Le samedi 3 juillet 1999


Les petits cons de bonne famille
Pierre Foglia, La Presse

Vous, c'est quand c'est pas normal.
Moi, c 'est le contraire.
Vous, c'est les tireurs fous. Les maniaques sexuels. Les tueurs d'enfants.
Moi non. Quand c'est pas normal, je vois des victimes partout. Des victimes innocentes. Et des victimes fucked up.
Vous avez l'horreur carnassière. Les bêtes réveillent en vous la bête. Mais au fond, c'est parce que vous avez peur des monstres.
Moi, j'ai peur de vous. J'ai peur quand c'est normal. J'ai le dégoût ordinaire.
« Le jeune conducteur n'a rien d'un criminel, a plaidé son avocat. C'est un jeune étudiant de cégep, en administration, qui vient d'une bonne famille, qui n'a aucun antécédent et qui occupe deux emplois saisonniers. »
Tous les mots de ce petit portrait javellisé puent.
Jeune étudiant en administration. Bonne famille. Aucun antécédent. Deux emplois saisonniers.

Moi, c'est quand tout est normal. Quand c'est pas un fou, pas un monstre, et pas un accident. Quand c'est un étudiant de bonne famille qui, selon la police, roulait à. 132 km/h dans une zone de 50. Et qui tue un type. Même si le type était au milieu de la rue. Même si le type était saoul. Je ne sais pas s'il était saoul. Je dis ça juste pour que le jeune étudiant ait encore moins l'air d'un tueur. Pour qu'il ait l'air de ce qu'il est : un jeune étudiant en administration de bonne famille qui roulait à 132 km/h dans une zone de 50.

Vous, c'est les tueurs.

Moi, c'est les jeunes étudiants en administration pénétrés du sentiment de posséder le monde parce qu'ils sont jeunes, parce qu'ils sont étudiants, parce qu'ils sont en administration. Parce qu'ils sont les futurs petits boss du monde. Tasse-toi mon oncle.

Paraît que les copains du jeune homme étaient furieux de voir leur ami traité comme un criminel.

Vous, c'est les serial killers.

Moi, c'est les petits cons de bonne famille.

MAMAN BOBO - Vous, c'est les infirmières.

Moi aussi.

Prenez mon infirmière personnelle au CLSC La Pommeraie à Bedford, où je vais me faire piquer deux ou trois matins par semaine. Elle ne fait pas la grève.

- Vous ne faites pas grève, Constance ?
- Non. Je proteste à ma façon.
- Ah oui ! et c'est quoi votre façon ?
- Eh bien! ce matin, par exemple, j'ai oublié mes lunettes.
- Je ne vois pas très bien...
- Moi non plus, pas de lunettes, je ne vois rien du tout. Je ne vois même pas votre bras. Donnez-moi votre bras. Elle riait en brandissant sa seringue.
Tout le monde aime les infirmières. Elles sont drôles, elles sont fines. Elles sont maternelles. Elles sont maman bobo.
Tout le monde aime les infirmières, mais je ne suis pas sûr qu'elles méritent tant de joyeux coups de klaxon. Pas sûr que le moment soit bien choisi pour leur démontrer notre affection. Je ne suis pas sûr que leur grève prématurée ( illégale, je m'en fous ) sera bien utile pour les 400 000 employés du secteur public qui vont engager un bras de fer avec le gouvernement à l'automne.

Je ne suis pas sur que ce que pourraient obtenir les infirmières serait donné aussi à la CEQ par exemple. Par contre, si les infirmières se font planter, à plus forte raison les autres syndicats à l'automne.

De toute façon, et de cela je suis absolument certain, cette grève prématurée ne relève pas d'une stratégie d'ensemble. Les syndiqués du secteur public n'ont pas envoyé les infirmières en éclaireuses, ne leur ont pas demandé d'aller déminer le terrain pour l'offensive de l'automne.

Les infirmières sont passées à l'attaque, poussées par la seule urgence d'échapper à la grogne générale qui attend le Québec à l'automne, quand tout le monde va gueuler en même temps.

« Nous, on n'est pas pareilles, ont l'air de dire les infirmières, nous, le public nous aime. » C'est pour profiter pleinement de ce capital-sympathie, pour éviter qu'il se noie dans le mécontentement général, qu elles sont montées sur le pont avant l'heure.

Dans le naufrage annoncé des négociations avec le secteur public, ce n'est pas les plus maltraités d'abord, comme le voudrait la charité syndiquée, c'est les infirmières d'abord.

Nous aimons tous les infirmières. J'aime moins leur opportunisme syndical. J'aime moins que l'affection que nous leur portons soit à ce point récupérée, au coeur même de leurs négociations. J'aime moins l'espèce de corporatisme triomphant qui en résulte et qui renvoie les autres travailleurs de la santé - ceux notamment des syndicats CSN - à leur rôle de soutien, de faiseurs de lits et de nettoyeurs de merde. Les hôpitaux, les CLSC, les maisons de soins de longue durée, c'est aussi des milliers d'auxiliaires, de préposés aux bénéficiaires, de femmes de ménage, de secrétaires, de réceptionnistes.

Je vous le demande, saluerez-vous aussi joyeusement du klaxon les sans-grade du système de santé, quand ils prendront le relais des infirmières sur les piquets de grève ?

Les médecins feront-ils une marche de solidarité pour appuyer leurs demandes ?

Est-ce que la télé les montrera en train de nettoyer la merde avec autant de complaisance qu'elle a montré les infirmières affair rees dans les corridors des urgences ?

VACANCES - Je prends quelques semaines de vacances. Où je vais ? Nulle part. Ici. Je démolis une vieille maison. Si c'est vrai. Les murs, les plafonds, envoye donc, à grands coups de pelle. J'aime ça. On dirait que c'est dans ma nature de démolir. Je le dis avant que vous le disiez, pour vous couper l'herbe sous le pied. Mais c'est vrai pareil, je suis plutôt doué pour casser des trucs, l'autre jour j'ai cassé un très joli vase en le déplaçant parce que je trouvais que là où il était quelqu'un allait finir par le faire tomber.

Je vais aussi aller aux champignons, dès qu'il aura plu encore un peu. Je vais lire des livres sur le banc bleu, je ne sais pas encore lesquels, il faut absolument que j'aille à la librairie. Je vais faire des confitures. Je vais chanter des chansons à mes minous ( ça les amuse beaucoup ) : la belle dé Cadix à des yeux dé velours tchika tchik aïe aïe aïe. Je joggerai dans la ouate des petits matins mal réveillés. Je pédalerai. Je vais dire à ma fiancée que je l'aime, mais que bon dieu de bon dieu, je ne comprends pas pourquoi elle a les pieds si froids même quand il fait chaud.

Voilà.

Ah oui ! aussi je vais écrire. Tous les jours dans le cahier des sports. Un petit truc sur le Tour de France. Ben d'abord, à demain.