Le mardi 15 juin 1999


Et les hommes ?
Pierre Foglia, La Presse

Chaque fois qu'un drame " conjugal " défraie l'actualité, j'attends, je guette la première porte-parole d'un groupe féministe qui va oser déclarer à la radio ou à la télé : " Au Québec, une femme sur quatre est une femme battue. " Je pousse alors un petit cri de saisissement, comme lorsqu'on entre dans l'eau froide : Ahhh !

Une sur quatre ! La statistique revient à chaque drame, incontournable, invérifiable et bricolée différemment chaque fois, des fois c'est une femme sur trois, des fois une sur cinq, j'ai même déjà entendu une femme sur six et demie au Canada. Je vous jure.

Cette statistique pose que la moitié de l'humanité est composée de criminels en puissance. Une femme se fait tuer dans une maison d'hébergement à Saint-Jean, même pas une heure après, la première chose que disent les responsables des maisons d'hébergement est celle-ci, je cite : " Avant toute chose, je voudrais dire aux femmes que les maisons d'hébergement sont sécuritaires. " C'est l'évidence même ! La deuxième chose un homme sur quatre bat sa femme ( et c'es moi qui l'ajoute : parfois même celle du voisin ).

La solution ? Les hommes en prison, mon vieux.

J'entendais une dame réclamer pour la violence conjugale la même répression exemplaire que pour l'alcool au volant ; elle se disait persuadée que cela aurait le même effet dissuasif. Je ne vois pas très bien le rapport. On a le choix de boire ou pas, et dans tous les cas, quand on a bu, on a le choix de conduire ou pas. Je ne suis pas du tout sûr que les hommes violents aient le choix de ne pas l'être. Les traiter en criminels, au lieu de les soigner et de les aider, ne changera pas grand-chose. Ils sortiront éventuellement de prison. Se remettront en ménage. Et retapocheront leur nouvelle blonde.

On a fait beaucoup au cours des trente dernières années pour les femmes battues. Beaucoup et bien. Les maisons d'hébergement sont une ressource assez extraordinaire où les femmes et leurs enfants trouvent réconfort, conseils, aide psychologique et légale. Le plus grand changement des trente dernières années est peut-être dans l'attitude des policiers, aujourd'hui très prompts à réagir aux plaintes de violence domestique.

Bien. Mais pour les hommes violents, qu'a-t-on fait depuis trente ans ? Je veux dire à part les mettre en prison ? Qui les aide et comment ?

Prenons le conflit le plus banal. Un couple qui se sépare et se chicane la garde des enfants, mais pas vraiment la garde des enfants, l'idée étant de se servir des enfants pour faire chier l'autre, le plus possible. Demandez aux avocats qui font du divorce : la chose est courante. Des insultes et des menaces sont échangées, devant les risques de violence le juge décidera que le père pourra voir ses enfants une fois aux quinze jours, le dimanche, de midi à 18 h.

Voyez-vous, comme je le vois, le trou noir dans la tête de cet homme-là ? Devinez-vous ses envies de meurtre ? Tout finira par se tasser sans drame, mais un coup que ça se tasse pas ? Au lieu d'un flic, d'un juge, des avocats, pensez pas que ce serait une meilleure idée de mettre un psy là-dessus ?

LES SYNDICATS - Une dame m'appelle au bureau et me dit : " Je suis secrétaire, je travaille pour un syndicat qui m'a mis en lockout.

Pardon ? je lui dis. Recommencez tranquillement. Je suis comme mes lecteurs, je comprends presque tout quand on m'explique longtemps.

Elle a recommencé. Écoutez bien. Elle est secrétaire et unique employée du syndicat des employés en radio-télédiffusion de Télé-Québec ( affilié à la CEQ ). En décembre dernier, la dame commence à négocier sa propre convention avec son employeur-syndicat. Les négos piétinent. Début janvier, l'employeur-syndicat met son unique employée en lock-out. Ses offres : rationalisation comme ils disent dans les grandes entreprises. On coupe ! Semaine de deux jours au lieu de cinq et salaire à l'avenant.

J'ai appelé le syndicat de Télé-Québec, l'employeur de la dame.

Hé ho ! Les boys. Trouvez pas ça weird un peu ? Un gros syndicat comme vous, qui négocie des grosses conventions collectives, qui met le poing sur la table, qui dit au boss mon écoeurant si tu fais des coupures on fout le bordel dans la cabane... pis vous sortez de la salle des négos, pis vous tombez sur votre secrétaire et unique employée, pis vous lui coupez trois jours de salaire et vous la mettez en lock-out. Pis ça dure depuis six mois !

Il y a eu un silence au téléphone. Le boss du syndicat a dit wooh, c'est pas de même que ça s'est passé. On a négocié avant de la mettre en lock-out.

Vous avez négocié ?

Oui. Mais à un m'ment donné on n'a plus le choix

Alors voilà... ami lecteur, je vous résume la chose : c'était l'histoire d'un président de syndicat qui explique qu'il a mis son employé en lock-out parce que à un m'ment donné on n'a pas le choix !