Le mardi 2 novembre 1999


Un homme honnête
Pierre Foglia, La Presse

Je me suis d'abord dit que je n'étais pas l'employé de La Presse le mieux placé pour rendre hommage à M. Claude Masson, et puis je me suis dit le contraire: justement parce que nous n'étions pas les plus grands amis du monde, il me revenait un peu de témoigner de l'inaltérable civilité de ce patron qui, ce n'était pas sa faute, est revenu à La Presse en remplacement de Michel Roy que je vénérais ou presque. C'était, déjà, un peu mal parti entre nous.

Puis il y a eu les « CM », ces petites notes signées de ses initiales que nous trouvions dans nos casiers, pour nous féliciter d'un article qu'il avait particulièrement apprécié. Je revois son étonnement quand je lui avais glissé que ce n'était pas forcément une bonne idée : « Si vous me permettez, M. Masson, cela fait un peu chef scout. Quand on trouve un « CM » dans notre casier, on se demande si c'est pour nous dire que c'est des papiers comme celui-là que vous voulez tout le temps, et quand on n'a pas de « CM », on se demande si c'est parce que notre article ne valait pas d'la marde... »

Il ne s'était pas fâché, il ne se fâchait jamais. Je lui ai donné cent fois l'occasion de perdre son calme, une seule fois en dix ans, il a mis le poing sur la table en me disant c'est assez. Je lui en ai bêtemnt tenu rancune. Pas lui : son éclat de voix passé, il est redevenu aussi affable, aussi disponible qu'avant. Nous devions d'ailleurs aller dîner prochainement pour mettre un point final à notre dernière bouderie. Comme les autres fois, nous serions sûrement allés chez Delmo ; comme les autres fois, il aurait délibérément évité d'aborder nos différends; ce qui le pressait toujours c'était de renouer les liens; ce qui l'animait toujours c'était un savoir-vivre plus près du gros bon sens que des mondanités : qu'on se parle civilement comme deux adultes, nous réglerions nos problèmes plus tard, d'ailleurs était-ce bien nécessaire de les régler ?

C'était un homme simple, bien dans sa peau, à cent mille lieues de nos bibites et de nos ego de journalistes. C'était aussi un homme de milieu, moins indécis qu'il n'y paraissait, mais qui fuyait le tranchant des extrêmes, de milieu ai-je dit. Je ne suis pas le seul à être entré dans son bureau - la porte était toujours ouverte - fâché de quelques propos mitoyens et sibyllins qui nous faisaient nous gratter la tête. Que vouliez-vous dire au juste, M. Masson ? Justement il ne voulait rien dire «au juste». Il voulait dire un peu de ci, un peu de ça, il voulait recentrer les choses sans faire de remous, ni, surtout, causer de peine.

Son culte de la bonne nouvelle m'a longtemps hérissé, jusqu'à ce que je découvre que ce n'était pas du renforcement moral, ou un truc pour faire vendre le journal. Dans son esprit chrétien, les bonnes nouvelles témoignaient de l'avancement des choses, invitaient à avoir foi en l'Homme et sa fiancée. M. Masson était un homme de foi chez qui l'intime, la conviction primaient toujours sur la mode ou les conventions, chez qui la fibre urbaine, la fibre «vie commune », vibrait plus fort que la fibre politique. Un homme que peu de choses irritaient sauf peut-être une certaine bourgeoisie de l'esprit.

Un homme simple, toujours lui-même, qui faisait le mieux possible ce qu'il avait à faire.

Bref, foncièrement, un honnête homme.(1)

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(1) À la suite de ce papier, il m'étonnerait que je trouve, demain, un « CM » dans mon casier. C'est bien la première fois que je le regretterai