Le mardi 30 novembre 1999


Fin de siècle sportive
Pierre Foglia, La Presse

Les directeurs des pages sportives des quotidiens canadiens n'ont certainement pas fait preuve d'un grand jugement en choisissant l'équipe canadienne de hockey de 1972 comme l'équipe sportive du siècle par excellence. Si cette série historique contre les Soviétiques peut effectivement être considérée comme l'événement sportif majeur du XXe siècle au Canada, il faut d'abord en remercier les Soviétiques. Rappelons-nous que, au tout début, avant le premier match, cette série ne s'annonçait pas du tout comme une épopée, même pas comme une rencontre au sommet. On appréhendait plutôt un massacre. Personne au pays ne doutait que les superstars de la Ligue nationale allaient écrabouiller les Popovs.

Cette équipe qu'on a l'effronterie de dire « du siècle » était mal préparée et super arrogante. Elle est devenue super frustrée après les premiers matches, après que les Soviétiques lui eurent donné quelques leçons, non pas de hockey comme on l'a cru à l'époque, mais des leçons de jeu collectif.

Il est d'autant plus ridicule de nommer ce groupe de joueurs ÉQUIPE du siècle que, précisément, ils ne formaient pas une équipe. L'équipe au sens de l'abnégation, au sens de transcender les talents individuels en performance collective, ça c'était les Soviétiques. Les Canadiens avaient des stars. Les Soviétiques avaient une équipe.

La frustration s'installant, rappelez-vous Bobby Clarke vargeant à grands coups de hockey sur la cheville de Kharlamov qu'il a d'ailleurs fini par casser. Il est d'autant plus honteux de désigner ce groupe de joueurs « équipe du siècle » que non seulement ils ne formaient pas une équipe, mais qu'ils ont gagné en sauvages, dans les dernières secondes du dernier match, en montrant au monde le pire visage du Canada : chauvin et inculte.

Dans tout autre pays moins suffisant que le Canada on aurait dit ouf ! Pas alléluia!

LES CHROMÉS - La Fédération internationale d'athlétisme vient de nommer Carl Lewis l'athlète du siècle en athlé- tisme. Plus de la moitié des lecteurs de cette chronique n'ayant aucune foutue idée de ce que peut bien être l'athlétisme, je prends deux secondes pour les situer : l'athlétisme est la souche de tous les autres sports. L'athlétisme est le fondement de l'olympisme, mais cela c'était bien sûr avant que l'olympisme devienne un divertissement de masse dont le fondement est maintenant dans la petite culotte des tapineuses artistiques et dans les stepettes sous-marines de jeunes filles maquillées comme pour aller aux noces d'or de leur grand-maman.

Donc Carl Lewis. Un très grand athlète couvert de médailles. Une merveilleuse machine à courir et à sauter. L'animal à deux pattes le plus proche du jaguar que l'on puisse imaginer.

Évidemment dès que le choix de Carl Lewis a été rendu public, des tas de gens ont protesté. La discordance est le jeu le plus amusant de cette fin de siècle; dites les Beatles on vous opposera aussitôt Picasso ou Chaplin. Et on n'aura pas tort. Dites Che Guevara, l'écho vous renverra mère Teresa, John Kennedy ou Réjean Tremblay.

Jesse Owens est le nom que l'on a aussitôt opposé à Carl Lewis. Comme Lewis aux Jeux de Los Angeles, Jesse Owens a ramassé quatre médailles d'or aux Jeux de Berlin en 1936, mais si vous voulez mon avis, Owens n'est pas un plus grand athlète que Lewis, c'est seulement une plus grande légende. La légende étant la dorure que le temps dépose sur la réalité, et j'en profite pour vous . ire que non, ce n est pas vrai, Jesse Owens n'a pas mordu le nez de Hitler aux Jeux de Berlin.

De toute façon Carl Lewis ou Jesse Owens, ce n'est pas la question. Je voulais seulement attirer votre attention sur le fait qu'il s'agit de deux sprinters. Je suis déçu de cela. Je me serais attendu à ce que les gens qui n'étaient pas d'accord avec le choix de Carl Lewis lui oppose un autre type d'athlète, un autre type d'effort, une autre culture sportive, un marathonien par exemple ou un décathlonien comme Jim Thorpe.

Si c'était moi qui devais désigner l'athlète du siècle en athlétisme, j'avancerais des noms comme Gebreselassié, l'actuel recordman du 10 km et du 5 km, ou peut-être Paavo Nurmi qui triompha sur les mêmes distances au début du siècle, ou Lasse Viren, le héros des Jeux de Montréal, ou peut-être Ron Clarke ou Zatopek, ou une gazelle des Haut-Plateaux, Henry Rono, Keino, Kipketer, Tergat, ou tous ceux-là ensemble puisqù'à travers eux, c'est la course à pied que je choisis. Mon choix reflète bien sûr une autre culture, la culture de la fatigue, de la solitude, de l'intériorisation, des entraînements si longs qu'ils deviennent la vie même. Une culture de l'effort qui dure, qui creuse, je ne sais plus qui a dit que le marathon est le plus court chemin vers soi-même (une longue randonnée à vélo aussi).

Alors que le sprint est tout le contraire : explosion, fulgurance, éclat. En choisissant Carl Lewis, ils ont choisi l'extérieur. L'instant. Ce qui flashe. Ce qui brille. Ce qui fait pfiiiit et c'est fini. Ceux qui préféreraient Jesse Owens ne font qu'en rajouter une couche, Owens, c'est le grand-père de Lewis, comme Gilles Villeneuve est le père de Jacques : on ne sort pas de la petite famille des bougalous de la vitesse.

Vous pensez que je suis en train de vous parler de sport ?

Pas du tout. Je suis en train de vous dire que dans la vie, quand tu ne fais pas vroum vroum, t'es même pas là. T'es rien du tout.

LE PLUS RÉGIONAL DU MONDE - La nouvelle vient de tomber. Les mêmes qui ont désigné l'équipe du siècle viennent de nommer l'athlète du siècle au Canada, et c'est Wayne, évidemment. Devant Gordie. Rien à redire. Maurice, au Québec, sera tout aussi incontournable. Nos voisins américains auront plus à jongler avec Jordan, Ali, Babe Ruth, Jim Brown, Carl Lewis, etc.

Au monde ? dites-vous. Il ne peut pas y avoir de plus grand athlète du siècle au monde. Peut-être Michael Jordan, mais c'est seulement affaire de marketing. En fait, il n'y a rien de plus régional que le plus grand athlète au monde. Chacun le sien, dans sa cour. Pour moi, le plus grand athlète du siècle, c'est Miguel Indurain qui n'est même pas, tant s'en faut, le plus grand coureur cycliste de son époque. C'était juste un paysan espagnol qui gagnait des courses de vélo sans jamais dire un mot et sans jamais faire chier personne.

Essaye d'en trouver un de même au baseball.