Le samedi 29 mai 1999


Peut-on bouder dans l'infini ?
Pierre Foglia, La Presse

Savez-vous si Julie Payette est la fille de Lise Payette ? Je vous demande ça parce que j'ai un peu l'impression d'être dans un roman savon. En tout cas, je zappe comme si c'en était un. L'autre jour, elle donnait une entrevue, je me suis attardé quelques minutes, et je trouvais donc qu'elle avait la tête de l'emploi, je trouvais donc qu'elle avait une tête d'astronaute.

Vous savez qu'on s'est longtemps demandé, et qu'on se demande encore d'ailleurs, si on ne devrait pas mettre des robots dans ces navettes spatiales, plutôt que des humains. En apparence, on semble avoir privilégié les humains. Mais je crois qu'en fait, dans le plus grand secret, les patrons de la NASA ont opté pour une solution intermédiaire : des humains certes, mais qui se rapprochent le plus près possible du robot, de façon à avoir le sourire et la parole des premiers pour donner des entrevues stéréotypées, et la soumission des seconds, pour ne pas avoir d'emmerdements.

Prenez tous les astronautes qu'on a eus depuis le début, des Américains, des Russes, des Canadiens, des vieux, des jeunes, un Noir, des femmes, avez-vous perçu une différence de ton ? De sexe ? De couleur ? Avez-vous vu, une fois, une seule, un poil qui dépassait ? Avez-vous entendu un seul discours différent ? Un peu déviant ?

L'infini, tiens. Tous ces gens-là ce sont approchés de l'infini plus que n'importe quel autre humain. En avez-vous entendu un seul en dire autre choses que : C'est grand !

Grand comment ?

Sur Terre, on trouve souvent un infini bonheur à faire des petites choses de rien. Comme lancer sa ligne près d'une roche où on sait que se cache une truite. Comme se faire une tartine de confiture. Comme réparer un truc avec un tournevis. C'eût été une bonne idée de nous rapporter ce qu'il advient de ces petits bonheurs infinis dans l'infini. Peut-on emporter un simple tournevis dans l'infini, ou bien ça prend toujours le bras canadien pour tout et n'importe quoi ?

Autre interrogation, y a-t-il des coins dans l'infini ? Je demande ça parce qu'il y a des jours où je file pour ne pas sortir de mon coin. Est-ce qu'on peut bouder dans l'infini ? Ou bien est-on en état d'extase perpétuel ? Jamais un astronaute n'est revenu en disant : " C'est pas mal, mais c'est un peu vide. " Pourtant, s'il y a quelque chose de vide, c'est bien l'infini, non ?

Remarquez aussi, quand ils reviennent, leur plus beau souvenir, c'est quand ils ont vu la Terre. Imaginez des Martiens. Ils viennent d'arriver sur Terre, ils donnent une conférence de presse :
- Qu'est-ce qui vous impressionne le plus depuis que vous êtes parmi nous, messieurs ?
- De voir Mars par temps clair.
On dirait qu'ils sont bien égotiques. Est-ce en la peine d'aller si loin pour se regarder le nombril ? Combien on parie que Julie Payette va dire la même affaire : " Je contemplais la Terre, c'était extraordinaire. " Sûrement. La fameuse light glow, cet anneau d'oxygène qui entoure la terre, la limpidité du ciel, la luminosité des étoiles, sûrement très beau tout ça... mais je me demandais, de là-haut, est-ce qu'on voit aussi les trois milliards d'humains ( c'est quand même la moitié de la planète ) qui vivent avec moins de deux dollars par jour ?

Est-ce qu'on les voit bien ?

UN AUTRE EXPLOIT - Un autre qui s'est envoyé en l'air récemment, moins haut que Julie Payette, mais quand même à 8846 mètres, la hauteur de l'Everest, c'est Bernard Voyer. Une lectrice de se plaignait cette semaine dans La boite aux lettres de ce que nous n'avions pas joué cet exploit à la une. C'est faux. on l'a joué à la une, la lectrice s'est trompée, c'est pas grave, c'est juste que connaissant l'humilité presque maladive de Bernard Voyer, s'il avait fallu qu'on passe deux fois sa photo à la une, dieu sait au fond de quel désert il serait allé se cacher.

Cela dit, madame, entre vous et moi, juste vous et moi, monter l'Everest avec oxygène et sherpas, ce n'est pas l'exploit que Le Bigot et Bazzo semblent croire. C'est du tourisme de grande aventure. D'ailleurs offert par des agences de tourisme en France et aux Etats-Unis.

PAS MA FAUTE - Petit rectificatif, mais c'est pas ma faute. Dans un récent courrier, je citais un monsieur Dupuis, de Saint-Laurent, fâché des environnementalistes qui sont allés servir du homard " à volonté " à je ne sais plus qui. Des morons, disait M. Dupuis en substance. J'étais d'accord. Sauf que le député de Saint-Laurent au Parlement de Québec s'appelle aussi Dupuis. Évidemment, les morons l'ont pogné par les ouïes. " C'est pas moi, c'est pas moi ", s'est défendu le député. Son secrétaire m'a appelé :
- M. Foglia, dites que ce n'est pas lui.
- Ça dépend. C'est un libéral ou un péquiste ?
- Un libéral.
- Alors si, c'est lui
OK. OK. Le député, c'est Jacques Dupuis. Mon correspondant, André Dupuis, de la rue Décelles. Une chance je ne l'ai pas inventé celui-là, j'aurais bonne mine.

N'Y PENSONS PLUS ! - Des élèves de secondaire IV, de l'école Antoine-de-Saint-Exupéry à Saint-Léonard avaient un travail à faire sur le Kosovo. J'ai leurs copies en mains, si je n'ai rien appris sur le Kosovo, j'ai appris deux ou trois petites choses sur les élèves, celle-ci entre autres : quand on arrive à les intéresser à quelque chose, les ados sont loin d'être nOnos. La moitié des copies sont carrément brillantes, le reste de fort bonne tenue, je les félicite ainsi que leurs deux profs, Michelle Trépanier et Élizabeth Cormier.

Cet extrait d'une des meilleures copies, celle de Leslie Aguidar: " Bombarder la Yougoslavie ne sert à rien sauf à faire souffrir des innocents... j'ai moi-même vécu l'horreur de la guerre quand les États-Unis ont fait une intervention à Panama, pour les mêmes raisons qu'ils interviennent aujourd'hui en Serbie. Et c'est nous, le peuple, qui avons souffert. "

Dans un genre très différent, je ne déteste pas non plus la franchise de François Martel : " Qu'est-ce que le Kosovo ? Une sorte de poisson ? Un mets italien ? Si vous le voulez bien, j'aimerais mieux parler des extraterrestres qui sont plus intéressants parce qu'ils ont trois testicules, comme vous le savez peut-être. Non, je ne consomme aucune drogue, c'est seulement que je me fous complètement de votre histoire de Kosovo. "

Ce bon conseil, enfin, dans la copie de Johanne Hyacinthe : " C'est une guerre trop atroce, il faut essayer de ne pas trop y penser. "

Ce sera mon conseil pour le week-end, ne pensez pas trop.