème c'est que l'homme est aussi dissemblable de la femme qu'un kangourou d'un toaster. Et qu'ils vivent néanmoins ensemble. S'il y a une violence dans les rapports entre hommes et femmes elle est dans cet espace indicible où un homme et une femme ne se rejoignent jamais. L'autre jour, au café Italia, je rencontre la femme d'un vieil ami, Louis. On parle. De Louis forcément. Elle a comme un tic de langage et n'arrête pas de dire : " Vous savez comment il est ? Louis c'est Louis ". Mais je reconnais si peu mon ami dans ce qu'elle dit, que je finis par avoir un doute : Excuse-moi, on parle bien de Louis C... ?

Ce n'est pas la première fois. Je me suis pincé cent fois devant des blondes, des épouses, des mères, des soeurs. Voyons ! De qui parlent-elles ?

Je vous l'ai dit souvent, je fais le tour d'un gars en dix minutes. Ça m'a donné une idée. Je vais me partir une agence de détective d'un genre inédit. Pas d'enquête, pas de filature. On convient de se croiser à telle heure à tel endroit, en jouant la surprise.

Ah mais c'est Marie

Ah mais c'est M. Foglia ! Vous seriez évidemment accompagnée de votre chum. On irait prendre un café. Vous iriez pisser en me laissant dix minutes tout seul avec le gars. Et hop, le lendemain, je vous ferais mon rapport. Je vous dirais tout ce que vous n'avez jamais osé demander sur votre chum parce que vous aviez peur de le savoir.

Non c'est non, ça finit, là. C'est quand c'est oui que ça devient weird. Les quelques femmes que j'ai aimées je les ai aimées comme j'aime mes chats. Sait-on ce qu'est un chat ? On aime une bestiole qu'on invente dans sa tête. On dit des chats qu'ils sont si indépendants qu'ils ont écrit la pancarte des hôtels do not disturb, mais qu'en sait-on vraiment ? On aime une idée de chat. J'ai aimé quelques idées de femmes, mais ces femmes elles-mêmes, je n'ai jamais trop su qui elles étaient.

Je dors depuis vingt ans avec une dame, j'ai presque eu des enfants avec, on a bâti maison, on a voyagé, on est heureux ensemble, mais des fois elle dit un tout petit truc, et je comprends d'un coup que je ne sais rien d'elle. C'est comme si je la voyais pour la première fois.

Bonjour madame, vous cherchez quelqu'un ?

-------------------------------- align="center" (1) " La violence, c'est le pénis ou le sperme qui en sort, ce que le pénis peut faire il peut refaire en force pour qu'un homme soit un homme... "
Extrait du délire d'une féministe radicale, Andrea Dworkin, Pornography, Men Possessing Women ( E.P. Dunton, 1989 )