Le jeudi 2 septembre 1999


Tentative d'assassinat
Pierre Foglia, La Presse

Près de Lacolle, l'autoroute 15 est réduite à deux voies en raison des travaux. Du moins était-ce le cas mardi. Une voie pour le trafic sud, l'autre pour le trafic nord, les cônes qui séparent la chaussée en deux réduisent encore l'espace roulable, si bien qu'on s'y retrouve aussi à l'étroit que sur une route de campagne. Prudemment, sur cette portion, la vitesse maximum a été réduite à 70 km/h.

Je roulais à 80 comme il se doit, mais derrière moi, un camion qui trouvait que ça n'allait pas assez vite s'impatientait. Vous savez cette façon intimidante qu'ont les trucks de vous dire « ôte-toi de mon chemin », en vous « collant », en vous bulldozant, en grognant dans votre valise. J'accélère un peu pour le décoller, à 90, 95. Il est toujours là. C'est encore trop lent pour lui. Je me tanne. Je ralentis progressivement. Du doigt je lui montre les pancartes qui indiquent 70 km/h. Et je roule à 70 km/h. J'ai cru qu'il allait me tuer. Il s'est rapproché encore il a klaxonné comme un fou sur deux kilomètres, j avais l'impression d'avoir un transatlantique dans le cul.

Heureusement est arrivé un embranchement, j'ai pu me tasser dans la bretelle de sortie, il est passé, ouf. Je l'ai rejoint à mon tour iuste pour voir à quelle vitesse il allait rouler. À 115 ! Un immense truck. À 115 km/h dans une zone de 70. J'ai relevé son numéro, noté le nom de la compagnie, finalement je ne l'ai pas stoolé, je ne vais pas commencer à jouer au flic à mon âge, mais fuck que les trucks font chier.

Et bien sûr, chaque fois que le sujet revient dans l'actualité, le plus souvent à la suite d'un accident impliquant un camion, comme cet été à Saint-Michel-de-Bellechasse ( quatre morts, onze blessés ), chaque fois les porte-parole des truckers se dépêchent de défendre la corporation plutôt que d'interroger ses pratiques ( exactement comme le font les syndicats de flics ).

La réalité est pourtant criante sur toutes les routes du Québec : les truckers vont beaucoup trop vite. Et ils ne vont pas seulement trop vite, ils sont aussi, très souvent, agressifs et intimidants. Tous les jours, je dis bien tous les jours, je croise ou je suis doublé par des camions qui. dépassent largement les vitesses permises. Et au moins une fois par mois un camion me frôle, me talonne dan-ge-reu-se-ment.

Vitesse, agressivité, intimidation, irritabilité... même pathologie que les athlètes sur la dope. Ma comparaison n'est pas innocente. Qu'on analyse le pipi des truckers, on y fera des découvertes stupéfiantes. Vous me direz que des chefs d'entreprise, des journalistes, des étudiants en période d'examen se dopent aussi pour être plus performants. Sans doute. La différence c'est que ceux-là ne risquent de tuer qu'eux-mêmes.

CAPITAL SYMPATHIE - Je sais que plusieurs infirmières se sont irritées, cet été, des réserves émises dans cette chronique sur leur grève illégale. Je tiens à resouligner que je ne doute pas une seconde de la justesse de leurs revendications, tant salariales que normatives, mes réserves concernaient surtout ce fameux capital sympathie, dont elles ont fait, à mon sens, une impudente stratégie syndicale.

Et voilà d'ailleurs qu'elles recommencent. Je lis dans mon journal d'hier que « pour préserver leur capital sympathie, les infirmières doivent bannir la grève ». C'est le conseil donné à Mme Skene et son bureau par quatre experts en relations de travail.

Oui, mesdames les infirmières, les gens vous aiment bien. Mais quel rapport y a-t-il entre ce foutu capital sympathie et vos justes revendications ? Les gens n'aimant pas particulièrement les plombiers, devra-t-on les payer moins ? Drôle de syndicalisme que celui qui mesure la pertinence de ses revendications à l'applaudimètre du public.

Oui, les gens vous aiment bien. Mais c'est une affection qui ne devrait être ni monnyable, ni « récupérable », ni rien. Comme n'importe quel autre sentiment. Imaginez : vous aimez quelqu'un qui au lieu de s'en trouver tout simplement bien, se demande à haute voix comment tirer avantage de l'affection que vous lui portez. Ça porte un nom, ce genre de personne : pute.

Oui, les gens vous aiment bien. Mais c'est gratuit. C'est pas négociable. C'est pas parce qu'on vous aime bien que vous devriez être mieux payées. Vous devez être mieux payées parce que le travail que vous faites justifie un meilleur salaire et des meilleures conditions. C'est tout.

Oui, les gens vous aiment bien, mais ils ne sont pas dupes, ils savent parfaitement que leur idéalisation de l'infirmière en super maman-bobo ne résiste pas longtemps à la réalité. Dans la réalité, les infirmières ne sont pas si fines que ça. Il y en a des fines et des pas fines, comme dans tous les métiers.

Quand la très très fine infirmière qui fait ma prise de sang au CLSC est partie en vacances cet été, elle a été remplacée par une petite jeune pas plus sympathique que ça. Même que j'oserais dire qu'elle avait une face de bois. J'ai eu avec elle exactement le même rapport qu'avec le gars d'Hydro, un nouveau aussi, il n'a pas dit bonjour en sortant de son auto, il a tout de suite demandé : ousqu'est le compteur ? En arrière, j'ai dit. Et on ne s'est pas embrassé sur la bouche, ni rien.

Oui, les gens vous aimeront moins comme syndicalistes que comme infirmières. C'est pas une raison. Votre force, votre intégrité, c'est votre capital travail. Capital sympathie ? Qu'est-ce que c'est que cette merde ? Ça n'a ni consistance ni dignité. Le capital sympathie, c'est du capital de joueur de hockey, de chanteur de charme, d'animateur de radio. C'est pas du capital de travailleur. C'est pas du syndicalisme. C'est des relations publiques. Ouache.

NO PROBLEM ! - Pour finir plus léger, une dernière explication à propos de no problemo. Ce serait de l'espagnol ironique! De l'espanglish. L'expression est en usage à la frontière du Texas et du Mexique, les Mexicains utilisent entre eux « no problemo », pour se moquer des gringos qui n'arrêtent pas de dire « no problem », surtout quand il y en a un. Le concept n'a tout simplement pas été repensé pour le Québec, ce n'est donc pas du mauvais espagnol, c'est une mauvaise, translittération de l'américain. Ces précisions nous viennent de M. Don Alonso Quijano, phonéticien de l'Académie d'Hexcztrom Phonet ( prononcez atchoum phonet ).

Allez je vous embrasse. Mais oui les truckers aussi. Juste un p'tit bec.