Le samedi 11 décembre 1999


À irresponsabilité partagée
Pierre Foglia, La Presse

Le fils d'un de mes amis est en train de se séparer de la plus regrettable façon qui soit, dans les cris, les reproches, les histoires d'argent, les trois enfants qui servent d'otage, et des moments de pure hystérie comme l'autre jour, le fils de mon ami venait de ramener les enfants, le ton a monté très rapidement, et soudain son ex l'a giflé. il aurait pu rendre la gifle, cela n'eût rien changé à mon histoire, mais il ne l'a pas fait, il l'a vivement repoussée en la traitant de crisse de folle et il est parti... Notez, je vous prie, qu'il n'y a pas de batteur de femme ici, ni de batteuse d'hommes d'ailleurs. on est devant une violence conjugale à irresponsabilité partagée, un homme et une femme en état de crise, leur sensibilité exacerbée par le ressentiment, un cas de figure extrêmement courant, et qui pourtant n'existe pas!

Je dis bien qui n'existe pas. Le discours sur la violence a été si vigoureusement instrumentalisé par les féministes que, dans nos contrées, la violence suppose toujours un agresseur et une agressée, un coupable et une victime... Le lendemain après-midi, le fils de mon ami a reçu un coup de téléphone de la police qui lui demandait de se présenter au poste après son travail, il était accusé de voies de fait pour avoir « pousse vivement sa femme contre le comptoir de la cuisine et lui avoir causé un bleu au-dessus de la fesse gauche ».

« Violence tolérance zéro », disent-elles. D'abord il n'est pas de projet plus violent que zéro de tolérance dans quoi que ce soit. Et de toute façon, dire « violence, tolérance zéro » est aussi surréaliste que de dire cancer tolérance zéro, ouragan tolérance zéro, tremblement de terre tolérance zéro. Les cancers, les ouragans et les tremblements de terre se contrecrissent de ce que vous pouvez dire. Si au moins vous disiez oppression tolérance zéro, on agirait sur du possible. Pour ce qui est de la violence, on ne la démêlera jamais de la vie à laquelle elle est inextricablement enchevêtrée. Elle est bouillonnement, éruption, et pas toujours de rage, parfois de désir. Les féministes des années soixante-dix avaient à moitié raison, l'homme bandé est violent. Mais pas plus que la femme bandée.

La violence n'est pas réductible à la violence faite aux femmes, je veux dire même la violence qui surgit entre un homme et une femme. Il n'y a pas toujours un agresseur et une agressée. il y a souvent deux personnes également agresseur(e)s et agressé(e)s.

Mais c'est toujours le même foutu problème avec les féministes, leur cible est très accessoirement les batteurs de femme, c'est l'homme qui est visé. C'est l'homme, dans sa queue dressée, qui porte le germe de la violence. J'ai dit « féministes » ? Me suis trompé. Je voulais dire curées avec un « e ». C'est toujours le même foutu pattern quand on veut faire le bien par la morale: on commence par décréter que le mal est partout. On refait le coup du péché originel.

Pourquoi, pensez-vous, cet acharnement à prétendre que non, Marc Lépine, le tueur de Poly, n'était pas fou ? Eh bien, parce que s'il est fou, il n'y a plus de cause. Si Marc Lépine est fou, il n'y a plus qu'un drame épouvantable, une douleur immense, mais intime, mais privée. Et dix ans plus tard, un sobre devoir de mémoire. Si Marc Lépine n'est pas fou, allez donc justifier la récupération politique et idéologique de ce massacre. Il fallait absolument faire de Lépine un homme normal, déviant, mais normal pour culpabiliser les hommes à travers lui. Il fallait pouvoir dire qu'un petit Marc Lépine sommeille en chacun de nous. (Note de JT: Parole dites par Lorraine Pagé) Là on avait un combat. Là on avait une cause. Là on pouvait faire des discours à tolérance zéro.

Et même de la poésie. Comment deuiller ( !!! ) sans dérailler, se demandait M. Plamondon, directeur général de Polytechnique, lors des cérémonies du dixième anniversaire. Et de s'empresser de dérailler justement avec un petit pouème en hommage aux 14 absaintes nous exhortant à vivre à la hauteur des pleurs que nous ne voulons plus verser, et à nous inspirer des symboles éternels pour affronter la quotidianitude de nos espoirs en file d'attente...

Deuiller ? Quotidianitude ? Absaintes ? Espoirs en file d'attente ? Était-ce bien le moment et l'endroit pour le numéro du phoque qui fait tourner des métaphores sur son nez ?

Le lieutenant-gouverneur du Québec, Lise Thibault, a dit souhaiter, quant à elle, qu'«avant la fin de (sa) vie, l'on rouvre la Charte des droits et libertés pour que l'on y inclue une liste de devoirs et de responsabilités ». Cela existe déjà madame, cela s'appelle la Bible et cela n'a jamais rien empêché. La preuve.

C'est bien pour dire que l'on trouve de tout au libre-service de l'Histoire. On trouve des phoques et des lieutenants-gouvemeurs qui disent n'importe quoi. On trouve aussi des chroniqueuses dont je ne dirai rien par solidarité syndicale, mais Dieu que je me retiens. Au libre-service de l'Histoire, on trouve des causes et des lobbies, comme la coalition contre les armes à feu, la coalition contre la violence à la télé et tous les autres lobbies de merde qui militent pour une saloperie de morale publique. On trouve des raisons de discourir, de militer, de prophétiser. Au libre-service de l'Histoire, on trouve assez de malheur pour en rendre responsable tous les hommes.

Cependant, ce que l'on trouve de moins en moins au libre-service de l'Histoire, c'est du silence. Pourtant bien indispensable pour se recueillir.

C'EST ASSEZ ! - Cela n'arrêtera donc pas ? Il y a eu M. Masson. Il y a eu Bob. L'autre, jour j'arrive au bureau, on me dit que Mariane Favreau est très malade et qu'elle va mourir. Comment cela, Mariane va mourir ? C'est impossible, je l'ai vue à la cafétéria tout récemment...

Je m'arrêtais souvent à son pupitre, nous parlions de ses lectures, et ces dernières années, de ses petites-filles qu'elle vénérait. Elle mettait parfois mes chroniques en page, ne se gênait pas pour me suggérer une correction, me disait: « Tu m'énerves quand tu fais un paragraphe avec un seul mot. »

Bon, bon.

Je lui ai téléphoné, attendez, c'était l'autre jeudi, on a parlé de livres comme d'habitude, elle était en train de terminer le dernier Beauchemin; j'ai pris mon courage à deux mains pour lui demander, mais enfin Mariane, c'est pas vrai que tu vas mourir ?

Si, si, je te jure, elle m'a répondu. Elle était sereine comme pour m'annoncer qu'elle s'en allait passer les Fêtes au Mexique. Elle est morte lundi de cette semaine.

Et là, il faut que je vous le dise un truc: je suis un peu tanné de la mort. M. Masson. Bob. Mariane. C'est assez. Je lance un appel à tous, mais en particulier à mes collègues de La Presse: ça vous embêterait beaucoup d'arrêter de mourir pour quelque temps ?

Merci.