Le mardi 26 octobre 1999


Échanges épiscolaires
Pierre Foglia, La Presse

Deux récentes chroniques sur l'éducation - « La liberté racontée aux enfants » et « La vie n'est pas une activité parascolaire » - m'ont valu un abondant et favorable courrier qui illustre, le plus souvent de l'intérieur de l'école, les dérives du pédagogisme que je dénonçais dans ces chroniques.

Mais d'abord la lettre dissidente d'un prof fâché, qui me dit, je résume : « OK, je comprends que trois chroniques par semaine ça revient vite et que l'éducation est un sujet en or pour un chroniqueur, mais dis-moi, Foglia, qu'est-ce que tu connais là-dedans ? »

Petit détail : la lettre était truffée de fautes, le genre de faute que ne devrait pas faire un élève de secondaire trois.

Je lui ai fait une réponse « personnelle » dans laquelle je m'étonnais qu'un prof écrive des pommes de terres avec un « s » à terre, il vient de me renvoyer, à son tour, un courriel triomphant :

« Foglia, bougre de con, je suis professeur d'anglais ! »

Et bien voilà qui éclaire tout ! Toutes mes excuses mon vieux.

En effet, pourquoi un prof d'anglais (francophone) devrait-il savoir écrire, en français ? Demande-t-on à un prof de maths d'être capable de jouer au basketball ?

C'est d'une logique imparable qui vous démontre, madame, pourquoi votre garçon lit et écrit si mal en français comme en anglais. Mais consolez-vous, il est sûrement très bon au basketball.

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OPTION TANGO - « C'est pire que tu le penses », m'écrit Michel D., conseiller syndical à Lachenaie, le parascolaire n'est plus « para », n'est plus à côté, il est intégré à l'enseignement.

Il suffisait d'y penser : les enfants n'aiment pas l'école ? On va déguiser l'école en centre de loisirs ! L'option basket, l'option hockey, l'option ski... 27 journées complètes, 15 % de l'année scolaire. C'est pas beau ça? On peut obtenir son diplôme de moniteur de ski à la fin du secondaire. Et on n'est pas en reste au primaire où on a « l'école de jonglerie »...

À ma commission scolaire, on dit que l'école doit être à L'ÉCOUTE DES BESOINS DES PARENTS !!! Un jour, l'ancien directeur général nous avait souligné, lors d'une rencontre, que ces parents justement, pratiquaient par milliers la danse sociale et on a eu peur un peu de voir émerger une nouvelle option : l'option tango. Mais ouf, notre directeur général est parti. Il a été nommé sous-ministre à l'éducation.

PAUVRES PETITS - Je suis une jeune enseignante au primaire, et je suis la première à déplorer que nous devions sans cesse camoufler les apprentissages dans des jeux ou des projets spéciaux. Je me démène à faire la clown sous prétexte que c'est pédagogique. J'aimerais mieux enseigner, mais on me dit que si je le fais, « les pauvres petits » vont décrocher. J'enseigne en 2e année ! (Janie).

LES PITONNEUX - Le pédagogisme que vous dénoncez s'aggrave d'une espèce de compétition entre les écoles. Pour bien PARAÎTRE, il faut avoir le meilleur projet éducatif de la commission scolaire, c'est-à-dire LE PLUS LE FUN, je n'ai jamais entendu ce mot-là aussi souvent que ces dernières années... J'enseigne en 5e année du primaire, je reçois des enfants « pitonneux » qui en savent plus que moi en informatique, mais c'est la catastrophe si je leur demande de recopier quelques phrases dans leur cahier d'exercices, ou pire, si je leur interdis la calculatrice (Réjean).

HÉ ! HO ! QUELQU'UN ! - Vous avez oublié les parents. Ce que vous appelez le parascolaire est cette partie de l'éducation des enfants qui était assumée jadis par les parents. La transmission des valeurs à travers des sorties, des jeux, des lectures, une pratique religieuse, se faisait à la maison. Mais il n'y a plus personne à la maison, je ne veux pas dire par là que les deux parents travaillent, je veux dire qu'il n'y a personne même quand ils sont là. Ils ont renoncé à toute AUTORITÉ. Incapables d'exiger le moindre effort de leurs enfants, même pour des tâches ménagères toutes simples. Vous parlez de restaurer l'autorité des profs, c'est impensable. Les profs ne peuvent pas avoir d'autorité si les parents les désavouent. (Patricia Longo, mère de famille,)

LE VRAI PROBLÈME - Je suis prof de français. Maman l'était. J'ai voulu faire comme elle. En me disant que dans 25 ans, comme elle, je recevrais des lettres d'anciens élèves qui me remercieraient « d'avoir donné un sens à leur vie ». Maman reçoit des lettres comme ça, c'est vrai. Bref, j'ai eu mes diplômes. Je suis arrivée en classe, et j'ai parlé de Balzac. Eh bien vous savez quoi ? Ça ne se fait plus. Même que des parents m'en ont voulu « de ne pas laisser leurs enfants grandir ». Paraît que Balzac empêche de grandir. Même que des inspecteurs, des gens chargés d'évaluer ma manière d'enseigner, m'ont dit que j'étais à côté de la plaque, que le problème, écoutez bien ça, le problème c'était que trop de profs étaient d'anciens bons élèves ! (Florence)

AU COEUR DU SUJET - Votre chronique « La vie n'est pas une activité parascolaire » m'a littéralement consterné. J'enseigne depuis 20 ans en sixième année au primaire... Les projets (parascolaires) ont toujours été au coeur de ma pratique d'enseignant. Que ce soit sous forme de radiothéâtres, de pièces écrites pour la scène et montées par les élèves et moi, que ce soit des recueils de nouvelles, la création d'une chanson, un salon des sciences, un projet de comédie musicale... J'essaie de rendre mes élèves plus libres, vraiment libres ; quand ils louent le dernier film de Bruce Willis, c'est souvent parce qu'on ne leur a rien montré d'autre. J'aime croire qu'un beau jour, ils choisiront le dernier Bruce Willis parce que c'est vraiment ce qu'ils auront le goût de voir.

Oui, j'ai aussi fait entrer le journal dans la classe, La Presse, comme vous devez vous en douter. Chaque matin depuis vingt ans, je lis la première page de votre journal avec mes élèves... (Louis Émond)

Votre boutade sur Bruce Willis qu'ils loueront quand même « parce que ce sera vraiment ça qu'ils auront le goût de voir » va droit au coeur du problème, M. Émond.

Quand javais onze ans, l'âge de vos élèves, mon instituteur ne m'a jamais demandé d'écrire une chanson. Il nous faisait triper sur Rimbaud, c'est un trou de verdure où chante une rivière... Non plus, il ne nous a jamais laissé croire que nous étions capables d'écrire des nouvelles, mais il nous faisait recommencer deux ou trois fois nos rédactions. Il ne nous a jamais lu le journal, et c'est vrai, quand j'ai quitté l'école à 14 ans, je savais bien peu de chose du monde. Mais vous savez quoi, M. Émond ? Je n'ai jamais, JAMAIS, choisi Bruce Willis.