Le samedi 18 décembre 1999


La sérénité
Pierre Foglia, La Presse

Arrêtez de me le dire, je le sais, je suis un excessif, un pas d'allure, comme me l'écrit un lecteur cette semaine: « La sérénité n'est pas votre qualité »première, monsieur le journaliste. »

La sérénité, bon c'est vrai, je ne suis pas doué. C'était un matin de cette semaine, je tombe sur Jean Pagé qui parlait du rallye Dakar-Le Caire (ancien Paris-Dakar). Homier-Roy lui fait remarquer que c'est quand même une drôle d'idée d'aller faire vroumvroum sur un continent en train de crever- Homier-Roy n'est pas le premier à soulever l'objection; il y a eu de nombreuses manifestations contre l'ancien Paris-Dakar-, mais l'autre épais qui tombe des nues sort une connerie du genre: «Pis après seront-ils moins pauvres si on le fait pas!» Il ne sait pas qu'il y a un débat là-dessus. Il ne sait pas qu'il y a des arguments pro rallye qui se tiennent à peu près. Il ne sait rien comme d'habitude. Fait qu'il va là où son naturel le porte: au plus bas. La misère ? L'Afrique ? What the fuck ! On parle de motos, les boys.

Je ferme la radio. Je me lève de table un peu bruyamment. J'empoigne le sac de vidanges. Où tu vas, me dit ma fiancée, c'est pas le jour des vidanges.

Laisse faire, ça me tente de descendre les ordures.

Ça été une semaine difficile pour la sérénité. Surtout avec la question nationale sur la table. C'est dur d'être zen avec la question nationale. Il y a pourtant belle lurette que les chipotages sur la question et la majorité référendaires ne m'émeuvent plus, persuadé que je suis que les tentatives de tricherie se retourneraient de toute façon contre les tricheurs, persuadé que je suis qu'à la fin, il arrivera ce que le peuple du Québec voudra bien qu'il arrive. Constitutionnellement parlant, vous ne trouverez pas moins énervé que moi. Plus Québécois moyen. Je crois toujours que le Québec devrait être indépendant, mais si la moitié (ou près de la moitié) des gens de cette province expriment leur volonté de rester au Canada, je n'en ferai pas une maladie. Non, non, je ne m'en fiche pas. Pas du tout. Un pays est en train de se faire - ou de se refaire -, de se définir, ce n'est pas du tout inintéressant. Ni simple. Ni instantané. Ni réglable par une question une fois pour toutes. Une chimie plus qu'un débat. Une levure qui fermente. La lente, très lente transformation des tissus vivants d'un territoire. Notre impatience vient sans doute du trop lent travail des choses. Une guerre sainte larvée est peut-être le prix à payer pour vivre l'Histoire. Mais, je vous le demande, à ces inconvénients, avait-on vraiment besoin d'ajouter Stéphane Dion ?

A-t-on vraiment besoin de ce haricot dans notre soulier pour avoir mal tous en même temps, et jouir tous en même temps d'avoir mal ? Comme on aime haïr Stéphane Dion ! Comme on n'a jamais autant le sentiment d'exister collectivement que lorsqu'on se fait chier dessus. Quel curieux peuple nous formons.

Oh, arrêtez de me dire que je suis vulgaire. Nous n'avons pas la même idée de la vulgarité. De toute façon, nous parlions de sérénité et je vous concédais que je n'avais aucune sérénité politique. Que l'on parle de la politique rapprochée du «vivre ensemble » qui renvoie à une sensibilité, ou que l'on parle de la politique-politique des élites qui gouvernent la cité, la province, le pays, le monde, je grimpe tout de suite dans les rideaux.

L'idéologie dominante de cette fin de millénaire, sa dynamique de conquête me ramène aux emportements trotskistes de mes 20 ans. Mais plus que l'idéologie, la duplicité des maîtres qui nous gouvernent me fait hurler aux loups. Des ministres comme Serge Ménard, Guy Chevrette, Jacques Léonard incarnent tout ce que je déteste dans la politique, justifient à eux seuls que je n'aille pas voter, illustrent, jusqu'à la caricature, la duplicité de l'homme politique en démocratie: se suborner au peuple pour être élu, et aussitôt élu, le manipuler pour gouverner. Licher le cul du peuple pour se faire élire: Je suis votre représentant, je suis votre serviteur, je ne suis rien, vous êtes tout. Et une fois au pouvoir, le mépris du peuple. Écoutez bien M. Ménard parler, écoutez-le entre les mots... Quoi qu'il dise, il dit toujours la même chose, il dit: « Oh, comme tu as de la chance, bon peuple du Québec, que je sois là pour t'empêcher de faire des conneries. » Aveuglé par ses bas désirs, par ses emportements, par ses raisonnements à courte vue, le bon peuple ne sait pas où est son bonheur. Heureusement que MM. Ménard, Léonard, Chevrette sont là pour le lui dire.

Arrêtez donc de répéter que je déteste tout le monde. À la suite de ma chronique de l'autre samedi, vous êtes allé chercher que je détestais les féministes. Quelle idée. Même pas les extrémistes. En fait, pas du tout les extrémistes. Même pas les connes. Parce qu'il y en a plein des connes. C'est comme dans tous les mouvements de défense de quelque chose. Les syndicats, entre autres. C'est plein de joyeux tôtons. Plus il y a de monde dans un groupe, plus il y a de tôtons, forcément. Mais sanctifiés par leur adhésion à la cause. Soudainement, la conne n'est plus: conne, elle est féministe. Le tôton n'est plus tôton, il est syndiqué. Sauf que, bien,entendu, le naturel va bientôt les rattraper au galop. Et à un m'ment donné la féministe qui était une conne avant, va parler, agir comme une conne. Jamais une voix s'élève de l'intérieur du mouvement: Tais-toi, t'es conne. Jamais de l'intérieur.

J'ai déjà été accusé d'antisémitisme par des groupes de pression juifs et j'en ai été profondément blessé. Mais ce ne sont pas ceux qui m'ont accusé qui m'ont meurtri, ce sont les juifs libéraux qui n'ont rien dit. Silence, dans les rangs !

Eh bien voilà, vous avez gagné, me voilà pompé. Vous aviez raison de dire que je me pompe pour rien. Que je suis un excessif, un pas d'allure, comme me l'écrit un lecteur cette semaine: « La sérénité n'est pas votre qualité première. »

Pas serein ? Moi ? Vous saurez qu'il m'arrive de faire cui-cui pour faire croire à Zézette qu'il y a un oiseau dans la maison. Tiens, elle vient juste d'arriver sur mon bureau. Elle se couche sur mes papiers. Cuicui ! Elle me toise d'un air excédé: «Qu'est ce que t'es con!». Elle commence à lécher ses blessures. Elle s'est encore battue cette nuit avec des chats errants. D'ailleurs, je suis à veille de sortir mon grand fusil spécial pour tirer sur les minous (un chatlashnikov), et peut-être même que je vais poser des mimines antipersonnelles dans ma cour.

Souriez, merde.