Le jeudi 9 septembre 1999


Je veux être une tortue
Pierre Foglia, La Presse

J'aimerais bien être une tortue. Ou un saumon. J'ai entendu hier à la radio que les tortues ne vieillissent pas. Les saumons non plus. Apparemment, ce n'est pas une blague. Les tortues et les saumons prennent de l'âge sans que leurs cellules dégénèrent. À un m'ment donné ils meurent, mais ils ne sont jamais ni vieux ni jeunes. Ils ne vont pas à tout petits pas avec une canne. Leur dentier ne trempe pas dans un verre sur la table de nuit. Leur vue ne baisse pas, jamais n'a-t-on vu un saumon à lunettes et une tortue non plus.

Je ne sais pas pour vous, mais je commence à un être un petit peu tanné d'entendre, parler du vieillissement de la société. Tanné de voir qu'on utilise les mêmes stratégies avec les vieux qu'avec les pauvres. La société lutte contre la pauvreté en éliminant les pauvres, en en faisant statistiquement des nuls et des paresseux. De même, la société lutte contre le vieillissement en éliminant les vieux, en en faisant statistiquement des malades. Sauf 18 % des vieux, lisais-je quelque part, qui font du jogging, voyagent, consomment des tonnes de vitamines et ont un formidable pouvoir d'achat. Je suis tanné des chiffres qui permettent aux agences de pub d'établir des stratégies pour fourrer les vieux pareil que s'ils étaient jeunes et cons. Je suis tanné des statistiques qui disent que 72 % des vieux achètent des billets de loteries, fréquentent les caisses populaires de préférence aux banques, lisent La Presse plutôt que le Journal de Montréal, que 18 % des vieux ont un formidable pouvoir d'achat. J'avertis solennellement les présidents des jeunes chambres de commerce à travers le monde que si je les entends parler encore une fois de « mon pouvoir d'achat », je leur fous ma canne à travers la gueule.

Je veux être une tortue. Les tortues ne sont jamais vieilles, ne vont jamais radoter sur les bancs des Galeries Saint-Bruno, ne vont jamais jouer aux cartes l'après-midi au club de l'âge d'or, ne prennent pas leur retraite à 65 ans, ne se teignent pas les poils pubiens pour faire jeune, ne vont pas à Sainte-Anne en autobus, n'écoutent pas Claire Lamarche, et dans les conférences nationales sur le vieillissement comme celle qui se tient à Montréal en ce moment, on ne dit jamais que les tortues sont un poids pour la société.

REMERCIEMENTS - Le tour cycliste Trans-Canada est un bien curieux événement dans notre paysage sportif. Dix étapes, un peloton d'une centaine de coureurs pros-mateurs qui tient des moyennes de 44 km/h ( ça roule plus vite qu'au Tour d'Espagne ), une organisation me dit-on impeccable, une heure à la télé tous les soirs, où donc Serge Arsenault est il allé chercher tout ce fric ? Qu'a-t-il bien-pu raconter à madame Copps pour qu'elle voie soudainement, dans la pédale, un instrument de l'unité canadienne ?

En tout cas, ce tour est une bénédiction pour le cyclisme canadien qui végète faute de promoteurs, de courses, surtout de dirigeants qui se bougeraient un peu le cul, mais certainement pas faute de coureurs de qualité, on le voit bien ici, Gordon Fraser vainqueur de trois étapes, Michael Barry et Dominique Perras dans les dix premiers au classement général...

Je ne suis pas un grand fan de Arsenault, et ça va sûrement m'arracher un peu la gueule, mais je vais le dire pareil : merci.

QUE C'EST DONC PAS VRAI ! - Un ami est passé à la maison l'autre jour avec le livre de Gil Courtemanche, Nouvelles douces colères, chez Boréal. En le feuilletant je suis tombé sur ce commentaire : « La campagne (électorale) a ramené Bernard Derome à l'antenne. Heureusement. Cela repose de la suffisance branchée de celui qui l'a remplacé au Téléjournal L'un informe. L'autre se met en scène. »

J'ai poussé un hurlement de désaccord. Honnête lecteur de nouvelles, Derome a accédé un jour à la célébrité par le seul fait d'être là depuis longtemps. Dans notre métier, la durée passe souvent pour du talent, je sais de quoi je parle. Bref, émoustillé par sa notoriété, Bernard s'est mis à cultiver ses tics, et l'honnête lecteur de nouvelles est devenu un personnage.

Je trouve Stéphane Bureau cent fois plus efficace que Derome pour ramasser l'actualité et la faire vivre. Si Bureau a un défaut, c'est d'en mener trop large. On le voit trop, on le voit partout. Comme souvent les jeunes loups qui reprochaient aux boomers de prendre trop de place, à la première ouverture, eux la prennent toute. À moi le Téléjournal, les grandes entrevues, les affaires publiques, les faits divers, la culture, le sport. Paraît que le soir, Bureau fait aussi le ménage du studio.

Me voilà à vous parler de Bureau alors que je m'apprêtais plutôt à vous parler de René Lecavalier, ce sera pour une autre fois... Juste un mot quand même, quand je suis arrivé au Québec au début des années soixante, Lecavalier était déjà celui « qui parlait bien ». Quarante ans plus tard, à sa mort, les éloges qu'on lui fait ne disent pas autre chose : Dieu que cet homme-là parlait bien ( et abondamment ). Lecavalier incarne de façon troublante la fascination du Québec des années soixante pour une langue emphatique. D'autant plus troublante que l'autre héros de ces années-là, Maurice Richard, était un héros muet, faute de maîtriser le discours. Quand vous aurez rangé vos kleenex, il y a là un sujet fascinant je pense.

SÉDUCTION - Lu dans Time Magazine (éd. du 9 août, page 14) cette confession d'un type qui raconte que sa femme s'est doutée qu'il avait une maîtresse, je cite : « Quand j'ai commencé à fréquenter les salons de bronzage... »

J'ai fait le test avec ma fiancée.
- Fiancée, si je me faisais bronzer, penserais-tu que j'ai une maîtresse ?
- Pas du tout. Je penserais que tu veux devenir chroniqueur au Soleil.
(S'cusez la.)

L'ÉVOLUTION DE L'HOMME ( ET DE SA FIANCÉE ) -
- Allô, vous êtes l'homme de la maison ? Accepteriez-vous de répondre à un questionnaire sur la santé, ça ne vous prendra que deux ou trois minutes...
- Allez-y.
- Souffrez-vous d'asthme ? Ou quelqu'un dans votre famille ?
- Non madame.
- Des allergies ?
- Non.
- Gardez-vous des animaux domestiques à la maison ?
- Oui.
- Avez-vous des tapis ?
- Non.
- Avez-vous une balayeuse ?
- Oui.
- Quelle marque ?
- Quel rapport avec votre enquête sur la santé ?
- Quelle marque monsieur ?
- Je ne sais pas, mettons Général Electric.
- Quel âge ?
- L'âge de ma balayeuse ?
- S'il vous plaît monsieur.
- Hey, s'tie de niaiseuse, je sais l'âge de mes enfants, pas celui de ma balayeuse.

Je raccroche. Le téléphone resonne aussitôt :
- Niaiseux toi-même.

( Note aux paléontologues qui déchiffreront cette chronique dans deux millions d'années : ceci est le rigoureux mot à mot d'une conversation entre deux homo sapiens adultes - j'insiste : adultes - conversation tenue un mardi aux alentours de midi trente, vers la toute fin du deuxième millénaire de l'ère chrétienne. À la radio on parlait du Timor oriental. )