Le jeudi 22 avril 1999


Carnet de voyage
Pierre Foglia, La Presse

De retour de guerre ? m'a gentiment lancé le douanier. Quelques lecteurs et des proches ayant aussi manifesté leur soulagement de me revoir vivant, une petite précision s'impose: je ne suis pas allé à la guerre. Vos inquiétudes n'étaient pas de circonstance. J'étais en Macédoine et en Albanie. La guerre est en Serbie.

Les réfugiés kosovars sont des victimes de guerre. Les Serbes, qui sont bombardés tous les jours, subissent la guerre. En Macédoine et en Albanie, je n'étais pas à la guerre. L'idée m'est un peu odieuse que vous puissiez croire que j'ai partagé, ne serait-ce qu'une seconde, l'insécurité des réfugiés. Je me devais de le souligner.

Cela dit, j'ai rarement eu le sentiment, comme cette fois, de l'utilité du travail des journalistes. Contrairement à la guerre du Golfe que nous avons couverte comme un festival de feux d'artifice, dans les Balkans nous donnons la parole aux victimes, aux réfugiés qui, en disant l'horreur et l'absurde, nomment la plus grande honte de cette fin de siècle : l'exclusion. Ici, l'exclusion de tout un peuple... Comme le soulignait magistralement Céline Galipeau mardi soir lors de l'émission spéciale sur les Balkans à Radio-Canada, nos reportages ont fait ressortir un élément essentiel à la compréhension de ce conflit : contrairement aux prétentions des Serbes, pas un seul réfugié n'a dit qu'il fuyait les bombardements de l'OTAN. Tous affirment avoir été chassés.

Pour revenir aux journalistes, les seuls à courir des risques en ce moment dans les Balkans sont les deux collègues kosovars toujours cachés au Kosovo, les journalistes serbes dissidents ( notamment ceux de la revue Vreme, interdit de paraître ), un reporter du Los Angeles Times qui a réussi, je ne sais trop comment, à rester à Pristina. Quand au staff de CNN à Belgrade, il est certes plus près de « l'action » que nous pouvions l'être en Macédoine, mais bon, il n'est pas logé à pire enseigne qu'un million et demi de Belgradois tout aussi exposés.

Est-il d'autre chose que vous aimeriez savoir sur le périlleux métier de correspondant de guerre au Continental de Skopje ( 165 $ US la nuit ) ou au Rugger in the Park de Tirana, ( 245 $ US la nuit ) ? Pardon ? Si on a le droit, dans ces palaces, de se montrer en treillis de combat et bottes noires de paras ? Je crois. J'en ai vu. Je m'empresse d'ajouter : une minorité.

J'ai eu, quant à moi, pour compagnons da ce voyage deux garçons d'une discrétion exemplaire, Miklos, un journaliste hongrois, et Harry, un Irlandais (1). Née de l'obligation de partager la chambre ( les hôtels sont archi-pleins ), notre association a tourné à l'amitié. Surtout après l'escapade de Miklos. Un soir, à Skopje, Miklos nous dit : « Il n'y a plus rien à faire ici. Je vais à Belgrade. » Il n'est pas allé plus loin que la gare-frontière, arrêté par les soldats serbes, Miklos a passé la nuit à se défendre d'être un espion avant d'être brutalement éjecté.

Je prenais un café avec Harry quand on a vu Miklos débarquer du taxi, auquel il a fait signe d'attendre :
- Vous êtes prêts ? On va à Tirana.
- Avec ton taxi ?
- Avec mon taxi. À trois cela revient moins cher.

Neuf heures de route. Aucun de nous n'était jamais allé en Albanie. On s'est amusé à noter toutes les mises en garde qu'on nous avait faites contre l'Albanie. On allait se faire arrêter par des faux flics qui nous rançonneraient. On allait se faire jeter des pierres par les enfants. On allait se faire proposer un appartement pas cher par le chauffeur de taxi qui nous mènerait tout droit dans un traquenard de la mafia...

Le chauffeur, qui avait une mine absolument patibulaire, nous a effectivement proposé une chambre chez un ami à lui, à Tirana. On a dit oui tous les trois en même temps, en éclatant de rire. On s'est retrouvé dans une ruelle obscure devant une bâtisse délabrée, mais la chambre était correcte. C'était le soir. On a laissé nos affaires. Et on est parti « checker le buzz » auprès des confrères dans les grands hôtels de la ville. Harry a rencontré des consoeurs de Dublin. La soirée s'est prolongée. On s'est retrouvé à deux heures du matin, dans Tirana déserte, à chercher notre ruelle obscure et notre maison délabrée. Par là, disait Miklos. Harry montrait une autre direction. Moi je disais c'est pas important, de toute façon nos affaires et nos ordinateurs ne seront plus là, on est en Albanie, les boys, on s'est fait avoir comme des vrais cons.

On finit par retrouver la maison. Nos affaites étaient là. En éteignant la lumière Miklos a lancé : « Savez-vous les gars pourquoi les hommes se font la guerre ? Parce qu'ils sont paranoïaques. »

UNE AUTRE FAÇON DE COUVRIR LA GUERRE ( et bien d'autre chose ) - Le grand reporter a réservé et payé son billet jusqu'à Skopje via Amsterdam, par Book a flight, l'agence de voyage virtuelle de Yahoo Travel. Il a retenu sa chambre au Continental de Skopje par www.Hotelguide.com.

À Skopje le grand reporter à pris un taxi jusqu'au Continental. Aussitôt dans sa chambre, il a ouvert son ordinateurs s'est branché sur Internet par la ligne directe de Mlink.

Il a tapé Kosovo dans la fenêtre de recherche. 823 sites sont apparus. Parmi les plus utiles, BBC, CNN,Le Monde, Le New-York Times, Le Soir ( Bruxelles ), Le Temps ( Genève ), le Washington Post, Salon magazine, le site de la Croix-Rouge, du département américain des Affaires étrangères, du Haut-Commissariat pour les réfugiés, de Kosovo crisis, Kosovo méteo, Spécial Kosovo, etc.

Le grand reporter est resté dix jours à Skopje. Il a écrit 22 textes sur le Kosovo. Dont trois longues analyses sans sortir de sa chambre, sauf le matin, pour son jogging.

Puis il est rentré dans son pays. Beau travail, l'a félicité son boss.

MILO ET LA PRESSE - C'est l'histoire de Slavko Curuvija, journaliste serbe et propriétaire de plusieurs publications dont l'hebdo l'Evropljanin ( L'Européen ) dans lequel il signait, en octobre dernier, une lettre ouverte à Slobodan Milosevic : « Monsieur le président, vos dix années de pouvoir ont été dix ans de psychose, de mort, de misère. Vous avez mené toutes les guerres qu'il était possible de faire, sauf une : la guerre contre votre propre peuple, mais je devine que cela ne saurait tarder. »

Le journal a aussitôt été interdit de publication.

Dimanche dernier, 11 avril, à Belgrade, alors qu'il rentrait chez lui, Slavko Curuvija a été assassiné par deux inconnus.

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(1) Miklos Ujvari du Magyar Hirlap, Budapest. Harry McGee du Sunday Tribune, Dublin.