Le mardi 31 août 1999


La fin d'une belle amitié
Pierre Foglia, La Presse

Vous me faites rire des fois. Alors comme ça, Bruny Surin et Donovan Bailey ne sont plus amis ?

Savez-vous un truc ? Ils ne l'ont jamais été vraiment. Ces deux-là n'ont jamais eu grand-chose en commun à part d'être équipiers dans l'équipe de relais.

Bailey sort du même moule que 99 % des sprinters. Carl Lewis, Maurice Greene, Mitchell, Christie, Fredrericks, Boldon, Ben Johnson, tous de la même race d'humanoïdes devenus vaguement psychotiques à force d'essayer de faire entrer un ego beaucoup trop grand dans une tête beaucoup trop petite.

Bruny Surin non. Je vous l'ai déjà dit et ce n'est pas par chauvinisme, je suis tout ce qu'on voudra sauf chauvin. Je vous l'ai déjà dit : Surin est une exception, un garçon tout simple, les deux pieds bien solides dans la réalité de la vie sociale. Sauf que sa carrière sportive a suivi une trajectoire un peu spéciale. Surin a grandi à l'ombre de Ben Johnson, il a commencé à émerger comme sprinter dans le lourd climat de suspicion de l'après-Séoul, une époque où ce n'était pas une bonne idée d'être un sprinter noir au Canada. À force de gentillesse, de transparence et de talent, Bruny a fini par chasser le fantôme de Ben Johnson. On était alors en 92, et sa quatrième place, en finale des Jeux de Barcelone, le lançait en orbite.

Il n'a pas régné longtemps. Dès l'année suivante, il commençait à se faire tasser par Donovan Bailey, un petit nouveau sorti de nulle part. En fait Bailey sortait des pattes d'un magicien, l'entraîneur Dan Pfaff, de l'Université d'Austin, au Texas, grand spécialiste en biomécanique. C'est Pfaff qui a donné à Bailey ce style « coulé », si efficace dans les 30 derniers mètres, au moment où justement les autres sprinters, dont Surin, ont tendance à se crisper. Au championnat du monde de 95, Bailey gagne la médaille d'or, Surin celle d'argent, et les deux s'unissent pour planter les Américains dans le relais 4 x 100. C'est le début de leur « amitié ».

Aux Jeux d'Atlanta, one man show de Bailey qui gagne, la médaille d'or et établit un nouveau record du monde (9,84). Éliminé en demi-finale, Surin surmonte son immense déception pour aider Bailey à ridiculiser les Américains encore une fois dans le relais 4 x 100. Bailey n'arrête plus de dire quel formidable garçon est Surin, quel talent il a, et tout et tout. Ce qu'il veut dire, c'est que Surin a moins de talent que lui, mais qu'il est bien utile pour gagner le relais. Vous savez comment se passe un relais : peu importe la contribution des trois premiers relayeurs, c'est le quatrième qui ramasse les fleurs et les bravos. C'est plus compliqué et technique que ça, mais c'est ça aussi, d'où l'importance de courir quatrième, privilège que s'arroge Bailey évidemment ( et justement ).

En 1997, Bailey est battu par Maurice, Greene au championnat du monde à Athènes, son étoile commence à pâlir. En 1998, Bailey se blesse gravement au tendon d'Achille, la pire blessure pour un sprinter. En 1999, Bailey revient péniblement à la compétition. Il enchaîne des chronos très moyens. Aux Jeux panams à Winnipeg, il participe au relais, comme premier relayeur. Il a vu venir là défaite contre le Brésil, et n'a pas envie d'être celui qui terminera. En 1999 toujours, en juin, Bailey est dépossédé de son record du monde par Maurice Greene (9,79).

Bruny Surin pendant ce temps est allé prendre conseil auprès de Pfaff, à Austin, et les effets sont immédiats : il n'arrête plus de courir sous les dix secondes. Il enlève de superbe façon la médaille d'argent à Séville dans le temps canon de 9,84 (l'ancien record de Bailey).

Bailey aussi est à Séville. Il goûte pour la première fois à l'anonymat des sans grade. Pas de limousine pour l'attendre à l'aéroport, pas de journalistes qui se jettent sur lui, et, pour finir, Surin médaillé d'argent qui lui dit : « Écoute, mon vieux Donovan, j'aimerais bien être le quatrième du relais, celui qui ramassera les bravos et les fleurs puisque maintenant c'est moi le plus vite. » Bailey ne l'a pas trouvé comique. Mais il s'est plié et les entraîneurs aussi. Bailey a passé le relais à Gilbert qui l'a donné au petit nouveau Trevino Betty, qui devait le remettre à Surin. C'est là que ça a merdouillé. Betty a remis le bâton, à Surin en dehors de la zone permis, et le Canada a été disqualifié.

C'est plate, mais ce n'est pas comme on l'a dit « incroyablement bête ». La chose arrive couramment. C'est arrivé aux Américains et à d'autres. On a dit aussi que cette erreur avait coûté la médaille d'or, c'est faux, au mieux une médaille de bronze : les relayeurs canadiens n'auraient battu ni les Américains, ni les Anglais et peut-être pas les Nigériens non plus.

Bailey sait tout cela aussi bien que moi bien sûr. Mais il a choisi de dire que c'était la faute à Surin qui a fait changer l'ordre habituel du relais.

Et voilà comment s'est terminée une belle amitié qui n'a jamais existé.

ARRÊT PIPI - Quand les coureurs cyclistes ont envie de faire pipi, ils s'arrêtent sur le bord de la route, ou s'exécutent en roulant, mais quelle que soit la manière, ils sont tenus à un minimum de discrétion. Un règlement de l'Union cycliste internationale prévoit des amendes pour ceux qui se « découvrent » intempestivement. Et cela arrive assez fréquemment.

Samedi dernier, quatrième étape du Grand Prix cycliste féminin disputé dans ma région, on venait de traverser le village de Stanbridge East, on allait vers Frelighsburg, il y avait encore plein des maisons, du trafic sur la route. C'est alors qu'une douzaine de filles du peloton se sont arrêtées pour aller faire pipi. Douze filles en ligne accroupies dans le fossé, parfaitement visibles de la route.

Les commissaires de la course ( toutes des dames ) m'ont confirmé qu'elles ne séviraient pas. « Y'a rien là ! » m'ont-elles dit. D'accord pour qu'elles ne sévissent pas. De là à prétendre que 12 jeunes femmes qui baissent leur culotte en même temps sur le bord de la route « y'a rien là », je ne suis pas si sûr, savez-vous. À Montréal peut-être, mais ici, dans mon coin, ce n'est pas très courant. Peut-être suis-je un peu straight, mais j'ai trouvé la chose, comment dire ? confondante ?

Vous savez comme ils ont le ricanement facile à la campagne, j'ai eu de mes voisins des commentaires du genre « ouais, beau p'tit sport, le bicyk ».