Le jeudi 19 août 1999


No problemo
Pierre Foglia, La Presse

Il existe un modèle de chronique de retour de vacances comme il existe un modèle de, chronique de Noël , mais il n'existe pas de modèle de chronique de retour de vacances pour chroniqueurs qui ne sont allés nulle part. Je vais devoir en inventer un, là, tout de suite, sous vos yeux. Une première. Une chronique de retour de vacances sans décalage horaire.

Mais vous, au fait ? Êtes-vous allé quelque part ? Vous êtes allé au Nouveau-Brunswick ! Comme c'est intéressant. Soyez gentil de ne m'en rien dire, j'ai fait il y a très longtemps, du côté de Caraquet, une indigestion d'Acadie et depuis je la rote. Je rote deux choses dans la vie : le boudin quand j'en mange le soir, et l'Acadie à n'importe quelle heure de la journée. Sérieusement, vous ne trouvez pas qu'il y a dans l'Acadien et l'Acadie quelque chose de si définitivement folklorique qu'ils ont tous deux l'air d'être faits en babiche ?

Donc vous n'étiez pas là cet été. Vous avez su, j'imagine, que les infirmières sont rentrées au travail pas contentes du tout et en jurant bien de revenir sur les piquets de grève cet automne. Vous avez su aussi que Drapeau est mort, c'était dans La Presse l'autre jour en pages une et 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24 et 25. On a parlé plus brièvement de la nomination de M. Poutine comme premier ministre de toutes les Russies. Poutine, je vous demande un peu. Ce que j'aime des noms propres russes, c'est ce parfum de caviar qu'ils nous laissent dans la bouche : Rimski-Korsakov, Tchaïkovski, Bakounine, Alekseïevich, qui était l'autre nom du tsar Pierre le Grand... Imagine-t-on un tsar qui se nommerait Poutine le Grand ? Enfin.

Vous avez su aussi pour les grands orages de la mi-juillet ? Des arbres déracinés, des toitures envolées. Ici à Saint-Armand, nous avons été privés d'électricité pendant quelques jours, c'était exactement comme pendant le verglas, les fermiers avaient ressorti leurs génératrices, on allait écouter les nouvelles dans l'auto, exactement comme le verglas vous dis-je, sauf qu'on n'avait pas froid du tout, ce qui a inspiré cette réflexion éminemment climatique à ma fiancée : « Le verglas, c'est tellement mieux en été. »

La chanson de l'été ? Je ne sais pas pour vous, mais moi j'ai un air dans la tête. C'est à cause d'un ami qui est venu passer quelques jours à la maison, on était assis sur le banc bleu, on regardait les chevaux dans la prairie en face, il s'est mis à fredonner nanana, justément une chanson avec des chevaux qui se jettent la tête la première sur je ne sais trop quoi, je crois que cela se passe du côté d'Ostende, bref, j'ai fait nanana avec mon ami, et nous avons fini par chanter à pleine voix au point où les coyotes se sont tus. Nous avons clos notre concert en hurlant comme des fous le message de l'été :
No problemo!
Est-ce que la Sol est la bière des connards et de pétasses ?
Si, no problemo.
Est-ce qu'on peut boire de la Sol en écoutant Lara Fabian ?
Si, no problemo.
En regardant la compétition de nage synchronisée des Jeux Panam ?
Si, no problemo.
J'ai un bouton sur la queue, est-ce que je peux la tremper dans la Sol ?
Si, no problemo.
On n'est jamais allé aussi creux dans le vide sanitaire publicitaire. Je ne suis pas un buveur de bière, mais mon ami qui en est un me disait que, en plus, la Sol est full dégueu.

Non, ce n'est pas vrai. Il a juste dit qu'elle n'était pas bonne. C'est moi qui voulais placer « full ». C'est le mot de l'été : full, comme dans full cool comme disent les ados un milliard de fois par jour. Je vous garantis l'authenticité de l'échange ci-dessous entre une gamine de 13 ans et sa mère :
- Ton chum Ahmed, de quoi a-t-il l'air ?
- Il est full grand, maman. Il est full cool. Il est full égyptien. Et il est musicien.
- Full guitare ?
- Ouin. Il donnait un show hier soir avec d'autres copains. C'est plate, y'avait full pas de monde.

Full pas de monde. Je vous jure. On n'imagine pas plus full paradoxe que full pas de monde.

Bien sûr, vous savez la joke de l'été ? Jacques Villeneuve ! Zéro lap Villeneuve comme on peut le lire dans la plupart des classements de Grands Prix. Par contre, quelle extraordinaire performance des chroniqueurs auto qui réussissent quand même à tartiner trois pages sur un type qui ne fait même pas un tour. Imaginez ce qu'on dirait d'un marathonien qui s'enfargerait en partant dans ses lacets de souliers ? On dirait quel fieffé tôton. Alors que Villeneuve, non. On le plaint. Pauvre petit. J'ai dit que c'était la joke de l'été, mais en fait, presque personne ne rit. Et ça, c'est pas pire non plus comme full paradoxe, je veux dire ce flagrant manque d'humour dans un pays où pullule pourtant l'humoriste.

De mes nouvelles ? Vous me demandez de mes nouvelles ? Comme c'est aimable à vous. Je ne savais pas comment finir. Je vais à peu près bien, merci. À peu près parce que j'ai quand même le sang trop épais. Si, si, c'est vrai. Pas juste le sang, je sais. Toujours est-il que lorsque je vous ai laissés en juillet dernier, j'allais à l'hôpital tous les matins pour une prise de sang. Je n'y vais plus qu'une fois par semaine. Je prends un numéro en entrant, mettons le 22, et je vais m'asseoir dans la salle d'attente. L'autre matin, j'étais assis à côté de deux vieilles dames anglophones qui papotaient de choses et d'autre quand celle de droite a demandé à celle de gauche : « Et comment ça va depuis la mort de votre mari ? » Un peu plus tard, j'ai saisi une bribe de phrase qui m'a laissé perplexe, c'était la présumée veuve qui s'indignait de 1'unilinguisme des soignants d'un hôpital de Sherbrooke. Elle disait : « My husband basically died in French, you know. » À ce moment-là, le haut-parleur a appelé le numéro 21. C'était elle. Comme elle n'avait pas entendu, ou pas compris, j'ai aimablement répété dans sa langue: « Number twenty one, it's you, madame. »

« Thank you », m'a-t-elle remercié.

« No problemo », j'ai répondu, full polyglotte que je suis.

À cause des médicaments que je prends, je porte au poignet un bracelet comme en portent parfois les jeunes Italiens, les jeunes Jiufs marocains et les lifeguards, avec leur prénom dessus, des fois qu'ils ne s'en souviendraient plus, sauf que moi c'est écrit « anticoagulants » sur le bracelet, ce qui est quand même moins romantique que Gianpaolo.

Quoi d'autre dans ma vie ? Ah oui ! la mimine rousse de la grange a eu ses petits.