Le samedi 25 septembre 1999


Le ministère de la charité
Pierre Foglia, La Presse

Vous avez sans doute noté qu'on a maintenant, au Québec, un ministère de la Solidarité. Jadis vigoureux ressort moral, le mot solidarité est presque devenu un archaïsme. Dans notre modernité économique la solidarité a été remplacée par le père Noël et son panier. Le mot continue d'attendrir les bougalous de la social-démocratie, mais il ne faudrait surtout pas croire que, accolé comme ici au mot ministère, il incarne une quelconque volonté politique d'apporter un quelconque soutien aux plus démunis d'entre nous.

J'entends encore Lucien Bouchard s'engager lors du Sommet de l'emploi « à ne pas appauvrir les plus pauvres des pauvres ». J'avais trouvé la formule ronflante : s'engager à ne pas appauvrir les plus pauvres des pauvres, c'est comme le minimum du minimum, comme s'engager à ne pas donner des coups de pied aux infirmes. Notre premier ministre n'étant pas chaussé pour botter le cul de personne, je voulais bien croire qu'il ne botterait pas non plus celui des pauvres, mais je trouvais qu'il se mouillait vraiment très très peu.

Eh bien ! c'était encore trop.

Peut-on imaginer plus pauvre qu'hospitalisé à vie dans un centre de soins de longue durée depuis l'âge de 13 ans ? M. Harel, 40 ans, souffre de paralysie cérébrale. Nourri, logé, il ne lui en coûte rien pour vivre, si l'on peut appeler ça vivre. Comme tous les gens dans son état, il reçoit - du gouvernement de la solidarité, via la régie de la santé - 149 $ par mois pour payer ses sorties, son lavage, des vêtements spéciaux, une douceur, que sais-je.

.Dans son état demi-végétatif, M. Harel a si peu d'exigences et de besoins qu'il lui arrive régulièrement de ne pas dépenser entièrement ce pécule mensuel de 149 $. Au fil des ans, il a ainsi amassé près de 3000 $ d'économies. Il avait exactement 2989,29 $ dans son compte en banque quand l'agent financier de la régie est allé y mettre son grand nez suspicieux.

La loi stipule que les bénéficiaires de l'aide sociale hébergés dans les centres de soins longue durée ne peuvent avoir plus de 2500 $ dans leur compte en banque. Au-dessus de 2500 $, ils doivent remettre l'excédent. Et rembourser tous les chèques de 149 $ reçus durant les mois où ils avaient un excédent. L'agent de la régie ayant découvert en août que M. Harel avait plus de 2500 $ d'économies depuis mars, M. Harel aurait dû remettre six fois 149 $, en plus de l'excédent. Compliqué ? Imaginez quand vous souffrez de paralysie cérébrale. Et que c'est votre vieille mère de 75 ans, qui ne peut pas bouger, qui s'occupe de vos affaires.

De toute façon, même si vous aviez compris comment ça marche, dans la pratique, ça se passe tout autrement !

La régie trouvant ses propres lois trop compliquées a considérablement simplifié les procédures en ne réclamant rien du tout. Elle se contente de suspendre les paiements de 149 $. L'ordinateur fait le reste : au bout de deux mois de non-paiement, l'ordinateur ferme automatiquement le dossier. Exit M. Harel. Zappé du système.

Quelques mois plus tard, la vieille mère de M. Harel, s'inquiétant ne plus voir arriver les chèques, finit par tomber sur un fonctionnaire qui lui apprend que le dossier de son fils est fermé.

Comment ça, fermé ?

Eh oui ! fermé. Il faut faire une nouvelle demande d'aide, dit le fonctionnaire.

Sauf que depuis avril 1996, la loi stipule que pour faire une demande d'aide sociale, on ne doit avoir aucune économie. Zéro sou en banque. C'est fou de même : la personne qui reçoit de l'aide a le droit d'épargner jusqu'à concurrence de 2500$ ou 1500$ selon son statut. Mais la personne qui demande de l'aide ne doit pas avoir un sou vaillant !

Le temps que s'épuisent ses économies, M. Harel n'a reçu aucun chèque de la régie. Il n'est pas seul. Ils sont environ 300, comme lui, à s'être fait renvoyer à la case départ. Quand, 28 mois plus tard, M. Harel a été autorisé à recevoir à nouveau de l'aide sociale, il restait 119 $ de ses 3000 $ d'économies. On va voir si vous avez tout compris : sachant que la pleine allocation mensuelle est de 149 $, mais que M. Harel avait encore 119 $ en banque, à combien s'est élevé son premier chèque ? Trente dollars ! Yé. Vous commencez à être aussi experts en solidarité que Lucien Bouchard.

Un fonctionnaire de la régie appelé à commenter ce siphonnage délibéré du bas de laine des plus pauvres des pauvres, après s'être abondamment enfargé dans ses explications, le fonctionnaire a décidé de nous parler à coeur ouvert : « Je vais vous parler non pas comme fonctionnaire, mais comme contribuable, O.K. là ? Et comme contribuable, je vous dis que ces gens-là n'ont pas à faire des économies sur notre dos »

Vous avez sans doute noté qu'on a maintenant, au Québec, un ministère de la Solidarité sociale. N'allez surtout pas croire qu'il incarne une quelconque volonté politique d'apporter un quelconque soutien aux plus démunis d'entre nous.

« Solidarité » est ici abusivement employé pour charité. On dit solidarité au lieu de charité, comme on dit malentendant au lieu de sourd, comme on dit non-voyant au lieu d'aveugle, par pure coquetterie.

Mais dans la réalité, ce sont bien des sourds et des aveugles qui travaillent au ministère de la charité.

LE RIDICULE PARASCOLAIRE - Pauvres, pauvres élèves du secondaires en manque d'activités parascolaires. Imaginez, après trois longues et épuisantes semaines de classe ( succédant à trois mois de vacances et déjà deux journées de congés pédagogiques ) Voilà qu'on veut les priver du party de l' halloween et peut-être d'une visite dans les vergers de Rougemont. L'enfer. Les galères, rien de moins.

N'empêche que c'est drôle comme tout monde - sauf les automobilistes sur les ponts - trouve son compte dans ces monômes. Les profs qui n'attendaient pas tant de pétard d'une si modeste amorce. Les élèves qui font l'école buissonnière. Le gouvernement qui fait chanter les profs sur le thème de la sécurité des élèves. Les flics qui font des heures supplémentaires.

Croisons-nous les doigts pour que ça reste comme ça. Si un enfant venait à se faire blesser ou tuer, ce serait épouvantable pour sa famille bien sûr, mais aussi pour les profs qu'on tiendrait responsables, sans parler du ridicule pour notre système scolaire, d'avoir un martyr mort pour que vive la grande tradition des bals de finissants.