Le jeudi 7 octobre 1999


Une soirée culturelle
Pierre Foglia, La Presse

Des fois, je me demande si, inconsciemment, je ne fais pas exprès pour qu'il m'arrive des choses qui me donneront matière à chroniquer. Mardi, tenez. J'avais réservé ma place au Théâtre d'aujourd'hui. Eh bien, je me suis trompé de théâtre. Je suis allé au Quat'sous. Je vous jure.

C'est en partie à cause du réparateur de la fournaise. Je l'attendais à midi. Il est arrivé à 4h. Mémère avec ça !

Vous n'élevez pas des kangourous pour vrai ?

Des kangourous ?

Ben oui, la pancarte sur votre chemin, « attention kangourous ? »

Ah ça ! C'est une blague.

Cela pourrait ne pas en être une ! C'est qu'on voit de tout aujourd'hui. Des émeus, des wapitis, des bisons, des sangliers, pour quoi pas des kangourous.

Je suis parti de Saint-Amiaiid à 6 h. La pièce commençait à 8 h, mais avant, je devais aller porter un petit minou à une dame à Saint-Ours. En fait, plus loin que Saint-Ours, presque à Sorel. Par le chemin des Patriotes. Saint-Hilaire. Saint-Charles. J'expliquais au petit minou que le prochain village serait Saint-Denis, puis qu'on arriverait à Saint-Ours, et que là, on serait presque arrivé dans son nouveau foyer. Il pleurait. Pourquoi je peux pas rester avec ma maman à Saint-Armand ? Parce que c'est comme ça la vie, mon vieux. Personne ne passe sa vie avec sa maman, sauf les moumounes. Les mamans, c'est pour quand on est petit. Après, ça sert rien. Sauf à la fête des Mères.

C'est un des petits minous de la chatte de la grange, ( il m'en reste deux, je vous dis ça de même, en passant ), celui-là est bien tombé, belle maison, belle madame qui a dû me trouver plus rustre qu'un livreur de pizza, merci, bonsoir, j'étais déjà parti. Je suis arrivé à la porte du Quat'sous à 8 h 10. Elle était fermée, la porte. Je secoue. Je cogne. J'appelle. Hé, ho, quelqu'un ? Pouvez pas me faire ça ! La dernière fois que je suis allé au théâtre - j'ai retrouvé la date dans une vieille chronique - c'était le 3 mai 1987. Hé ho là-dedans, 12 ans et demi que j'attends...

J'ai bougonné par habitude, mais franchement, j'étais soulagé. L'idée d'aller voir cette pièce m'était venue soudainement, comme une envie de pisser, en lisant dans la revue Time un article sur Wajdi Mouawad, auteur, acteur et metteur en scène de théâtre montréalais d'origine libanaise. Oui oui, celui-là même qui vient de se pogner avec Lorraine Pintal. Je ne sais pas le pourquoi de leur chicane, tout ce que je sais, c'est que Mouawad me tombe joyeusement sur les rognons avec ses grosses lunettes et son petit air d'avoir inventé le théâtre de l'équivoque. Alors que c'est la plus vieille recette du monde : tu fais de la brume, tout le monde y voit ce qu'il veut bien y voir et c'est la gloire.

Je lis donc cet article sur Mouawad dans le Time, et m'irrite d'abord du titre : « A playwright who is opening Quebec to new influences ». Un dramaturge qui ouvre le Québec à de nouvelles influences. Je suis tanné. Pas tanné de l'ouverture sur le monde, pas tanné des nouvelles influences, tanné du mépris que charrie le discours multiculturel, si politically correct chez nous depuis quelques années. « Ouvre le Québec. » Où n'ouvre que ce qui est fermé. Faut-il comprendre que le Québec est un foutu poulailler qui croupirait encore sur son fumier si un petit Libanais de 31 ans à lunettes, qui écrit des pièces de théâtre, n'était pas venu ouvrir les fenêtres ?

Je m'interroge aussi sur ce qu'a bien voulu dire l'éditeur du Voir, Richard Martineau, cité dans l'article du Time, quand il dit : Mouawad stands for a lot of what Quebec long rejected - ( Mouawad incarne les valeurs que le Québec rejette depuis longtemps : l'austérité ( l'ascétisme ), la famille, la spiritualité, la famille, la pureté ).

Depuis longtemps, dis-tu ? Depuis la Révolution tranquille, c'est longtemps, ça ? Pas austère, le Québec ? Peut-être pas, c'est vrai mais si souvent frugal par nécessité, que l'austérité en plus le rendrait misérable. Pas spirituel, le Québec et ses anachroniques écoles catholiques ? Et toutes ses sectes. Toute cette merde nouvel âge. Ses anges. Ses tisanes. Ses librairies de province où on ne vend que de la « croissance personnelle » ? Ce n'est pas de la spiritualité, ça? Pas très famille, le Québec ? Pourquoi ? Parce qu'il ne fait pas d'enfants ? Qui en fait, dans les pays industrialisés ? Et c'est quoi ça la pureté ? Tu trouves que c'est un bon truc dans une société, la pureté ?

Je lis donc cet article sur Mouawad, me demande en quoi le nouvel âge libanais est moins fumeux que celui, plus japonais, de Robert Lepage, et je me dis que ce serait quand même bien si, avant d'en faire une crise d'urticaire, j'allais voir, au moins une pièce de ce garçon-là. J'appelle donc au Théâtre d'aujourd'hui où l'on donne Willy Protagoras enfermé dans les toilettes, mais voilà que dans l'énervement de mon retard causé par un réparateur de fournaise et par un petit minou que je devais porter à Saint-Ours, voilà que je me suis trompé de théâtre.

Au lieu du Théâtre d'aujourd'hui où l'on donnait une pièce de M. Mouawad, je me suis cogné le nez sur la porte du Quat'sous où l'on ne donnait rien. Et il n'est pas certain que j'aie perdu au change.

Ayant trouvé à me stationner rue Saint-Denis, je suis finalement allé au cinéma. Je suis allé voir Souvenirs intimes. J'aime bien Pascale Bussières, même si elle me fait de plus en plus penser à Adjani, pas qu'elle y ressemble ou qu'elle joue pareil , mais comme Adjani, elle en train de devenir obligatoire. Une pute ? Bussières. Une sainte? Bussières. Une grosse production ? Bussières. Un petit film d'art et d'essai ? Bussières.

Dans ce film-là, j'ai surtout aimé le gars en fauteuil roulant. Le chauve. Je ne referai pas la critique du film, je veux seulement dire que le début m'a beaucoup plu et puis qu'après, je me suis ennuyé. C'est souvent comme ça. Dans les livres aussi. Je m'attache aux personnages, à la vie qu'ils mènent. Mais l'histoire qu'on me raconte, l'intrigue, me dérange dès l'instant où elle rebondit, à l'instant précis où le scénariste a prévu me surprendre - Tadam ! - je décroche. Je n'aime pas les procédés. Je n'aime pas qu'une histoire tienne à quelque chose qu'on pourrait me dire maintenant, mais qu'on me dira plus tard parce que si on me le disait maintenant, il n'y aurait plus d'histoire.

Je n'aime pas les histoires qui vont vers une fin. J'aime les histoires qui continuent, j'aime la vie.