Le samedi 27 novembre 1999


La bonté
Pierre Foglia, La Presse

Mon boss disparu dans la mer aimerait bien, je crois, la petite histoire de rien que je m'apprête à vous raconter.
C'était son genre de nouvelle : exemplaire. Son genre de bonté : ordinaire.

À monsieur Masson, donc.

C'est une garderie en bordure de l'autoroute 40, une belle bâtisse toute neuve qui accueille 78 enfants. L'empreinte de petits pieds qu'on a fait marcher dans le ciment frais a donné son nom à la garderie : Les Petits Pas. La bâtisse a reçu l'an dernier un prix d'urbanisme de la Ville de Lachenaie. La garderie appartient à Marie-Josée Roy et Serge Ruel, ils l'ont fait construire en respectant tous les règlements, sauf un : le règlement 14 qui dit que lorsqu'une garderie déménage, elle n'a pas le droit de s'agrandir.

La garderie Les Petits Pas recevait 60 enfants dans son ancien local. Elle ne pouvait donc en recevoir plus de 60 dans la nouvelle bâtisse dont je viens de vous parler. On n'entrera pas dans les détails, saehez seulement que c'est en pleine connaissance des faits que les inspecteurs ont signé les plans et accordé à Serge Ruel le permis d'exploiter une garderie pouvant accueillir 80 enfants. Et ce n'est pas vraiment par mauvaise foi que, un an et demi plus tard, d'autres fonctionnaires décident d'appliquer le règlement 14. Ces choses-là surgissent du flou administratif un beau matin, on ne sait pas trop comment ni pourquoi, c'est comme ça. Toujours est-il que le couperet est tombé : vous avez 18 enfants de trop. Vous avez 30 jours pour les mettre à la porte.

Petit aparté sur l'absurdité de la situation : au Québec on manque de places de garderie. Les listes d'attente s'allongent partout. Celle-ci est non seulement conforme, mais un modèle du genre. « Alors où est le problème? » ont demandé quelques parents à leur député Jocelyne Caron, whip du Parti québécois.

Autre petit aparté encore plus absurde : devant la menace, de manifestations publiques, la députée Jocelyne Caron et une fonctionnaire du ministère de la Famille et de l'Enfance ont laissé entendre à plusieurs parents qu' « on allait arranger ça, en s'assurant que les inspecteurs fermeraient les yeux à l'avenir » !

On touche ici à la pure loufoquerie. Ligotée dans ses propres noeuds, perdue dans le dédale de ses lois et règlements, impuissante à corriger les situations les plus aberrantes, l'administration ferme les yeux pour ne pas les voir !

Anyway. Non seulement les inspecteurs ont donné 30 jours à la garderie Les Petits Pas pour foutre 18 petits enfants à la porte, mais ils ont aussi sorti leur calculatrice et ils ont dit bon, à partir de tout suite, 13 enfants de cette garderie n'ont plus droit à la subvention du ministère de la Famille et de l'Enfance. Au lieu de 25 $ par semaine (5 $ par jour), ces 13 enfants devront payer 115, $ par semaine.

Les parents de la garderie Les Petits Pas se sont alors réunis et au cours de l'assemblée, quelqu'un a proposé que l'ensemble des parents absorbent la pénalité. Plutôt que de se retrouver avec 13 parents (les derniers arrivés) qui auraient à payer 115 $, et 60 autres qui ne paieraient que 25 $, on allait s'arranger pour que tout le monde paie la même chose.

Proposition acceptée à plus de 90 %.

Je vous rappelle qu'on est à Lachenaie, à la veille des Fêtes et des dépenses qui viennent avec. On est dans une banlieue dynamique, mais certainement pas riche. Travailleurs spécialisés, jeunes professionnels, couples avec deux ou trois enfants, gros bungalows et lourdes hypothèques. Ce sont ces gens-là, avec deux ou trois enfants, qui ont accepté, mieux, qui ont suggéré de passer de 25 $ par semaine à 42 $ par simple solidarité avec 13 d'entre eux victimes de la bêtise administrative.

Autant la charité cabotine me hérisse le poil, autant cette générosité-là m'emplit d'un amour soudain pour le genre humain. Si j'avais été présent à cette réunion de parents, je les aurais tous embrassés, je leur aurais chanté une petite chanson, peut-être même Le Temps des cerises, la plus belle chanson qui soit pour chanter la beauté de l'Homme et de sa fiancée.

C'est une des meilleures nouvelles de l'année, peut-être du siècle. Dans une drabe banlieue coincée entre deux autoroutes, dans un de ces lieux où l'on n'imagine pas d'autre combat que celui pour l'interdiction de passer la tondeuse avant midi le dimanche matin, des hommes et des femmes ont trouvé un remède inattendu et magnifique à la connerie : la solidarité.

Je salue ces gens de bien. Je leur dis que leur geste exhorte à la générosité 112 000 fois plus que 112 000 paniers de Noël et que 112 000 guignolées.

Je les salue et les remercie d'être des héros aussi ordinaires.

AH FRISSONNER D'HORREUR... - Pour rester dans les garderies, mais dans, un tout autre registre, je veux dire un mot du fait divers de Hudson, où l'on a découvert qu'un présumé pédophile tenait une garderie. Jeudi soir, le Téléjournal a ouvert avec cette mince histoire (où sont les faits ?), depuis trois jours la radio et les journaux ne lâchent pas, mais ce n'est pas le procès des médias que je veux faire ici, ils ne font que témoigner, refléter, un état d'hystérie collective qui me stupéfie chaque fois.

Un malade abat 12 personnes à la carabine comme cela arrive à peu près toutes les semaines sur ce continent, on en parle, cinq minutes et c'est tout. Un malade tripatouille une gamine et s'installe aussitôt un climat de lynchage. Sortez la corde, qu'on pende le prédateur. Le prédateur ! Le mot évoque des battues à coyotes. Pas besoin d'avocat, qu'on lui arrache le foie et qu'on le jette, sanglant, à la foule. Je me suis presque engueulé avec un ami qui me reprochait de ne pas assez frissonner d'horreur : enfin quoi, un pédophile qui dirige une garderie !

Ben oui, que veux-tu que je te dise, les pédophiles ouvrent rarement des maisons de vieux. Bien sûr dans une garderie. Ou dans une école. Là où il y a des enfants. C'est là leur grand dérangement, les enfants.

Les enfants sont sans défense et pour cela toute violence qu'on leur fait est odieuse et pour cela est légitime le dégoût qu'inspirent les pédophiles. Mais il y a plus que du dégout ici, plus que la fureur populaire habituelle, plus que le trouble plaisir de l'hallali. Chaque fois que survient une histoire de pédophilie dans ce pays, s'installe un climat malsain et voyeur, comme si, sous l'horreur, le pornocrate en vous frétillait.