Le jeudi 13 mai 1999


Le Titanic
Pierre Foglia, La Presse

Il ne s'est pas passé une journée depuis le dernier Tour de France sans que rebondisse le scandale du doping dans le cyclisme. Je vous épargnerai le résumé de toutes les affaires pour sauter directement à l'état des lieux à la minute où on se parle : c'est le bordel le plus total, mon vieux.

Pourquoi ? C'est très simple. Parce que toutes les bonnes résolutions des dirigeants du cyclisme, des commanditaires, des organisateurs, et peut-être des coureurs, toutes les nouvelles lois antidoping, toutes les opérations policières, tous les programmes " d'assainissement ", viennent buter sur une réalité incontournable: il n'y a, ACTUELLEMENT, aucun moyen de détecter la dope dans les urines, le sang, les humeurs des coureurs. Ni l'EPO, ni les hormones de croissance ni le perfluorocarbon, encore moins le PCF qui a le même effet que l'EPO mais sans faire varier le taux d'hématocrite ; autrement dit, avec le PCF qui est en train de remplacer l'EPO, les athlètes n'ont même plus besoin de produits masquants. La drogue parfaitement fantôme.

Les contrôles sanguins inefficaces, reste le contrôle verbal :
- Excusez-moi monsieur Virenque, est-ce que vous prenez de la dope ?
- Moi ! Quelle idée.

Le seul contrôle antidoping qui reste, c'est la bonne foi des coureurs. Qui ont toujours menti. Parce que c'est dans leur culture. Je parle de la dope qui est dans leur culture, le mensonge vient par nécessité, comme un produit masquant. Doper n'est pas tricher dans le cyclisme professionnel. Doper, c'est se mettre au même niveau que les autres. C'est se donner les moyens de faire son métier. Seulement son métier. Gagner, c'est encore autre chose. Une coche, une dose de plus ( et du talent bien sûr, important de le rappeler, la dope ne fait pas avancer les bourriques ).

Il faut voir le scandale du dernier Tour de France comme un iceberg, même si la métaphore n'est pas très originale. Du rivage où ils se tiennent, les profanes se sont beaucoup excité le poil des jambes, " comme c'est gros, comme c'est mal, comme c'est effrayant ". Et encore ne voyaient-ils que la partie émergée, même pas le quart de la chose.

L'iceberg, lui, ne s'est guère inquiété de cette agitation côtière. L'iceberg est resté de glace. La partie exposée aux feux de l'actualité a fondu quelque peu, mais, dessous, rien n'a changé vraiment.

Depuis un an, dans les revues de vélo, dans les journaux, dans L'Équipe, on a adressé mille supplications et mille avertissements aux coureurs - attention, vous allez tuer le cyclisme. Causé toujours, mon bonhomme. À peu près aussi utile que d'implorer un iceberg de ne pas couler le Titanic. Les icebergs n'ont pas plus d'oreille que de sentiment, ils suivent les courants, c'est tout.

Supposons, estimation démesurément optimiste, supposons que la moitié des coureurs pros aient entendu l'appel des nouveaux croisés de la pureté ( qui, hier encore, leur fournissaient les seringues, mais c'est une autre histoire ), supposons que la moitié des coureurs roulent maintenant à l'eau claire. Eh bien ! mon vieux, c'est l'autre moitié qui gagne les courses, voilà tout ! Le Belge Vandenbroucke, tiens. Jalabert. Les Suisses. Les Espagnols. Ullrich dans le prochain Tour, s'il a lieu. Les Italiens, Bartoli en tête, et regardez bien aller Pantani dans le tour d'Italie qui commence samedi.

Il ne s'est pas passé une journée depuis le début de la saison cycliste sans que les chroniqueurs de vélo n'évoquent un cyclisme, " à deux vitesses ". Comme dit un ancien coureur qui vient d'écrire un livre assez savoureux sur la dope, " dans le peloton, il y a ceux qui font du vélo, et ceux qui font du vélomoteur ". (1)

Où s'en va le cyclisme professionnel ? À la même place, j'ai bien peur, que le Titanic. Mais ce n'est pas seulement le cyclisme. C'est tout le sport qui est actuellement devant le même problème. L'athlétisme, roi des Jeux olympiques. Le soccer, roi de l'univers. Le baseball de Mark McGwire. Problème, ai-je dit. Problème Moral ? Sans doute. D'éthique ? Si vous voulez. Mais que diriez-vous de commencer par le plus simple des problèmes, un petit problème tout bêtement pratique que je vous pose ici : dès lors qu'on est incapable de déceler les produits dopants dans le sang, le pipi, les humeurs des athlètes, voulez-vous bien me dire de quoi parle-t-on au juste quand on parle " de lutte contre le dopage " ?

BONJOUR MADAME - C'est le fun que le nouveau club de la Ligue de hockey junior majeur du Québec nomme une femme comme entraîneur adjoint.

Vous dites ? On devrait d'abord s'inquiéter de savoir si c'est un bon coach ou pas, avant de la féliciter d'être une femme ?

Bof. S'est-on inquiété de savoir si Mario Tremblay était un bon coach avant de le nommer ? Et le gros morron qui coache les Maple Leafs de Toronto, croyez-vous qu'il est si bon que ça ? La façon dont il a laissé échapper la victoire mardi soir, c'était pas vraiment génial. Et le total tata, Mike Milbury, qui dirige les Islanders de New York, Et Jim Schoenfeld à Phoenix ? N'importe quelle fille qui a réussi ses stages d'entraîneur ferait au moins aussi bien que ceux-là.

Lorsqu'elle aura adapté ses plans de matches ( le hockey féminin est différent, l'absence de mise en échec permet aux filles de rester en possession de l'objet plus longtemps ), madame Sauvageau fera un aussi bon travail avec les gars du junior majeur qu'avec les filles de l'équipe nationale.

C'est le fun qu'une femme entraîneur accède au junior majeur, première étape avant d'en voir surgir une dans la Ligue nationale. Ce serait encore plus le fun si celle-là était un peu moins rébarbative, un peu moins langue de bois, mais bon, j'imagine qu'il faut mettre cela sur le compte de l'atavisme, Mme Sauvageau étant policière dans le civil. Nobody's perfect, comme disent les Bulgares.

Parlant de hockey, suivez-vous un peu les séries ?

Comment Philadelphie, même sans Lindros, a pu perdre devant Toronto qui jouait pratiquement sans Mats Sundin ? Fouille-moi.

Comment Pittsburgh, avec un gardien ordinaire et sans Jagr, sauf pour les deux derniers matches, a pu éliminer les Devils du New Jersey ? Fouille-moi encore.

Et Ottawa ?

À quoi sert le reste de la saison, ces 82 matches qui s'étalent péniblement sur sept, longs mois, à quoi servent-ils ?

Je vais vous dire à quoi ils servent : à vous fourrer mon enfant, jusqu'au trognon.

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( 1 ) Secret défonce, Erwann Menthéour, JC Lattès.