Le jeudi 26 août 1999


Les vacances sont finies
Pierre Foglia, La Presse

Vous savez, bien sûr, que le vingt-et-unième siècle et le troisième millénaire ne commenceront qu'en 2001. Sauf que par consensus planétaire c'est l'arrivée de l'an 2000 que nous fêterons en grande pompe dans quelques mois.

Ces célébrations trop hâtives en font capoter quelques-uns. J'ai dit capoter ? Ils sont plutôt du genre à ronchonner, à grommeler, à s'énarver. Gnagnagna. Hommes d'ordre et de rigueur, ils nous invitent à compter sur nos doigts jusqu'à dix, « là ! imbéciles ! vous voyez bien que l'an 2000 n'est que la dernière année du second millénaire et non la première du troisième ». Ils écrivent des lettres aux journaux pour avertir que l'on va commettre une erreur épouvantable. Voici un extrait de la dernière que j'ai reçue, elle est de M. Philippe Trolliet qui me dit que « le commun peut bien ignorer la date où changent les siècles et les millénaires, il ne devrait pas en aller de même des gens supposés nous informer ».

Au cas où cela vous aurait échappé, ami lecteur, « le commun » c'est vous, et si M. Trolliet excuse votre ignorance crasse, moi par contre, je le déçois. Il m'imaginait moins commun.

Permettez, monsieur Trolliet, que je vous raconte une histoire. Il était une fois un monsieur qui allait se promener tous les jours à la même heure sur une voie ferrée à deux pas de chez lui. Il marchait en comptant les traverses comme d'autres comptent les moutons pour s'endormir, ne s'interrompant que pour laisser passer le train de 8 h 44. Ce jour-là, pourtant, en entendant le grondement du train dans son dos il regarda sa montre : 8 h 12. « C'est impossible se dit-il, ce doit être une erreur de ces abrutis de cheminots, il ne passe qu'un train par jour sur cette voie ferrée, c'est le train de 8 h 44 qui, comme son nom l'indique, doit absolument passer à 8 h 44. Un point c'est tout. » Et il continua de marcher. On le retrouva le lendemain sur le ballast, plat comme une limande, la limande est un poisson de mer si plat qu'il a les yeux sur les côtés parce qu'il n'y pas assez d'épaisseur sur le devant. Eh bien ! le monsieur aussi, avait les yeux sur les côtés quand on l'a retrouvé.

Ce que nous dit cette histoire, monsieur Chose, c'est que lorsqu'un train passe il se contrecrisse d'être en avance ou en retard. Il passe, c'est tout.

OLÉ ! - Je ne suis pas très corrida. Je trouve les toréadors - leur beauté maquillée et dominatrice, et cette façon de tricoter de l'escarpin - presque aussi ridicules que les nageuses synchronisées et les patineurs artistiques. Presque. Il y a quand même une différence : le danger que constitue le taureau ajoute une dimension dramatique à la prestation des toréadors, en somme ( en bête de somme, s'cusez ), en somme disais-je, le taureau sauve le toréador du ridicule. Et il me vient une idée formidable : on pourrait sauver aussi la nage synchronisée du ridicule en ajoutant un élément dramatique dans la piscine comme un requin par exemple ou quelques piranhas. Et peut-être un tigre de Sibérie sur la glace des patineurs.

Mais j'allais vous parler de corrida. Plus précisément d'une image troublante vue à la télé dans le reportage sur la tourada portugaise tenue l'autre jour à Montréal. L'image nous montrait un toréador (?) pendu à la queue d'un taureau. La bête furieuse triaînait sa charge dans la poussière. J'ai trouvé la scène fort éducative en cela qu'elle démasquait l'art tauromachique qui se prétend l'orgueilleuse démonstration de la supériorité de l'Homme sur la bête. Tout au contraire, cette image d'un homme pendu à la queue d'un taureau furieux nous disait que l'Homme et sa fiancée ne sont que des morpions pendus au poil du cul des monstres.

UN GÉANT - Et si vous arrêtiez de dire des sottises a propos de Surin ? Des sottises sur la dope, mais aussi sur une discipline dont vous ne savez pas grand-chose. J'ai entendu : « Dommage qu'il ait fait une erreur ». Quelle erreur ? Il n'a jamais couru plus vite, c'est son meilleur chrono à vie. Quelle erreur ?

J'ai entendu : « Il était pourtant en avant... » Surin est toujours en avant aux 60 mètres. Si c'était 60 mètres au lieu de cent, Bruny serait champion du monde tout le temps.

J'ai entendu : « Il a échappé la médaille d'or. » Absolument pas. Maurice Greene est encore un tout petit poil plus vite.

Bruny a 32 ans. Après sa déconvenue d'Atlanta ( éliminé en demi-finale ), les pronostics allaient dans le sens d'une fin de carrière gentiment tristounette. Or le voilà qui vient de courir quatre courses de suite en bas de dix secondes, dont une en 9,84. Ce que Surin a fait à Séville - à l'eau claire j'en suis convaincu - est tout simplement prodigieux. Pour la première fois de sa carrière, il est véritablement géant. Et c'est le moment que vous choisissez pour lui adresser des félicitations platement tempérées d'un regret de médaille d'or...

Le scandale n'est pas la trop grande place que le sport tient dans notre société, c'est la méconnaissance qu'en ont ceux-là même qui mettent le sport au centre de leur vie quotidienne.

PÉTITE PROBLEMA - À la suite de ma chronique sur la pub de la Sol, vous êtes douze millions à m'avoir signalé qu'en espagnol on ne dit pas problemo, mais problema.

Vous m'en direz tant.

Cette annonce, produite par une agence québécoise (Bos), a été tournée au Mexique, par des comédiens et des figurants mexicains, pour un client mexicain. Expliquz moi alors comment cela peut etre une erreur ? Si le scripteur québécois s'était vraiment trompé, il y avait assez de gens autour de lui dont la langue maternelle est l'espagnol pour le corriger : espèce de tata on ne dit pas problemo on dit problema.

Si ça n'a pas été corrigé, c'est donc que c'est une erreur voulue. Une erreur voulu n'est pas une erreur. C'est peut-être pire encore, notez bien. Mais c'est pas quelqu'un qui s'est trompé au premier degré, comme vous semblez le croire. C'est un truc. Un artifice. Un effet de style. Une joke. Un clin d'oeil. Très probablement, dans ce cas-ci,. une imitation de l'espagnol de cuisine utilisé. par les tabarnakos de cacapoulcos.

Bref, dites-moi que l'annonce est nulle et méprisante, mais ne m'arrivez pas douze millions en même temps avec votre cours d'espagnol 101 pour corriger problemo en, problema, sinon savez-vous ce que je vais vous dire ? Je vais vous dire, et ce ne sera pas très gentil, mais je vais vous le dire pareil, je vais vous dire que cette annonce nulle et méprisante, peut-être que vous la méritez un peu après tout.

Et bien voilà mon vieux, les vacances sont vraiment finies.