Le mardi 8 juin 1999


Le guide des soins
Pierre Foglia, La Presse

Tous les matins depuis une semaine, je me rends à la clinique ambulatoire de l'hôpital Brome-Missisquoi-Perkins, à Cowansville. Tous les matins on me fait une prise de sang et une piqûre dans le ventre. Vous ai-je assez dit que j'avais peur de mourir ? Eh bien j'ai encore plus peur des piqûres. " Respirez ! " me dit l'infirmière. Un fou ! Elle attend que je respire pour planter son aiguille. Alors je respire pas. L'autre matin, les deux sièges ordinaires étant occupés, je me suis retrouvé sur une chaise à roulettes. Je reculais, je reculais. L'infirmière me poursuivait en brandissant sa seringue, elle avait l'air d'un guerrier papou chassant le sanglier à roulettes.

Tous les matins, par des raccourcis qui escaladent des coteaux plantés de vigne, à l'heure où la rosée trempe encore les prairies, je traverse les plus beaux paysages du monde. Passé le pont couvert et l'ancienne lapinerie, je prends le chemin des granges à claire-voie qui mène à mon ancienne maison de pierres de Stanbridge East. Puis Dunham, que je surprends par le travers. Puis un autre raccourci de terre qui enjambe, sur des ponceaux de bois, des ruisseaux jaseurs où je vais encore, parfois, braconner la truite.

J'arrive dans la cour de l'hôpital sans avoir rien vu d'autre que des champs, des fermes, des vaches, et senti par la vitre ouverte l'odeur du foin laissé par une charrette matinale. À l'hôpital, la campagne se prolonge dans les conversations, l'infirmière est aussi fermière d'une centaine de vaches, mon médecin élève des moutons, le monsieur dans le fauteuil voisin, c'est le vieux Sherman du chemin de la douane, il me parle de son jardin avec des yeux brillants, ce sera une merveille cette année avec toute cette chaleur et cette humidité.

" Respirez ! " me dit l'infirmière. La sournoise ! Je ne l'ai pas vu s'approcher. J'arrête aussitôt de respirer. Je me pince le nez comme Sylvie Fléchette, je suis le premier malade synchronisé de l'histoire de la médecine.

Ce que j'ai ? Le nom de la maladie, vous voulez dire ? Je vous laisse deviner. C'est pas très grave. Mais pas bénin non plus. Faut faire très attention, me dit-on. Un indice ? O.K. Dans le guide d'information de l'hôpital qu'on remet aux malades atteints de ce truc-là, il y a un chapitre consacré aux activités de la vie quotidienne qui leur sont absolument interdites. Ces activités sont au nombre de cnq. Un, interdiction de faire nos repas. Deux, interdiction de faire le ménage et la lessive. Trois, interdiction de faire le lit. Quatre, interdiction de faire l'épicerie. Cinq, interdiction d'avoir des relations sexuelles.

Je vous jure que je n'invente rien. C'est exactement tel que c'est écrit dans le guide des soins. Alors, de quelle maladie s'agit-il ?

Pour la dernière interdiction, ma fiancée qui est pourtant la modestie même, au sens ici de décence, ma fiancée m'a fait hier cette surprenante proposition :
- Si tu veux, on peut faire l'amour verbalement.
- Tu veux dire que tu vas me parler salacement
- Oui.
- Et ben, vas-y, commence.
- Euh...
- Euh quoi ?
- Euh, j'y arriverai pas, je pense.
- C'est pas grave mon bébé, on va regarder la télé comme quand je suis pas malade.
LES ARABES - Adnane Daoudi, dont les ancêtres sont sûrement arabes, est fâché de ce que le dictionnaire des synonymes et antonymes de Hector Dupuis aux éditions Fides donne pour synonymes de arabe : usurier, homme avide, rapace.

Je comprends un peu son irritation, mais pas vraiment. Qu'est-ce que ça peut bien foutre ? Dans mon Robert analogique en cinq volumes, il est écrit exactement la même chose : Arabe se disait autrefois pour un homme avide et rapace.

Si c'est écrit dans tous les dictionnaires, ça doit être un peu vrai, non ? Ouvrez votre dictionnaire n'importe où. Au mot couteau, par exemple. Couteau, instrument tranchant, servant à couper, composé d'une lame et d'un manche. Peut-on définir plus justement un couteau ? Allons voir maintenant le mot lapin : petit mammifere rongeur à grandes oreilles et à petite queue. Peut-on décrire plus justement un lapin ? Alors je vous le demande, si dans le dictionnaire, un couteau est bien un couteau, un lapin est bien un lapin, pourquoi diable un Arabe ne serait-il pas un Arabe ?

D'ailleurs, vous me rappelez un truc. Un jour, dans un avion, je revenais à Montréal, j'étais assis à côté d'une dame arabe qui n'avait pas de stylo pour remplir sa déclaration de douane, elle me dit : " Pardon missieur, ti mi prête ton criyon ? "

Je lui tends obligeamment mon stylo, au moment où elle vient pour le saisir, je réalise soudainement qu'elle est arabe, je recule légèrement ma main et je lui dis : " Mais il faudra me le rendre par exemple. "

Vexée ! Fâchée ! Je vous dis pas.

Peut-être, après tout, que tous les Arabes ne sont pas des voleurs, mais crisse qu'ils sont susceptibles...

LA GRATUITÉ - La radio de Radio-Canada ne se rendant toujours pas dans mon trou de verdure, je sais par d'autres quand on m'y maltraite. Ainsi, samedi, un ami obligeant me téléphone :
Le Bigot vient de parler de toi. Il a dit que Bernard Voyer ne prenait pas de drogue, mais Pantani, si.
- Quel rapport avec moi ?
- Je sais pas. Il avait l'air de dire que tu n'aimais pas Bernard Voyer.
C'est pas faux ! Je ne sais rien de plus irritant que ces types qui se posent en héros de l'effort gratuit et qui n'arrêtent pas de chialer pour qu'on leur donne des sous. Mais Bernard Voyer me navre moins que ses inconditionnels adulateurs. Le cas d'Albert Jacquard est encore plus patent. Vous noterez que chaque fois que Jacquard nous visite, Le Bigot trouve le moyen de glisser que le grand savant va donner de son temps précieux aux étudiants...

Mon cul. Il donne rien du tout. C'est 1000 $ la conférence ( 2,50 $ par étudiant, plus la contribution de l'école ). Le tarif est raisonnable, n'empêche qu'à deux conférences par école, sept ou huit écoles par tournée, le grand humaniste ratisse quand même 15 000 piastres dans sa semaine chez nous, tous frais payés. Vous m'excuserez de ne pas le remercier à genoux.

Parlant de genoux, Le Bigot, sachant ton goût maniaque des citations, connais-tu celle-ci de La Boétie : " Ils ne sont grands que parce que t'es à genoux. "