Le mardi 16 novembre 1999


Le courrier du genou émotionnel
Pierre Foglia, La Presse

Je viens de lire votre article du 2 octobre dans La Presse, un collègue vient de l'afficher dans l'école où je travaille et je ressens le besoin de m'exprimer sur certains points (c'est un prof au secondaire de Boucherville qui parle)...

Premièrement, me dit-il, je ne crois pas à l'éducation dans laquelle seule l'instruction est au programme. Le savoir théorique a certes sa place à l'école, mais lui accorder l'exclusivité des apprentissages mène au développement de l'intelligence intellectuelle au détriment de l'intelligence émotionnelle et créative qui est la base de l'autonomie...

Je vous jure, monsieur, que je ne comprends pas un mot de ce que vous venez tout juste de me dire. Qu'appelez-vous donc le savoir théorique ? Serait-ce par hasard le savoir lire et écrire ? Le savoir compter. Le savoir Histoire.

Je vous trouve bien bon de concéder que ce savoir lire et écrire a certes sa place à l'école. Comme votre certes est suave.

Qu'est-ce donc que cette intelligence émotionnelle créative dont vous me parlez ? D'où vient ce charabia psychopédagogique ? D'une secte d'adorateurs de la betterave à sucre ou du ministère de l'Éducation ?

L'intelligence émotionnelle créative est la base de l'autonomie, dites-vous. De quelle autonomie parlez-vous ? Je ne vois pas que les jeunes d'aujourd'hui souffrent d'un manque d'autonomie. Je ne vois pas que les jeunes d'hier et même d'avant-hier manquaient d'autonomie. De quoi parlez-vous ?

Et que signifie intelligence émotionnelle créative ? Que signifie créative ? Il ne manque pas de gens pleins d'émotions créatrices et pourtant bien incapables de créer quoi que ce soit justement faute d'avoir les outils intellectuels pour transformer leurs émotions en textes, en dessins, en musique, en quelque chose de cohérent. Pour créer il faut être capable d'ordonner ses pensées et ses émotions. Et pour ça il n'y a pas 36 moyens, il faut apprendre à lire et à écrire. On ne va pas à l'école pour créer. Créer quoi? On va à l'école recevoir une instruction. Instruisez-les donc.

Donnez-leur donc des cours au lieu de leur faire suivre une thérapie.

L'ART - Quand tu discours sur l'art, on a l'impression que pour toi, le produit artistique est souvent le fruit d'une masturbation intellectuelle, d'une pseudo élite qui se regarde le nombril et que l'oeuvre d'art reste quelque chose de pas très utile... mais peut-être que je ne sais pas lire entre les lignes.

Vous non plus, M. Provencher, je ne comprends pas un mot de ce que vous me dites. Je ne discours jamais sur l'art dans cette chronique. Quand il vous semble que je parle d'art - je vous parle, en réalité, d'un territoire où il n'y a ni produit artistique, ni masturbation intellectuelle, ni élite, ni pseudo élite, ni nombril, ni rien. Il y une foutue fleu-fleur sur une assiette en céramiche, that's all. Il y a un foutu chevreuil au bord d'un ruisseau et le mont Sutton en arrière. D'où je vous parle il n'y a pas de débat possible sur l'art pour la bonne raison qu'il n'y a pas d'art.

Je ne parle jamais d'art, monsieur. Je ne sais même pas où il y en a.

BOUTEILLE À LA MÈRE - Ce message dans ma boîte vocale : Je suis une dame à la retraite, séparée. Je vis avec mon fils de 30 ans. Je ne sais pas comment lui dire de foutre le camp. Pourriez-vous m'aider ? Un petit message dans une de vos chroniques, il n'en manque pas une.

Combien pariez-vous, madame, qu'il manquera celle-ci ?

MAUVAISE HABITUDE - Aujourd'hui, je t'écris un frisson à la main. (Olivier, Boucherville)

C'est gentil, mais tu devrais essayer avec un stylo.

BIEN OBSERVÉ - Je vous écris parce que vous êtes humain (Louise, Montréal)

Yeeeesss !

D'AMOUR ET D'EAU FRAÎCHE - Votre chronique de samedi dernier était comme un peu d'eau fraîche sur une terre brûlée (Marcel, Montréal)

Merci. Êtes-vous allé en vacances récemment au Sahara ?

MIRAGE - Je técris parce que tu es mon oasis (Claudine, Repentigny)

Hey Claudine, as-tu un frère qui s'appelle Marcel à Montréal ?

LA POÉSIE - Le dormeur du val ! Rimbaud! Vous me rappelez des souvenirs. Dans mon cours de poésie au cégep, il y avait une fille avec des yeux immenses qu'on appelait « les yeux », il y avait une future infirmière qui aurait préféré devenir écrivain, il y avait garçon dont le père venait de se suicider, il y avait un motard qui allait chercher sa copie son casque sous le bras. (Dominique, Outremont)

Je vois qu'il y avait aussi un poète.

LA MÉDECINE - Johanne Blanchard de l'île des Soeurs me parle de son père mort tout récemment et me glisse au passage qu'il a reçu des soins extraordinaires à l'hôpital Saint-Luc (en particulier du docteur Farahn) et au centre Rouville, à Marieville, où un certain docteur Poirier aurait fait preuve d'un dévouement exemplaire.

Je rapporte la chose d'autant plus volontiers que je viens de vivre un truc tout à fait, contraire. Ceci contrebalancera cela.

Un ami qui vient de mourir, avait accepté de se soumettre, sur l'insistance d'un de ses médecins, à un traitement expérimental, en même temps que d'autres patients à travers le monde qui souffraient exactement du même mal que lui. Cela ne l'a pas sauvé, et personne ne s'y attendait, mais le temps que l'expérience a duré, mon ami s'est mis à y croire un petit peu, il avait le sentiment de se battre, il était content, et c'est bien là l'essentiel. Qu'on comprenne bien que je n'ai rien contre l'expérience elle-même.

Ce qui m'a irrité c'est l'attitude d'un certain médecin, celui-là même qui l'a embarqué dans l'expérience. Grandes démonstrations d'amitié, tapes dans le dos, apartés sur le football - nous regarderons le Super Bowl ensemble à la fin janvier, lui avait-il promis. Ce n'était pas nécessaire d'en mettre tant. Mais ce qui m'a surtout écoeuré, c'est qu'aussitôt que mon ami eut signé le protocole qui l'engageait dans l'expérience, ce même médecin s'est soudainement fait très rare, pour ne pas dire introuvable. Nous voyait-il arriver au bout d'un couloir, oups, il entrait précipitamment dans un bureau pour ne pas avoir à croiser mon ami. Voulions-nous lui parler ? Il n'était pas disponible. Et, bien sûr, il n'a pas eu la délicatesse de venir saluer mon ami à la toute fin, lui serrer la main, merci, au revoir, excusez pour le Super Bowl. Ce sera pour une autre fois.

Je ne nommerai évidemment pas ce médecin, je veux juste qu'il sache que je le tiens pour une petite vomissure de babouin.