Le mardi 14 septembre 1999


Le profit est-il soluble dans l'écologie?
Pierre Foglia, La Presse

Plonge, dit la baleine à son bébé baleine, dépêche-toi plonge, un zodiac foncé droit sur nous...

Mais non, ce sont nos amis de l'équipe Cousteau, répondit le baleineau en sortant son nez de l'eau.

Et il se prit un grand coup d'hélice dans la gueule.

Pour les baleines, il n'y a pas de différence entre les zodiacs « scientifiques » de l'équipe Cousteau et les zodiacs des touristes. Pour les baleines, cétacé et c'est même beaucoup trop. Mais, pour l'industrie touristique, c'est le contraire, plus elle envoie de touristes sur l'eau « observer » les baleines, plus elle fait des profits.

C'est la question derrière l'incident Cousteau : le tourisme est-il soluble dans l'écologie ? Même que je vous dirais qu'à la limite, fuck les baleines, il est d'autres espèces plus en danger que les baleines sur cette planète, entre autres l'Homme et sa fiancée. Il est d'autres questions plus graves que de savoir si le tourisme est soluble dans l'écologie, par exemple : est-ce que l'industrie est soluble dans l'écologie ? Est-ce que le progrès, la modernité, l'expansion, le libéralisme économique sont solubles dans l'écologie ? En fait on pourrait résumer toutes ces questions en une seule : est-ce que le profit est soluble dans l'écologie ?

Tant qu'on n'aura pas répondu à cela d'une manière ou d'une autre, on est condanmé à faire dans l'écogâtisme. On apprend aux petits enfants à ne pas jeter leurs papiers par terre, mais on rejette dans l'air des fumées chargées d'oxyde de soufre et de plomb, on saupoudre la terre de milliards de tonnes de pesticides, et on fait passer au-dessus de leurs têtes des lignes haute tension qui leur donneront le cancer. C'est ce que j'appelle de l'écogâtisme.

La forêt tropicale aussi c'est de l'écogâtisme. Une cause. Une grande cause pour une grande multinationale de l'écologie comme Greenpeace. Fuck Greenpeace. Les collines autour de chez moi sont couvertes de pommiers. Lesdits pommiers sont arrosés en moyenne 19 fois par été d'acaricides, de fongicides et d'herbicides, une merde chimique destinée à booster la production de belles pommes rouges. Le CLSC de Bedford - le CLSC La Pommeraie justement - s'est senti obligé de publier un dépliant qui explique comment vivre près des pommiers ; « pas de panique », dit le dépliant, ce qui est la meilleure façon d'en déclencher une, pas de panique, mais on nous conseille quand même de vivre derrière un écran d'arbres (!!!), de fermer les fenêtres (en juin et juillet !), de recouvrir les carrés de sable des enfants et de rincer leurs jouets après chaque pulvérisation, 19 fois par été.

Quel rapport avec les baleines ?

Je viens de vous le dire : le profit. On stresse les baleines et les pommiers pour la même raison, le profit. Question grave qui impliquerait un choix de société. Mais, bien sûr, on débat depuis toujours sur des niaiseries. C'est pas moi, c'est lui qui a frappé la baleine, et gnagnagna.

Imaginez, si nous sommes incapables de dire cétacé à la demi-douzaine de montreurs de baleines de Tadoussac pour ne pas brimer leur libre entreprise, imaginez comme on est encore plus loin de remettre en question l'expansion illimitée de la production dans l'agriculture, dans l'industrie, dans le tourisme, dans tout. Imaginez comme on est loin d'un choix de société qui opposerait la mesure à l'expansion.

L'écologie est mesure. L'écologie n'est pas religion de la terre. Ni retour à la terre. Ni protection des baleines, des pandas et de je ne sais quel foutu récif corallien au fond de la mer. L'écologie n'est pas de ramasser les papiers par terre, ni de faire des dons à Greenpace. L'écologie n'est pas tradition, n'est pas déification de la nature. L'écologie n'est pas une question de principe. L'écologie n'est pas le contraire de l'expansion parce que l'expansion est un absolu de l'idéologie progressiste et que le contraire d'un absolu ne peut être qu'un autre absolu. L'écologie n'est pas un absolu. L'écologie est mesure. De la vie humaine entre autres. Très accessoirement de celle des baleines..

LE CON POLLUEUR - Parlant de pollution, évidemment, quand je fais du vélo, je ne jette rien sur la route. Je garde dans ma poche arrière l'emballage des barres de fruits que je grignote pour m'en débarrasser dans une poubelle au prochain arrêt.

C'était donc samedi dernier. J'arrive à Jeffersonville, un village du nord du Vermont. J'entre au resto-boulangerie de la rue principale, un endroit bien connu des cyclistes qui sont nombreux à y faire une halte avant d'attaquer la grimpée de Smugglers Notch et de basculer vers Stowe. En entrant dans le resto, le patron me tombe dessus en aboyant : « T'as pas vu l'affiche, pas de vélo sur la galerie ! » Je ressors. Effectivement il y avait une affiche. C'est pas une raison pour m'engueuler, ça fait des années que je vais là, j'ai toujours vu des vélos sur la galerie... du même coup je découvre une autre affiche dans la vitrine, nouvelle elle aussi, qui s'adresse encore aux cyclistes : « 50 cents pour remplir votre bidon. » Cinquante cents pour mettre de l'eau du robinet dans un bidon ? La fumée commence à me sortir par les oreilles, mais bon, ventre affamé n'a point de fierté, je déplace mon vélo et je retourne dans le resto. En passant à côté d'un cabaret de vaisselle sale j'y dépose machinalement l'emballage vide d'une barre de fruits et un petit tube en plastique, vide aussi, qui contenait du glucose. La serveuse se précipite, ramasse le tube et le papier d'emballage dans le cabaret, les rapporte à ma table en disant : « Garde tes vidanges ! »

Cette fois je suis sorti, penaud et abasourdi par cette désobligeance délibérée. Le patron se tenait les bras croisés sur le pas de la porte. La tension avait monté au point où nous en étions aux poings. C'était l'étape suivante. Je m'y suis refusé autant par lâcheté que par sens commun, je n'allais tout de même pas colleter avec ce con pour rien ?

Je ne me suis jamais servi de cette chronique pour boycotter qui que ce soit ou quoi que ce soit. Je ne vais pas commencer aujourd'hui, d'autant plus que c'est le seul resto potable de ce village situé à la croisée de nombreux itinéraires cyclistes. Mais mettons... mettons que vous mangeriez dans ce resto, sans vous faire remarquer, gentils et tout. Mettons que juste avant de partir vous iriez aux toilettes (au fond à droite). Mettons que vous utiliseriez beaucoup de papier, je veux dire vraiment beaucoup beaucoup beaucoup beaucoup de papier. Mettons les trois quarts du rouleau...

Je rembourse votre addition.