Le mardi 19 octobre 1999


La chronique derrière la chronique
Pierre Foglia, La Presse

J'ai déjà dit que je ne publierai jamais de recueil de mes chroniques, par contre, j'aurais moins d'objection à publier la petite histoire de certaines de ces chroniques. Je ne le ferai pas non plus parce que j'aime mieux faire du vélo, ou jouer au basket dans ma cour, mais effectivement chaque chronique a une petite histoire, parfois plus pertinente, souvent complémentaire à celle qui fait l'objet de la chronique elle-même. Vous me suivez ?

Samedi dernier, par exemple, je m'apprêtais à vous raconter la belle histoire d'un mini réseau de solidarité autour d'un monsieur que je connais, actuellement en difficulté financière. Dix copains à lui ont ouvert un compte dans lequel ils versent chacun 35 $ par mois. C'est rien, c'est le prix d'une contravention à Montréal, mais à dix ça paie la moitié de l'hypothèque de leur copain mal pris. Le genre de solidarité de proximité qui laisse le sentiment que, ben cout'donc, la notion du bien est peut-être en train de gagner la population. Je niaise. Je ne vais tout de même pas vous parler de la vertu de l'exemplarité, ce n'est pas le genre de la maison.

Donc, j'allais vous raconter cela, quand une collègue de la radio de Radio-Canada m'a alerté à propos de cette pigiste, mère de quatre enfants, soudainement devenue infirme et obligée de demander de l'aide sociale.

Entre les deux histoires, j'ai choisi cette dernière pour son exemplarité justement. D'habitude dans les histoires d'aide sociale, la misère a l'air de sortir des murs, il plane une sorte d'accablement qui peut parfois passer pour de la mollesse, et le lendemain de ce genre de chronique 12 000 tôtons viennent protester dans ma boîte vocale « que l'astie de BS n'avait qu'à se bouger le cul ».

Ce qu'il y a d'exemplaire dans l'histoire de samedi, c'est que cinq minutes avant son attaque de paralysie, la dame était un modèle de citoyenne active qui, justement, se débrouillait sans rien demander à personne pour élever ses quatre enfants. Elle ne s'est pas blessée en tombant de son sofa à huit heures du matin, alors qu'elle regardait la télé. Elle allait TRAVAILLER. Elle était dans son auto, elle allait au bureau, elle aurait pu avoir un accident de la route et la SAAQ aurait tout payé, tout. Mais elle a eu un autre genre d'accident, une collision de l'intérieur, une présumée attaque de sclérose en plaques. Elle s'est retrouvée à l'hôpital, immobilisée exactement comme si elle avait subi un grave accident de la route, sauf qu'au lieu de la SAAQ, c'est l'aide sociale qui a pris soin d'elle en la personne d'un agent qui lui a dit que si elle ne venait pas chercher son formulaire au bureau elle n'en aurait pas d'aide sociale.

Le titre de la chronique, « le sclérosé à claques » soulignait abusivement, et je m'en excuse, la froideur d'un agent. Je n'ai que moi à blâmer, c'est mon titre. Je ne visais pourtant pas, à travers un zélé, l'ensemble des agents de l'aide sociale. Je dénonçais un climat. L'absence de générosité. Même pas l'absence de générosité. Je viens de dire une autre connerie. Les agents de l'aide sociale sont aussi généreux que n'importe qui. Je déplorais l'absence de proximité. Le refus de s'approcher. De voir. De savoir. Je déplore, je l'ai écrit et je le répète, l'absence de ressort moral de cette société qui ne tressaille pas d'un poil devant l'angoisse d'une bonne femme soudainement démunie et assommée par une fort mauvaise nouvelle.

Pourtant, comme société, nous aurions les moyens de l'aider. Nous sommes riches. Il faut être riche pour offrir 300 millions à GM qui vient de déclarer 877 millions de profits nets pour le seul troisième trimestre de cette année. Nous sommes riches. Mais quand une pigiste. sans filet social, mère de quatre enfants devient paralysée, alors là nous lui comptons chaque sou. Un coup qu'elle nous fourrerait, la salope.

Ce matin, le ciel de Saint-Armand est plein d'oies et ma boîte vocale aussi. Je ne suis pas surpris. Des chroniques comme celle de samedi agacent beaucoup la volaille nourrie au grain de l'économie globale. « Vous ne comprenez rien, monsieur Foglia », tente de m'expliquer un monsieur de Laval, « la SAAO est une assurance, on paie pour ça. Alors que l'aide sociale est une forme de charité. »

C'est ça, tata, pour la tôle nous sommes pleinement assurés. Pas pour les enfants.

Le ciel de Saint-Armand est plein d'oies et ma boite vocale aussi. En passant, si vous ne le saviez pas, l'oie cacarde.

L'ÉCOLONIALISTE - Lue dans le numéro d'octobre de Québec Science une chronique décapante sur un documentaire qu'a tourné Cousteau père sur le Saint-Laurent au début des années 80, entreprise plus ou moins officiellement parrainée par Pierre Elliott Trudeau qui voyait là une belle occasion de montrer le Canada au monde.

Un cameraman de ma connaissance qui avait participé à ce tournage avec l'équipe technique de l'ONF détachée pour se prosterner aux pieds de Cousteau en était revenu, écoeuré par la prétention, le paternalisme et les trucages du grand écolo-nialiste... le mot est de Bernard Arcand qui signe la chronique dans Québec Science.

Arcand rappelle l'arrivée fellinienne de Cousteau, en hélicoptère, dans une réserve indienne de Mingan; la découverte de l'épave de l'Empress of Ireland par les hommes du Calypso qui ont oublié de mentionner que les plongeurs québécois avaient découvert l'Empress depuis longtemps et qu'un musée était même consacré à cette tragédie. Le documentaire, qui portait le titre Du grand large aux grands lacs, montrait aussi une « périlleuse » plongée sous la glace présentée comme un exploit, alors que les plongeurs de la SQ, pour ne parler que d'eux, déjà à cette époque, plongeaient régulièrement sous la glace sans en faire un plat. Le documentaire avait été présenté aux Beaux Dimanches, mais personne ou presque n'avait protesté devant tant de folklore. Pourquoi ? se demande aujourd'hui le chroniqueur de Québec Science. Deux raisons, avance-t-il. Parce que les Québécois connaissent mal leur grand fleuve. Et parce que, je cite Arcand au mot, « parce que les colonies ont l'habitude de leur image fabriquée en métropole ».

Vingt ans plus tard, si je vous demandais dans quelle métropole on fabrique maintenant l'image du Québec, vous me diriez quoi ? Montréal ou Paris ? Ou New York ? Ou Toronto ?

Moi ? Moi je vous dirais Wall Street. Mais je dirais Wall Street quel que soit le pays où je vivrais sur la planète.