Le samedi 28 août 1999


Le courrier du genou
Pierre Foglia, La Presse

Il était marié à une femme adorable : moi. Il avait deux enfants adorables aussi. Des amis pour aller à la pêche et partager un spaghetti après le bowling. La maison. payée. Un jardin fleuri. Pas malheureux au travail. Des loisirs. Dites-moi, c'était quoi l'urgence de foutre tout ça en l'air ? J'ai deux amies à qui ça vient d'arriver aussi. Serait-ce le vrai bogue de l'an 2000 ? Que se passe-t-il donc dans la tête des hommes de plus de quarante ans ? Johanne Desjeans

Je ne suis pas sûr, madame, que ce soit dans la tête, mais anyway, il n'y a pas de réponse à votre question. Prenez mon exemple, j'ai été assez avisé pour ne pas me retrouver englué dans le genre de petit bonheur domestique qui a fait fuir votre mari, je n'ai pas deux enfants adorables, ce qui m'épargne d'avoir à les recevoir trop souvent, ma maison n'est pas payée, ce qui m'évite de me demander si j'aime ou non mon travail, et surtout je ne joue jamais au bowling. Bref j'ai mis toutes les chances de mon côté, et mon couple va plutôt bien, pourtant, l'autre jour on a dû faire venir le plombier et ma fiancée était tout émue.

EATON - J'avais onze ans, j'habitais le Plateau. C'était en 1950. J'avais une tante vieille fille, Germaine, qui travaillait à la Shawinigan Power, boulevard Dorchester. Germaine était toute petite et elle boitait à la suite de la polio. Une fois par année elle m'invitait à la rejoindre à son bureau dans l'Ouest pour aller dîner chez Eaton, à la somptueuse salle à manger du 9e étage. Ma tante boiteuse y était bien connue. Elle avait sa table réservée. On s'inclinait à son entrée. Ai-je dit que j'avais neuf ans ? Je me souviens de chaque détail. De la fille gantée qui ouvrait et fermait les portes de l'ascenseur express. Puis on débarquait dans l'immense salle à manger avec ses lustres, ses tables aux nappes impeccables, ses serveuses en souliers blancs et petit tablier. Ma tante leur parlait en anglais, j'étais très impressionnée. J'avais droit au super jell-o surmonté de crème fouettée.

Tante Germaine n'estplus. Eaton non plus.

Envoi de Louise Papillon de Saint-Bruno.

CE QUI ME RASSURE - Tu ressembles à Richard Desjardins, lui ne sait pas chanter, toi tu ne sais pas écrire, vous avez au fond le même mépris pour la culture populaire dont vous vous réclamez, toi en plus t'es français et colonisateur. C'est signé : Un petit lecteur paien.

Dans le dégoût que j'inspire à plusieurs lecteurs, je reconnais le mien pour d'autres chroniqueurs, des écrivains, des politiciens, des personnages publics. Bref, la haine des autres me rassure : je suis normal.

RELECTURE - Je viens de terminer la lecture de La petite fille qui aimait trop les allumettes de Gaétan Soucy. Contrairement à M. Foglia j'ai adoré. (Louise Cléroux, Saint-Lazare)

Figurez-vous madame que, à l'instigation de plusieurs lecteurs comme vous, j'ai relu, pendant mes vacances, ce livre qui est l'événement de l'année littéraire au Québec... Vous serez sans doute surprise d'apprendre que j'ai complètement changé d'idée. Cette fois j'ai beaucoup, beaucoup aimé. Je ne comprends pas comment j'ai pu à ce point passer à côté, la première fois.

Troublant ? You bet. Le plaisir que j'ai pris à cette seconde lecture a été gâché par la question que vous vous posez et qui me hante aussi : est-ce que cela m'arrive souvent ? Je ne sais pas. Comment le saurais-je ?

Hélas, je vois venir l'utilisation que feront de cet aveu les auteurs de sombres et indiscutables merdes. Tant pis pour moi. Ce sera ma punition, me voilà désormais condamner à lire les merdes deux fois.

LA CONDITION FÉMININE - J'ai raté quelques Presse cet été et je ne sais pas si la lettre de Martin Dufresne me concernant a été ou non publiée dans le courrier des lecteurs, il y tenait beaucoup, il me traitait de menteur, d'irresponsable et de lâche. Il m'accuse aussi de complicité de meurtre pour toutes les femmes qui seront assassinées au cours des vingt prochaines années. Martin a toujours été un peu excessif. Il est le fondateur et secrétaire à vie du Collectif masculin contre le sexisme. Depuis que je le connais, au moins trente ans, Martin Dufresne se bat inlassablement pour améliorer la condition féminine, et si je le taquine parfois, ce n'est jamais bien méchant, j'ai même de l'admiration pour ce vieux militant qui a réussi à faire changer pas mal de choses, par exemple, c'est grâce à ses nombreuses manifestations devant l'Office des normes si les poignées des casseroles sont faites maintenant en matériau réfractaire, grâce à Martin la ménagère canadienne se brûle beaucoup moins dans sa cuisine. Merci Martin.

BOIS D'OEUVRE - À tous ceux et celles qui ne cessent de nous offrir quasi quotidiennement le spectacle de leur auto-crucifixion, les Lucien Bouchard, les Orphelins, les Lorraine Pagé, les Kosovarisés du système de santé - les gays qui ne peuvent pas donner de sang, les juges sous-payés, les Jacques Villeneuve trahis par leur mécanique - à tout ce beau monde un petit conseil de Tom Waits, tiré de son dernier et magnifique album : « Come down off the cross, we can use wood ».

Maurice Nasr, Ottawa - les ajouts en italique sont de moi.

PHILO - Je voulais vous informer que je vous ai cité dans une dissertation sur Le Banquet de Platon pour mon cours de philosophie. Marie-Claire Benoit, collège du Mont-Saint-Louis.

Vous avez appelé ça Platon et plato ?

LA LEÇON DE FRANÇAIS - French is a very difficult language. The other day I heard a mother saying to her child : Je vais te donner à manger à la cuillère. Can you help me please ? (Marv Goyen, Sherbrooke)

Well, en français, quand quelqu'un te donne à manger à la cuillère ça ne veut pas dire que c'est la cuillère qui va te manger, on n'est pas à la veille de vivre dans un pays bilingue si vous ne faites pas un petit effort pour être moins cons. Par contre, vous remarquerez que lorsqu'une maman donne à manger à la cuillère à son bébé, le bébé a généralement la bouche fermée, et la maman la bouche ouverte. Je vous expliquerai pourquoi une autre fois.

UNE SIMPLE QUESTION - Inventez-vous des lettres, parfois ? (plusieurs lecteurs)
Réponse : Jamais.

LE CRUCIFIÉ - Quand j'ai dit aimez-vous les uns les autres, vous avez pris cela pour un message d'amour. Oui, oui, bien sûr. Mais c'était aussi pour que vous me lâchiez un peu les baskets. La citation au complet, c'est aimez-vous les uns les autres et foutez-moi la paix. ( Dieu )