Le mardi 4 mai 1999


La respectabilité
Pierre Foglia, La Presse

Si au lieu de voler une paire de gants, madame Lorraine Pagé s'était jetée dans les flammes pour sauver sa vieille mère, il s'en trouverait quand même aujourd'hui pour réclamer sa démission. Question d'image et de rôle. Cette madame Tout-le-Monde à la paupière tombante, cette madame Wal-Mart jamais contente, a bien peu d'admirateurs dans le grand public.

D'où la mauvaise foi de ceux qui regrettent : " Si au moins elle avait plaidé coupable. " Cela n'eût rien changé. On dirait, ce matin, de la même façon, qu'une voleuse n'a pas sa place à la tête de la Centrale de l'enseignement du Québec.

Madame Pagé devrait-elle démissionner ? Je ne sais pas.

Contre sa démission on peut avancer qu'un peu plus d'impopularité ne devrait pas l'empêcher de continuer à présider le combat, de toute façon impopulaire, des enseignants. Un peu plus d'impopularité ne devrait pas l'empêcher d'arbitrer les grands débat de l'éducation. Ne devrait pas l'empêcher de se retrouver avec quelques autres, je pense à Françoise David, à Anne Sainte-Marie ( d'Amnistie internationale ), du côté de celles, impopulaires, indispensables, admirables, qui aboient quand passe la caravane du pouvoir.

Mais il est au moins un argument de taille qui milite pour sa démission. Le combat que mène madame Pagé à la tête de la CEQ est sous-tendu par une morale républicaine, laïque, populaire. Or, c'est justement sur la morale que madame Pagé est interpellée. À partir de maintenant, ne la forcera-t-on pas à en rabattre chaque fois qu'elle aura à retendre le ressort moral de son discours ? Pourra-t-elle encore parler avec la même vigueur, la même rigueur, la même efficacité ?

C'est ce qu'elle a à évaluer aujourd'hui avec ses proches et ses collaborateurs.

Cela dit, je ne trouve pas que madame Pagé a été maltraitée. Le juge a justement démonté son pitoyable mensonge. Quant à la médiatisation de l'affaire, contrairement à ce qu'en ont dit les dirigeants syndicaux, elle a été ce qu'on pouvait prévoir qu'elle serait. Arrêtons de tomber des nues à chaque fois. De l'information spectacle ? Sans doute. Mais certainement pas d'acharnement particulier dans le cas de Mme Pagé.

Mais je reviens aux gants. Et au vol à l'étalage. Mme Pagé aurait dû reconnaître son larcin, même si cela n'eût rien changé à son sort. Cela aurait eu le mérite de rompre avec la tradition de personnages publics pris les culottes à terre, englués dans leur culpabilité, niant l'évidence, bref complètement ridicules.

Dès la première seconde, Mme Pagé aurait dû admettre la chose : " Oui j'ai essayé de voler ces gants. " En niant elle se rangeait bêtement du côté des moralistes qui font du vol à l'étalage un crime grave de " lèse-société ".

Faudra-t-il que je me fasse prendre pour vous montrer comment assumer sa délinquance ? Tout simplement en reconnaissant les faits. Sans commentaire. Sans s'en gargariser. Sans ramper dans sa honte non plus. Ni Robin des bois ni Mom Boucher. J'ai volé des gants. Bon. Vous m'avez pogné. Appliquez la loi, c'est tout.

Je banalise le vol à l'étalage ? Vous avez tout compris, je vous félicite, c'est exactement ce que je suis en train de faire, et c'est exactement ce que c'est : un vol banal. Je fais autre chose aussi : j'assume ma condition d'individu à responsabilité limitée. Mon droit à désobéir aux lois du groupe. Mon droit à ne pas avoir le même centre de gravité ( et le même sens de la gravité ) que celui de la société.

Tout ça pour vous dire, madame Pagé que vous n'avez que vous à blâmer. En niant, vous vous êtes mise à la merci des procureurs. Et ce que vous avez à expier aujourd'hui n'est pas un vol de gants, mais une très nounoune soif de respectabilité.

LA DÉMOCRATIE - M. Milosevic sait des choses sur la démocratie que bien des démocrates ne savent pas. M. Milosevic sait que la démocratie est une forme de dictature, la dictature de la majorité. En libérant les trois prisonniers américains, Milosevic a conforté une majorité d'Américains dans l'idée que cette guerre n'était pas justifiée. Bien sûr, M. Clinton, ses conseillers et les alliés l'ont vu venir de loin avec ses gros sabots, ses prières et ses mamours au révérend Jesse Jackson. Mais M. Milosevic se fout bien que M. Clinton le voie venir ou pas. Son pari c'est que M. Clinton fera bientôt face à une majorité d'Américains en faveur de l'arrêt des hostilités.

M. Milosevic a compris un truc sur les démocraties : elles se donnent rarement la peine d'expliquer, de convaincre, de débattre. Ce ne sont pas des démocraties d'opinion. Ce sont des démocraties de nombre. Et le nombre, ça se manipule, le nombre ça grossit vite avec un rien de propagande. N'importe quel tôton peut battre le rappel des voix pour faire le nombre.

Et Milosevic n'est pas n'importe quel tôton. C'est le plus pervers des tôtons.

LA PIRE FAÇON DE MOURIR - Steve Chiasson s'est tué dans la nuit de dimanche a lundi au volant de son automobile. Chiasson jouait pour les Hurricanes de la Caroline dans la Ligue nationale de hockey. Dimanche soir, les Hurricanes se sont fait éliminer par les Bruins de Boston. Ils sont rentrés à Raleigh tout de suite après le match. Dans l'avion les joueurs ont pris un coup pour oublier la défaite, pour fêter les vacances, ou comme ça, pour rien, les joueurs de hockey n'ont pas toujours besoin de raison pour prendre un coup. Ils ont atterri à Raleigh vers trois heures du matin. Ils sont montés dans leurs véhicules qu'ils avaient laissés dans le parking de l'aéroport. Et ils sont rentrés chez eux. Sauf Chiasson. Il était marié. Il avait des enfants.

Il y a toutes sortes de manières de mourir. La plus conne : saoul.