Le mardi 21 décembre 1999


Chers, chers parents!
Pierre Foglia, La Presse

La lettre est signée « Parents frustrés ». Une copie a été envoyée aux journaux locaux, à la commission scolaire concernée, à La Presse, à Radio-Canada, au Devoir, au Gouvernement du Québec, au ministère de l'Éducation, à l'école concernée, au Comité de parents et au député.

Pas au pape ? Vous avez oublié le pape, chers parents frustrés.

Vous avez oublié aussi la Direction de la protection de jeunesse. Après tout, on est devant un cas d'enfant maltraité par un de ces professeurs - je cite la lettre - qui abusent nos enfants verbalement, les démotivent par un la1angage négatif et peu respectueux, un de ces professeurs qui a fait l'objet de plusieurs plaintes au cours des dernières années.

« Notre enfant a été abusé psychologiquement... il veut plus travailler et a perdu toute motivation. Il croit qu'il est stupide. Nous désirons faire changer notre enfant de classe pour qu'il puisse recevoir l'éducation à laquelle il a droit, d'un professeur qui aime son travail. La direction de l'école s'y refuse pour l'instant... Pendant ce temps, nous n'avons d'autre choix que de faire la classe à notre enfant à la maison ! »

Portrait rapide des acteurs de ce psycho drame scolaire qui se déroule dans une populeuse école d'une petite ville des Laurentides.

LA PROF: 55 ans. Enseigne depuis trente ans aux troisièmes années (des élèves de huit et neuf ans). Très exigeante. Il est arrivé que des parents la trouvent trop exigeante. Ce qui n'a pas troublé ses certitudes pédagogiques.

Abuser verbalement ses élèves ? Le plus loin qu'ira cette ancienne soeur dans l'agression verbale de ses élèves, c'est de leur dire parfois qu'ils ont « la tête vide ». C'est pas gentil, mais bon, je vous le demande, est-ce bien suffisant pour alerter le Conseil de sécurité des Nations unies ?

Démotivée ? Ici, I'accusation est vicieuse. L'enseignante dénoncée incarne l'institutrice missionnaire dans toute son abnégation. Comme toutes les autres de sa race, elle se fait dire depuis 30 ans: Vous, vous I'avez la belle job ! Elle arrive à l'école le matin à sept heures; quand les enfants partent (à trois heures), elle reste en classe jusqu'à cinq heures, pour corriger, préparer ses cours du lendemain. Elle gagne quatre fois moins qu'un médecin (ou qu'un journaliste). Elle gagne moins qu'un gardien de chenil.

L'ENFANT: « Notre enfant est un petit garçon normal », soulignent les parents.

Normal sans aucun doute. Un gentil petit garçon. Pas de problème de comportement. Studieux. Appliqué. Et qui réussit bien en mathématiques. Mais disfonctionnel en lecture et en écriture. Ce que se sont bien gardés de mentionner les parents, dans leur lettre à l'univers.

Devant les grandes difficultés de l'enfant, la maîtresse a alerté l'orthopédagogue de I'école au grand dam des parents qui prétendent que ce n'est pas bon pour « l'image de soi » de leur fils. Pas question non plus que leur enfant aille dans une classe spéciale. L'image de soi, encore.

LES RELATIONS ENTRE L'ENFANT ET LA MAITRESSE: correctes au début de l'année scolaire. L'enfant compensait ses carences en écriture en redoublant d'application. De son côté, la maîtresse essayait de lui donner autant d'attention particulière que le lui permettait sa charge.

Début novembre, les parents demandent à l'enseignante de préparer des leçons et des devoirs pour les dix jours de vacances (du 8 au 18 novembre) que l'enfant allait prendre avec eux en Floride. Ça non plus, ce n'est pas dit dans la lettre.

La maîtresse n'a pas refusé de préparer les exercices demandés, elle a seulement un peu tardé. Impatienté, le père est venu se plaindre à la direction. « Puisqu'on met en doute ma bonne volonté, je tiens à souligner que je suis payée pour enseigner dans ma classe, pas en Floride », se rebiffe la maîtresse qui en profite aussi pour poser une sacrée bonne question: « Est-ce vraiment une bonne idée, en pleine session scolaire, d'emmener un enfant en vacances pendant deux semaines ? Est-ce une bonne idée d'imposer deux semaines de rattrapage à un enfant qui a déjà de la misère à suivre ? »

De retour de Floride, I'enfant avait changé d'attitude. À la première difficulté, il fermait son cahier de dictée, buté, sûr d'être appuyé quoi qu'il fasse par ses parents, entrés en guerre avec l'école comme ils s'en vantent brillamment dans leur lettre: « La bataille est enclenchée ! »

Yééééé ! Félicitations.

L'enfant ne va plus à l'école depuis le ler décembre. La demande de changement de classe sera examinée par un comité de la commission scolaire en janvier.

Puis-je vous poser une question, madame I'institutrice ? Comment cet enfant a-t-il réussi à passer de la deuxième à la troisième année ? N'aurait-il pas dû redoubler sa deuxième ?

L'institutrice m'a répondu par un silence. Un silence lourd de tout ce qu'une maltresse d'école qui enseigne depuis 30 ans n'a pas envie de dire, parce qu'il y en aurait trop à dire et que ça ne sert à rien.

Puis-je risquer la réponse que vous ne voulez pas me faire madame?

Serait-ce que votre collègue qui avait soin de l'enfant en deuxième année ne voulait pas de trouble ? Serait-ce que le système encourage à fermer les yeux sur le quasi-analphabétisme des enfants, sous couvert de ne pas les décourager et pour soi-disant retarder leur décrochage ?

Voilà donc un cas qui démontre, jusqu'à l'absurde, que le pire, dans le système scolaire, ce ne sont pas les enfants, ni leurs maîtres, ni même les fonctionnaires: ce sont les parents.

Les parents veulent que leurs enfants passent de classe en classe sans problème. Ils se foutent de savoir comment. Ils sont prêts pour cela à écrire au pape, mais surtout, ils sont prêts À BAISSER LES EXIGENCES. C'est ce qu'ils appellent « s'impliquer ».

On est ici devant le cas caricatural de parents qui adressent au monde entier une lettre qui commence ainsi: «Notre système scolaire manque de leadership. Les directions d'écoles ont les mains liées. Les syndicats protègent des enseignants qui n'ont plus la motivation, ni la vocation de leur métier.»

Des parents qui accusent une vieille institutrice rigoureuse de ternir l'image de soi de leur fils.

Des parents modèles, mon vieux, responsables et impliqués qui, en pleine session scolaire, emmènent leur fils - qui a des difficultés d'apprentissage - deux semaines en vacances en Floride.

La chose est bien connue des pédagogues, l'estime de soi vient aux enfants en bronzant.