Le samedi 18 septembre 1999


La liberté racontée aux enfants
Pierre Foglia, La Presse

Dans le cadre de sa campagne de financement, le Service d'hébergement Saint-Denis, un refuge pour jeunes sans-abri, mettra à l'encan des textes commandés à toutes sortes de gens sur un thème commun, cette année, LA LIBERTÉ. Je ne me souviens plus quel était le thème l'an dernier -, la démocratie ? manger des huîtres avec des ongles sales ? - anyway, on m'a redemandé. Voici la chose.

*****************



La liberté donc. La liberté est un mot très utile quand on écrit des chansons engagées. Notons que dans les chansons engagées, liberté s'écrit avec plusieurs « é », libertéééééé, comme les moutons quand ils font bééééé. C'est souvent le dernier mot de la dernière chanson d'un spectacle, l'artiste lève les bras : la liber-téééééé. Les spectateurs se dressent d'un bond. La liberté est un mot qui met les gens au garde-à-vous, comme un hymne national, comme un drapeau. Moi je reste assis. Quand je me mets au garde-à-vous, je ne me sens pas libre. Drette là, on voit que la liberté n'est pas un concept aussi simple qu'il en a l'air dans les chansons. On voit que la liberté qui fait lever des gens en assoit d'autres. On voit que la liberté peut vouloir dite n'importe quoi et son contraire. Finalement, c'est un mot plutôt rigolo.

Dans nos contrées, nous jouissons de toutes les libertés fondamentales qui font qu'une société est à peu près démocratique : liberté d'opinion, liberté de circuler, liberté de choisir un gouvernement, liberté de pratiquer la religion que l'on veut, liberté de conscience, liberté (entre adultes consentants) de pratiquer la sexualité qui nous convient, liberté de s'associer pour défendre la liberté, etc.

De plus en plus de libertés.

Mais en même temps, de moins en moins.

Comment est-ce possible ? Eh bien ! parce qu'il est des nouvelles libertés qui en annulent d'anciennes. Par exemple, la liberté d'être con annule presque toutes les autres libertés. Quel usage voulez-vous que le con fasse de la liberté d'opinion puisqu'il n'a rien à dire ? De la liberté de circuler puisqu'il ne sait pas trop où aller ? De la liberté de presse puisqu'il ne lit pas le journal ?

La liberté d'être con est pourtant la liberté la plus à la mode de cette fin de siècle. En particulier chez les jeunes. La liberté d'être con est sans doute la liberté la plus revendiquée par une large majorité d'étudiants du secondaire puisque c'est la liberté de ne pas étudier, la liberté de refuser l'autorité, la hiérarchie, l'effort, le travail scolaire après l'école, et même pendant.

C'est une liberté relativement nouvelle au sens où, il n'y a pas si longtemps, les enfants n'étaient libres de rien. On jugeait que la liberté était d'abord affaire de savoir, de connaissance, de culture, et les enfants ne sachant rien on leur disait « apprenez d'abord, vous serez libres ensuite, mais en attendant fermez vos gueules »... Je ne sais pas trop comment c'est arrivé, probablement une autre négligence des baby-boomers, les enfants sont devenus des êtres libres à part entière. Devenant libres, ils ont aussitôt revendiqué la liberté de ne pas apprendre. La liberté d'être cons. La liberté qui les prive de toutes les autres.

Les premiers à céder ont été les parents, puis les fonctionnaires du ministère de l'Éducation, puis les maîtres. Il n'y paraît presque pas, on à réussi à donner le change en baissant les exigences, les enfants changent de classe, sont reçus à des examens bidon, tout semble aller très bien, n'empêche que l'école manque totalement à sa mission première : l'instruction.

Les savoirs ne sont plus transmis. Donc les libertés non plus.

C'est la première chose, jeunes gens, que je voulais vous dire sur la liberté : fermez donc vos gueules et apprenez.

*****************



Si vous vous rappelez bien j'ai commencé cette chronique en disant que la liberté était n'importe quoi et son contraire, et c'est la deuxième chose que je vais vous dire, le contraire : quand vous aurez appris, désapprenez. Refusez les contraintes. Prenez des risques.

La liberté comporte toujours des risques.

Quand l'homme ordinaire part travailler le mardi matin, ce ne sont pas les grandes libertés fondamentales qui font de lui un homme libre. C'est l'envie, même fugitive, même si elle ne fait que lui traverser l'esprit, l'envie de sortir de ses sentiers. L'envie de prendre un risque. Vivre. Aimer. Accoucher. Vieillir. Travailler. Courir. Nager. Conduire sa voiture. Tout ça, c'est prendre des risques. Aimer. J'avais déjà dit aimer ? Fait rien, je répète. Aimer. Aimer, c'est la liberté. Aimer, c'est prendre des risques.

Les gens qui menacent le plus la liberté sont ceux qui, au nom du bien commun veulent supprimer le risque. La liberté est toujours plus menacée par la morale que par la politique, par les curés que par les flics. Les pires ennemis de la liberté ne sont pas les groupes racistes, antisémites, la mafia, les motards, les extrémistes politiques Preston Manning, Bill Johnson, Galganov, ceux-là, on les voit venir de loin... Vous allez rire, le pire ennemi de la liberté en ce moment au Canada, c'est le tôton de fonctionnaire qui a décrété que pour éliminer tout risque de propagation de la maladie de la vache folle, les Canadiens qui ont séjourné plus d'un mois en Angleterre ne pouvaient pas donner leur sang. La mesure, ridicule, ne causera pas un bien grand dérangement, mais l'idée qui la porte, cette prévoyance maniaque, absolue, cette phobie du risque, annonce une société paralysée par la crainte. Les plus grands ennemis de la liberté, ce sont ces curés-là de la santé et de la sécurité publique, les coalitions contre la cigarette, les lobbies contre les armes à feu, pour le port de la ceinture, et du casque obligatoire, ils ont en tête un projet de société à risque nul. Et ils ont pour l'instaurer un plan de match qui passe par la manipulation des médias, des politiques, de la majorité silencieuse, cette merde sournoise qu'on appelle l'advocacy. L'advocacy est le pire ennemi de la liberté.

La liberté, c'est de porter un casque parce que c'est raisonnable d'en porter un, et de l'enlever parce que c'est obligatoire. La liberté n'est jamais une obligation civique, une vertu personnelle, une réponse satisfaisante à une question morale. Et puis la liberté, faut jamais en parler trop longtemps. La liberté, souvent, c'est une minute de silence.